Cinema

Xavier Beauvois, master class au Forum des Images : ” il faut écouter le film”

03 October 2010 | PAR Coline Crance

Rencontre au Forum des images avec Xavier Beauvois cet après-midi. Son film Des hommes et des dieux, déjà plus de 1,5 million d’entrées , Grand prix du Jury au Festival de Cannes, représentera la France aux oscars pour l’oscar du meilleur film étranger en 2011. Retour sur la carrière de ce cinéaste virtuose…La rencontre est animée par Pascal Mérigeau.

Vous avez commencez en tant qu’acteur et metteur en scène , comment ce désir de cinéma vous est-il venu ? Aviez vous d’abord le désir de jouer ou de réaliser ?

Vous savez , je pense que quand on va au cinéma , on est autant admiratif d’Hitchcock que de Belmondo et ses cascades en hélicoptère. Moi le cinéma je le sens , j’aime le travail d’acteur et de cinéaste. On a tendance à compliquer ,à intellectualiser le cinéma. Mais je pense qu’il faut arriver à se détacher de çà, le cinéma c’est simple. C’est d’abord une caméra, un pied et son imagination …

Comment dirigez-vous vos acteurs ?

Pour moi le scénario est une indication. Je n’ai jamais été heureux sur un tournage en tant qu’acteur quand tout le texte était écrit et dicté à l’avance. Il faut laisser de la liberté à l’acteur pour qu’il puisse s’imprégner et construire son personnage. Un tournage c’est avant tout une ambiance, un « climat ». La réussite du film provient de cette atmosphère qui se crée au sein de l’équipe de tournage.

Par exemple sur le tournage de Des Hommes et des Dieux, j’avais fais en sorte qu’une atmosphère se soit déjà créée avant même le commencement du tournage. Quand j’ai recruté mes acteurs, je ne leur ai pas fait passer d’essai et je leur ai épargné la lecture de scénario qui à mon sens, est inutile. Par contre, je leur ai demandé de prendre des cours de chant. Ils se sont donc retrouvés deux fois par semaine dans une église pour chanter ensemble. Puis nous avons fait une retraite chez des moines pour comprendre leur vie. Quand nous sommes arrivés au Maroc , un lien réel et intime c’était donc créé au sein de mes acteurs et pour moi le plus gros de la direction d’acteur avait été fait. Ils avait compris et ressenti quel sens je voulais donner à cette aventure.

On vous a souvent questionné justement sur ce travail d’imprégnation que vous effectuez avant le tournage de chacun de vos films ? Quelle importance accordez vous à ce travail préalable ?

Il est primordial et je ne comprends pas pourquoi cela étonne tant de monde. Quand vous tournez un film comme le Petit Lieutenant sur l’univers de la Police , sachant que tous les soirs il doit passer au moins trois fois voir quatre films policiers, si vous voulez que les gens se déplacent , il est normal de leur proposer autre chose. Pour moi ce n’est même pas un travail c’est un plaisir. Je découvre, j’analyse. Par exemple, avant de tourner la scène de garde à vue, entre Roschdy Zem et moi-même dans N’oublie pas que tu vas mourir , j’ai demandé à des policiers de me mettre en garde à vue, ce qui a donné lieu à une anecdote cocasse. Au départ , ils ne voulaient pas , mais je les ai convaincus. Je leur dit que j’étais un honnête citoyen qui payait ses impôts donc j’avais bien le droit d’aller en garde à vue si je le souhaitais. Ils ont fini par accepter et ils m’ont dit d’être dans tel bar à tel endroit sans mes papiers car apparemment je ressemblais à un type nommé «  Marcel » qu’ils recherchaient. Ils m’ont donc incarcéré pendant 24h. Pareil toujours pour N’oublie pas que tu vas mourir , je suis allé à Rotterdam filmer des fumeurs de crack et après j’ai fait visionner la vidéo à Roschdy Zem.

D’ailleurs en parlant Roschdy Zem, il dit que vous lui avez donner son vrai premier rôle de cinéma, comment l’avez vous rencontrer ?

Au départ , je l’avais recruté pour un tout petit rôle. J’avais en fait écrit le scénario non pas pour un acteur mais pour le chauffeur de Nicole Garcia. Mais étant trop addict au crack , le film ne pouvait pas se monter avec lui. Je me suis donc rappelé de Roschdy Zem. J’ai appelé Téchiné qui me l’a conseillé et il a eu le rôle.

Vous tournez ce film en 1995. Il conte le parcours désenchanté d’un jeune étudiant qui apprend qu’il est atteint du sida. Film d’une violence inouïe , comment avez vous convaincu le producteur ?

N’oublie pas que tu vas mourir est à mon sens , un film romantique. Les films romantiques ce ne sont  pas ceux que l’on passe au festival de Cabourg. Victor Hugo disait «  le classique est ce qui est sain, le romantisme est ce qui malade ». Pour moi cette définition est la meilleure. De plus quand j’ai tourné ce film , je perdais en même temps beaucoup d’amis du Sida , notamment Serge Daney. J’ai eu la chance de tomber sur un producteur qui m’a fait confiance. Ce type de producteur est ce qui manque cruellement au cinéma français. Pascal Caucheteux ,le président de Why not production, fait partie de ce genre de producteur. Pour des Hommes et des dieux, il m’a laissé faire tout en s’investissant vraiment dans le film. Il regardait chaque jour les rush , il me questionnait etc .. Certes pour lui ce n’était pas toujours évident. Moi quand j’écris un film , je le visionne dans ma tête donc quand je le tourne ce qui m’intéresse ce n’est pas de refaire le film mental que j’ai créé mais bien d’être surpris et de me surprendre !

Quelle place occupe l’intuition dans votre travail ?

L’intuition c’est ce qui se construit seul et à plusieurs. Je travail depuis longtemps avec Caroline Champetier ma chef opérateur , et on se comprend sans même se parler. Je connais sa culture, sa sensibilité : un mot et je sais que je peux lui faire confiance. On a besoin de tout le monde sur un tournage et chacun doit s’exprimer. Les deux mois de tournage au Maroc pour Des hommes et des dieux sont les plus beaux de ma vie. Tant de choses se sont passées qui n’étaient pas prévues. Par exemple : L’imam du village a accepté de jouer dans le film. L’armée à mon grand étonnement, nous a prêté l’ensemble de ses voitures, camions, hélicoptères ….. Je me suis laissé guider par mon intuition et par le hasard. Sur la radio, je suis tombé sur le Lac des cygnes de Tchaïkovski qui m’a inspiré le dernier repas. Au départ, je voulais les faire chanter mais j’ai trouvé que ce moment musical était beaucoup plus fort. On a tourné la scène en une après-midi. A la fin mes acteurs étaient exténués. J’ai même dû passer La passion selon saint Matthieu de Bach à Lambert Wilson pour qu’il puisse pleurer une nouvelle fois …. L’autre grand moment d’improvisation de cette aventure fut la scène de Lonsdale quand il parle d’amour. Je n’étais pas content de celle que j’avais écrite , je l’ai donc sollicité ; ce qui est bien avec lui c’est qu’il dit toujours oui ! En  à peine cinq minutes , il a joué en suivant sa propre inspiration une des plus jolies scènes du film.

Pourquoi avez vous choisi d’aborder ce sujet ?

L’évènement m’avait beaucoup marqué à l’époque. Ce sont des moines qui ne sont pas des prosélytes mais qui s’intéressent à leurs voisins proches , à une autre culture. A aucun moment ils ont peur, ils ne vivent que dans l’Amour des uns pour les autres. Ils sont l’expression de la Fraternité. De plus aujourd’hui je trouve que les gens remplis de convictions, qui vont jusqu’au bout des choses et de ce qu’ils pensent, sont rares. Les convictions sont souvent parasitées par notre égoïsme.

Pour conclure je vais citer une de vos phrases que j’aime beaucoup «  il faut écouter le film », qu’entendez vous par là ?

Cela rejoint ce que je disais sur l’intuition. Pour moi, le film naît dès que le « 1er moteur on tourne » est lancé. C’est comme si la caméra était un utérus que la lumière venait féconder. Après il se déroule ,il grandit et naît mais il faut toujours garder une oreille attentive. Par exemple, je pensais filmer l’exécution des moines quand je suis arrivé au Maroc. Puis je me suis dit que cela n’avait aucun sens et même détériorait la portée du film. Quand la neige est tombée en décembre , je me suis dit que c’était finalement très joli, voire providentiel. Nous avons donc filmé ces dernières scènes dans ce magnifique paysage enneigé. Le film doit avoir une âme. Cette âme se crée par l’écoute : de ses acteurs , de ses techniciens , de la météo etc .. A partir de là on peut faire un film avec n’importe quoi et sur n’importe quel sujet et il sera toujours passionnant ….

Master class au Forum des images, 2, rue du cinéma, 75001, M° Châtelet – les Halles. Téléphone : 01 44 76 63 00. Le prochain Master class se déroulera le 17 octobre avec Pavel Louguine.

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Coline Crance

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