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“Twin Peaks”, nouveaux épisodes : frissons brillants à Cannes [Cannes 2017, Hors Compétition]

“Twin Peaks”, nouveaux épisodes : frissons brillants à Cannes [Cannes 2017, Hors Compétition]

30 May 2017 | PAR Geoffrey Nabavian

Désireuse de compter dans ses rangs David Lynch, lauréat de la Palme d’or en 1990 pour Wild at heart (Sailor & Lula en français), la 70e édition de Cannes a convié le réalisateur à présenter deux nouveaux épisodes, d’une heure chacun, de sa série culte, réalisés récemment. Deux très belles réussites, très lynchiennes, en équilibre entre angoisse vraie et sobriété.

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L’auteur des lignes qui vont suivre avoue connaître très bien les films signés David Lynch, mais pas du tout, à l’inverse, les épisodes de Twin Peaks, la série. Diffusée pour la première fois en 1990. Même avec ça, il fut aisé de plonger dans les nouveaux épisodes, dans les deux heures, tournées très récemment, diffusées à Cannes à l’occasion du retour du feuilleton aux Etats-Unis sur Showtime. Twin Peaks, donc, ou une ville de montagne où des crimes ont lieu, dans une ambiance assez calme, au rythme particulier, pas précipité.

Au début de ces deux heures, les événements macabres se déroulent d’abord en d’autres lieux, puis convergent vers la ville du titre : une femme est découverte morte chez elle, avec sa tête posée par-dessus le corps d’un autre, et un œil arraché. Pendant ce temps, à New York, au sommet d’un immeuble, un jeune homme, payé par un milliardaire, effectue un boulot de nuit : surveiller une grande boîte en verre, afin de voir si quelque chose y apparaît. Tandis qu’à Twin Peaks, donc, l’étrange théâtre rouge au sol blanc et noir – un espace mental ? – devenu l’emblème de la série – et du film qui la suivit en 1992 – refait son apparition. Avec l’agent Dale Cooper (Kyle MacLachlan, très proche de David Lynch physiquement) toujours retenu à l’intérieur. Et les mystérieux personnages qui le peuplaient, présents aussi. Et visités, à l’extérieur, par un homme en cuir increvable, joué par Trent Reznor, musicien plus connu sous le nom de Nine Inch Nails… Qui débarque sur un « Came back haunted » remixé à outrance d’anthologie.

Le découpage fait se succéder de longues séquences dans des lieux tous différents, reliées entre elles par des fondus au noir. Le rythme n’en est que plus juste : chaque passage existe en soi, pour lui-même, et la série prend son temps. Chaque scène fait découvrir des personnages nouveaux, qui s’imposent en quelques plans. Et les scènes plus calmes, elles, nous présentent – ou nous font retrouver – les habitants qui peuplent la ville de Twin Peaks, et les autres espaces urbains de l’intrigue. On se passionne tout de suite pour ces figures aux physiques hors normes, qui hantent couloirs d’immeubles, hôtels où stations service. On connaît l’art de David Lynch pour peindre de tels personnages, et son attachement à eux… Et puis, tout à coup, dans l’Épisode Un, un démon apparaît. Un vrai, un terrifiant, un sublimement lynchien. Terrifiant car sobre, flou, imprécis. Et planté dans un cadre parfait. A ce propos, on ne peut qu’être enthousiasmé par l’art de Lynch pour faire se marier musique et images. La partition est toujours due au génial Angelo Badalamenti. Sobre, et juste, elle suggère des ambiances étouffantes avec un minimum d’effets. Yorgos Lanthimos – dont on a tout de même aimé le film – ferait bien de tirer des leçons d’elle…

Dix-huit épisodes composent cette nouvelle livraison, une vingtaine d’années après. Si la qualité est à chaque fois au rendez-vous, de cette façon, cette reprise va constituer au final une immense réussite. Les scènes choc, vraiment tétanisantes, y interviennent en tout cas avec une grande parcimonie. Lynch plonge dans des choses très noires, mais pas que. Il fait preuve, toujours, d’un immense recul, d’une immense justesse. Cette tenue du créateur à bonne hauteur par rapport à ce, et à ceux, qu’il filme, est véritablement impressionnante. On le sent présent à chaque instant, mais en même temps, effacé derrière ses sujets, et ses personnages bizarres. Le talent, comme le prix payé par l’artiste, se sentent tout du long. Longue vie à David Lynch. Que tous apprennent de lui ! Et des équipes qui marchent avec lui !

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Visuels : © ABC / © Marc Hom Wardrobe

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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