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“Mise à mort du cerf sacré” : un film très dur, désagréable mais humain tout de même [Cannes 2017, Compétition]

“Mise à mort du cerf sacré” : un film très dur, désagréable mais humain tout de même [Cannes 2017, Compétition]

23 May 2017 | PAR Geoffrey Nabavian

Le nouvel opus de Yorgos Lanthimos (The lobster) irrite grandement au début, puis frappe, et nous laisse enfin avec des réflexions en tête. Ultra désagréable à regarder – question de sensibilité… – il ne piétine pourtant pas totalement les humains qu’il met à l’épreuve…

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Il y a des films gerbants. Peu nombreux. A part Martyrs et Dark touch, peu d’exemples viennent en tête : ceux-là sont de ces films douteux qui se trompent de démarche, et ne devraient tout simplement pas exister – oui, c’est radical, on peut l’assumer. Mise à mort du cerf sacré, sans doute le “film choc” de la Compétition cannoise 2017, n’atteint pas ce degré. Proche du très convaincant, quoique dur, Aux mains des hommes, vu à Cannes, au Certain regard, en 2012, il empoigne un sujet pas aimable, et en rajoute un peu trop… Mais il nous laisse cependant en train de cogiter, au final. En train de nous mettre à la place de son personnage principal, et de nous dire “Moi j’aurais fait ça”. Preuve d’une certaine humanité…

Avec ce nouveau film, Yorgos Lanthimos cherche à dire (une fois de plus ?) que la vie fonctionne sur l’adage du “oeil pour oeil, dent pour dent”. Son héros est un chirurgien qui effectue des opérations à coeur ouvert. Colin Farrell, assez méconnaissable, l’interprète avec intensité… Un jeune homme (Barry Keoghan, graphique comme un esprit) lui rend des visites régulières dans son hôpital, pour l’observer. Il lui annonce un jour que son père est mort sur la table d’opération, des suites d’une intervention cardiaque échouée, menée par notre héros, et que ce dernier va devoir payer, en sacrifiant l’un des trois membres de sa famille. Dès lors, la maladie s’empare des deux enfants – une fille adolescente et un garçon – du chirurgien joué par Farrell. Qui doit faire très vite, et se décider, pour ne pas perdre les trois êtres qu’il aime…

Yorgos Lanthimos est un virtuose. Il signe des plans au-delà du brillant, et ce faisant, parfois, il tombe dans la complaisance. Car talent formel et violence peuvent provoquer un écrasement du sujet, des personnages… Ceux-ci sont de fait, parfois, très maltraités : la scène où le fils voit son père chirurgien lui insérer dans la bouche un donut de force est peu insoutenable, le secret que lui confie ce père plus tard provoque quelque peu le même effet, les deux jeunes sont contraints, après un moment, de se déplacer en rampant par terre… Mais l’épilogue, bien qu’illustré par une musique pompeuse, laisse satisfait. Et donne envie de réfléchir.

Mais bien que Colin Farrell, donc, et Nicole Kidman, dans le rôle très bien dessiné de l’épouse, prennent des risques bienvenus en acceptant un tel projet, et bien que certains spectateurs trouvent au film beaucoup d’humour noir – pour notre part, nous n’avons pas pu rire devant tant de noirceur et de dureté – cette Mise à mort… n’en demeure pas moins extrêmement désagréable à regarder. Très triste, très tendue, et située de surcroît au sein d’un cadre réaliste… A l’image de la musique menaçante qui accompagne de nombreuses scènes, cette production appuie, souligne ce qu’elle montre. Et n’y va donc pas de main morte… Digne d’intérêt et de consideration, ne serait-ce que pour son jusqu’au-boutisme, Mise à mort du cerf sacré vaut bien une vision. Mais nécessite d’avoir le cœur accroché et pas fragile…

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Visuel : détail de l’affiche américaine de Mise à mort du cerf sacré

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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