Cinema
WONDER WHEEL de WOODY ALLEN :  Un sauveteur nommé désir

WONDER WHEEL de WOODY ALLEN : Un sauveteur nommé désir

08 December 2017 | PAR La Rédaction

Pas facile de manger sa soupe sans en fiche partout lorsqu’on habite sous une grande roue racontait Alvy Singer dans Annie Hall où Coney Island – décor de Wonder Wheel – était déjà l’écrin de souvenirs plus ou moins heureux. De La Rose Pourpre du Caire en passant par Radio Days ou encore Minuit à Paris, Woody Allen a fait état des choses qui donnent de la couleur à un quotidien morose, à savoir le cinéma, le jazz, les carrousels et la littérature, tout ce qui flatte l’imaginaire ou l’enivre. Dans Wonder Wheel, tout fusionne. Tout concorde. Le narrateur est un écrivain déguisé en sauveteur bronzé, et les personnages de son drôle de conte sont tout droit sortis d’une pièce de Tennessee Williams : une épouse malheureuse, prisonnière de sa condition, un gamin (le sien), pyromane compulsif, un mari fana de flétan qui ne touche plus au scotch, sinon il a la main lourde, et une belle-fille menacée de mort qui revient voir son père après des années d’absence. Le temps est bon, le ciel est bleu. Le décor est heureux. Les touristes viennent gober quelques huitres et profiter du bord de mer. Mais sous le vernis (« Cheap thrills and good hot dogs »), la crasse, la poisse, des gangsters et des revers..

Années 1950. Working class. Point de punchlines mordantes. Le rire ici est mis en sourdine pour laisser entendre la mélodie des cœurs cassés. Celui de Ginny – l’épouse malheureuse – est fragile. Il ne bat pas pour l’homme qu’elle a épousé. Il ne bat pas lorsqu’elle enfile son tablier. En revanche, son fils lui donne des sueurs froides – les plaintes du voisinage à son encontre se multiplient. Un jour, elle rencontre sur la plage notre écrivain/sauveteur/narrateur et soudain, son cœur se remet à battre. Bien souvent chez Allen, les personnages ont le goût du risque et des escapades. Ils cherchent le grand frisson, le feu d’artifices, quelque part, n’importe où, désespérément, jusqu’à devenir fou. Dans cette aventure avec le beau sauveteur, Ginny va donc se jeter à corps perdu, mais l’intrusion de sa belle-fille dans sa vie vient semer la zizanie. Scénario remarquable où chaque fil est tendu comme la corde d’un violoncelle. Wonder Wheel est un grand mélo, une histoire sombre et tumultueuse où des hommes et des femmes se noient, faute d’amour ou de reconnaissance. A l’image, Allen et Vittorio Storaro, le directeur de la photographie avec lequel Allen travaille depuis Café Society, projettent littéralement les différentes couleurs par lesquels passent les personnages à mesure du drame qui se noue. En une séquence, en un plan, la lumière change. Elle révèle les intentions, les humeurs, les aigreurs, elle les cerne, elle les sublime. Du rouge, du bleu, du jaune, et la tentation de tout peindre en noir tandis que Jo Stafford chante « You Belong To Me ».

Elle devait jouer Nola Rice dans Match Point avant que Madame Scarlett ne soit pressentie, Kate Winslet est éblouissante dans le rôle de Ginny. Woody Allen parvient à donner une dimension nouvelle à l’actrice dont le corps apparaît massif, trop lourd pour ce monde gai et forain dans lequel il déteint. Son personnage s’inscrit à la fois dans la lignée de celui de Mia Farrow dans La Rose Pourpre du Caire et celui de Cate Blanchett dans Blue Jasmine. Bette Davis, Vivien Leigh ou Joan Crawford aurait pu interpréter Ginny en leur temps. Winslet a l’envergure de ces actrices là dans Wonder Wheel. Elle en porte l’héritage fièrement. Le reste du casting – que des petits nouveaux dans l’univers de Woody – brille lui aussi. Justin Timberlake dans la peau du sauveteur aux yeux bleus, Mickey, amoureux d’Hamlet, subtile, charmant; Juno Temple et ses boucles blondes, cintrée dans les robes de pin-up de Carolina, belle-fille de Ginny; et James Belushi qui incarne Humpty, un homme dépassé par les femmes de sa vie (sa femme et sa fille). Coney Island avait tout d’une terre promise. Mais, c’est à son habitude, le messie ne viendra pas. Il n’est qu’un mirage sur la plage, un sauveteur nommé désir.

En salles le 31 janvier 2018

Ava Cahen

Quand les Via Katlehong invitent Gregory Maqoma : “Via Kanana” un message d’espoir dansé
Brigitte Lefèvre « Il faut savoir changer pour rester la même » [Festival de Danse de Cannes, Interview]
La Rédaction

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration