Adieu Monsieur Mulisch
Samedi 30 octobre, Harry Mulisch s’est éteint à l’âge de 83 ans des suites d’un cancer à Amsterdam. Les lettres néerlandaises pleurent un de leurs plus grands auteurs. De même que l’Europe : Mulisch est traduit en plus de 30 langues ; il a rejoué des dizaines de fois la Guerre dans ses romans, dont le plus illustre demeure “La découverte du ciel” (1992); et il a couvert pour le grand hebdomadaire néerlandais Elseviers Weekblad le procès d’Adolf Eichmann en 1961 (paru sous le titre “L’Affaire 40/61”). Ayant revécu les années noires toute sa vie dans ses écrits, ce fils d’une mère juive et d’une père d’origine austro-allemande ayant fait des affaires avec l’occupant pendant les années noires pouvait dire : « Je suis la Seconde Guerre mondiale ».
Dans les années 2000, lorsque vous visitiez Amsterdam avec des amis néerlandophones, ils ne manquaient jamais de vous faire faire une halte sous les fenêtre d’une maison discrète et digne, pas très loin du Palais Royal. Ils s’arrêtaient un instant et vous disaient sur le ton de la confidence : “C’est là que Harry Mulisch vit… On dit même que son bureau donne sur le canal”… Né à Haarlem en 1927, Harry Mulisch a en effet déménagé à Amsterdam, dès la mort de son père, à la fin des années 1950. A ce père, il doit doublement la vie puisque ses contacts financiers avec les nazis l’ont sauvé avec sa mère de la déportation… et il lui doit également un questionnement sans fond sur notre 20ème siècle. C’est probablement dans “La découverte du Ciel” (1992), encore élu en 2007 “meilleur roman néerlandais jamais écrit”, que Mulisch parvient à nouer tous les fils de son histoire complexe, quand il se peint de profil dans la figure vitale et scientifique de Max Delius. Un roman d’initiation dans la plus grande tradition européenne : foisonnant, intelligent et passionnant (on lit les 1 200 pages d’un trait). Dans ce livre-somme, les affinités électives permettent de recréer un monde et de commencer à articuler la question de l’absence de Dieu sur le vieux continent. Mais Mulisch n’est pas l’auteur d’un seul livre, ni même d’un seul genre. Parmi les romans qui comptent, on peut nommer “L’attentat” sur l’oubli du passé (1982) ou “Siegfried” (2001) qui tente de percer la psychologie d’Adolphe Hitler. Nombre de ses romans ont été traduits en Français par Isabelle Rosselin-Bobulesco et Philippe Noble et sont disponibles chez Gallimard et chez Actes Sud. En France, si les pièces de théâtre et les poésie de Mulisch sont quasi-inconnues, son essai sur le procès Eichmann – dont le titre même (En néerlandais : le “cas”) indique le caractère plus posé et mesuré que celui de Hannah Arendt – est disponible chez Gallimard, dans la collection Arcades.
Après Willem Frederik Hermans et Gerard Reve, Harry Mulisch est le troisième et dernier “Grand” de la littérature néerlandaise à disparaître, comme l’a fait remarquer la ministre de la culture néerlandaise, Halbe Zijlstra , juste après l’hommage rendu à l’auteur par le Premier ministre, Mark Rutte. Mulisch laisse derrière lui trois enfants, une veuve et tout un lectorat qui a grandi en lisant ses livres.
Pour les néerlandophones, voici une vidéo de Mulisch à propos de son livre “De Pupil”, sur le plateau de l’émission culte d’Adriaan Van Dis “Hier is…” :