Cinema
The Tree of life de Terrence Malick, un grand film habité

The Tree of life de Terrence Malick, un grand film habité

19 May 2011 | PAR Olivia Leboyer

Le film le plus attendu de la compétition officielle a reçu à Cannes un accueil contrasté, applaudi avec ferveur par certains, hué par d’autres. C’est souvent le cas pour les grands films, ceux qui n’ont peur de rien, et surtout pas du jugement des autres (on pense notamment à Sous le Soleil de Satan). Dans les salles depuis le 18 mai.

The Tree of Life est un très beau film, poignant, vibrant, au plus près des sensations éprouvées fortement par le jeune garçon au centre du récit. Ce que nous voyons, ce que nous vivons en même temps que lui, ce sont des moments de vie, des perceptions fugitives, étranges, de ces impressions si vives qui marquent une enfance. Parfois bousculée, l’image d’une mère belle et aimante (Jessica Chastain, très belle actrice rousse, douce et expressive) s’oppose à celle d’un Père sévère, d’une rigidité glaçante (Brad Pitt, vraiment excellent). L’enfant doit obéir, garder le silence à table, assister à la messe, apprendre à se battre… toutes choses dont le sens, alors, lui échappe. A la limite du dégoût, il se forge peu à peu un caractère, contre ce Père qu’il ne comprend pas et contre Dieu, à qui il s’adresse en vain : « Pourquoi serais-je bon, si Toi tu ne l’es pas ? ».
Mystique, spirituel, The Tree of Life nous livre les pensées du jeune garçon en quête d’autre chose, de quelque chose de plus grand que les quatre murs de la petite maison de banlieue à Waco, de quelque chose qui, enfin, ait un sens ! Ces perceptions à vif de l’enfance nous touchent directement. Malik restitue à merveille cette période où les événements, les gens, nous apparaissent dans une sorte de brume diffuse, étrange. Comme si la compréhension devait sans cesse se trouver différée. Les questions de l’enfant peuvent sembler naïves : Où est Dieu ? Me voit-il ? Suis-je comme lui ? A quoi bon tout cela ?, mais elles sont bel et bien essentielles. Leur résonance, ici, est sublime : au travers de quelques plans de la vie quotidienne, une scène de piscine, les jeux insouciants avec la mère, la musique que joue ou écoute le Père, sourd une inquiétude, une tristesse indélébile.

L’enfance ne partira pas, elle s’imprimera durablement dans la mémoire de celui qui, plus tard (Sean Penn, dans un petit rôle quasi muet, mais néanmoins impressionnant) cherchera le pardon ou la rémission dans ses vieux souvenirs.
The Tree of Life, profondément ancré dans la nature, l’est également dans une autre sphère, plus délicate à représenter, celle de la grâce : c’est cela, manifestement, qui a surpris ou amusé certains festivaliers. Or, ici, la parole biblique n’a rien de déplacé. Au contraire, tout le film s’articule autour de cette dialectique de la sensation pure, brutale, et du sens que l’on recherche. La première phrase est une citation du Livre de Job, l’un des plus beaux textes de la Bible. Job, frappé par le malheur, s’adresse à Dieu et l’implore : il exige une réponse. Pourquoi l’avoir frappé lui ? Quel sens cela a-t-il aux yeux de Dieu ? Job désire que Dieu lui parle, comme à un interlocuteur égal à lui, mais bien sûr seul le silence lui est rendu… Cette parabole sublime sous-tend The Tree of Life : des enfants meurent, des Pères se comportent mal, des Mères font tout ce qu’elles peuvent, et au final ?
Alors, oui, on se demande pourquoi Terrence Malik nous montre, pendant une bonne demi-heure, des planètes, de l’eau et des dinosaures, sur fond de musique classique ! Mais, comme Job, nous n’avons pas à le lui demander : il doit bien se rendre compte que ces séquences-là, précisément, risquent de dérouter ou d’ennuyer le spectateur toujours pressé qu’on lui raconte une histoire. S’il a choisi de placer là ces images, acceptons-le simplement !
Une scène, bouleversante, suffit à faire aimer passionnément ce film : la Mère, tourbillonnant avec l’un de ses trois enfants dans ses bras, montre soudain le ciel en lançant « C’est ici que vit Dieu » : à cet instant, la musique de Berlioz nous entraîne dans un tourbillon d’images, de sensations, pour nous laisser, à nous spectateurs, des impressions vives, marquantes. Que nous a-t-on appris, montré ? Qu’a-t-on saisi, de tout cela et que nous en reste-t-il ? Le visage buté du jeune garçon fébrile, tendu, et le visage las de Sean Penn, entrevu fugitivement, nous accompagneront pour longtemps.

The Tree of Life, de Terrence Malick, G.B., Inde, 2011, 2h18, avec Brad Pitt, Jessica Chatain, Sean Penn.

Véronique Olmi remporte le 41ème prix Maison de la Presse
Live Report : Diversidad au Trianon (17/05/11)
Avatar photo
Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

6 thoughts on “The Tree of life de Terrence Malick, un grand film habité”

Commentaire(s)

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration