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Les Journées cinématographiques dionysiennes : L’Ecran, terre à part

Les Journées cinématographiques dionysiennes : L’Ecran, terre à part

06 February 2014 | PAR Geoffrey Nabavian

Une visite aux Journées cinématographiques garantit le contact avec du vrai bon cinéma, bien moderne, projeté dans un cadre qui sait conserver le charme de la vraie séance. Avec, en prime, la venue de réalisateurs passionnants. Hier soir, deux programmes : un diptyque Marco Ferreri, cinéaste mort en 1997, et un autre autour du canadien Bruce LaBruce. Histoire de voir, votre rédacteur a opté pour un de chaque. Récit.

Festival UtopiaRien que le cadre où se tiennent les Journées cinématographiques dionysiennes paraît relever de l’ « utopie », thématique de cette 14ème édition du festival. Un cinéma niché dans un coin d’une place, L’Ecran ; une salle immense, rénovée avec goût et personnalité ; un film impossible à trouver en copie récente, projeté à partir d’un négatif marqué par les années. « Amoureux de la séance de cinéma à l’ancienne, précipitez-vous donc à Saint-Denis » a-t-on envie de crier.

Le public est clairsemé, ce soir, pour la séance de 19h. Sont-ce des dionysiens ? On aimerait beaucoup. On sent un côté chaleureux en tout cas. Puis le film est présenté. C’est un Marco Ferreri de 1984 : Le Futur est femme. Une présentation rapide nous a interpellés sur l’état de quasi invisibilité dans lequel se trouve l’oeuvre du cinéaste italien en France actuellement. « Il faut une rétrospective, avec tout. » Ce soir, en tout cas, les images du passé sont convoquées, et elles émeuvent vraiment. A l’affiche de ce Futur est femme : un Niels Arestrup tout jeunot, encore beau, une Hanna Schygulla sublimement années 80, encore belle, et une Ornella Muti… comment dire…

Après, le film est un peu daté. L’histoire : Malvina, superbe jeune femme sans toit, sans attache, sans histoire claire, mais enceinte , s’installe dans l’appartement et dans la vie de Gordon et Anna. Qui ne sont pas forcément hostiles à sa présence… On imagine la suite. Le film se passe dans l’Italie « d’après le féminisme », Charles Tesson l’écrivait dans les Cahiers du cinéma en 1984. « [Marco Ferreri] aime prendre des choses lorsqu’elles semblent décliner pour filmer, sous leur apparent recyclage, ce qui n’en finit pas de durer. » Alors certes, elle dure, cette utopie de bonheur, dans le film. Elle s’étire… Elle a des hauts et des bas… Les rebondissements nous emmènent vers une conclusion qui apparaît prémonitoire, mais leur agencement ennuie un peu. Trop linéaire, tout ça. Trop d’envie de bousculer, et pas assez d’histoire.

GerontophiliaTout le contraire du film projeté ensuite dans la petite salle de L’Ecran. Un invité de marque est là : le canadien Bruce LaBruce. Pornographe découvert en France avec Hustler white, sorti en 1997, puis avec No skin off my ass, Super 8 ½ biographie édifiante et L.A. Zombie, films à forte thématique homosexuelle, réalisés très en marge, il présentait lui aussi deux films au Festival ce soir. Etant peu intéressé par la pornographie, on a évité L.A. Zombie. Là, à 20h45, voici Gerontophilia. Choc ? provocation ? Que nenni. Bruce LaBruce avoue avoir eu envie d’essayer autre chose, et de tourner un film plus grand public, avec une meilleure technique et des acteurs professionnels. L’ambition des créateurs du concept d’utopie, pour Boris Spire, directeur de L’Ecran : « élargir le champ du possible, et d’abord, l’explorer ». Gerontophilia met en scène Lake, jeune homme de 18 ans travaillant dans une maison de retraite qui éprouve une attirance sexuelle envers les hommes âgés. En fin de compte, un film tout public. D’une qualité cinématographique indéniable. Et assez émouvant. Lisez la critique.

Ensuite vient la discussion, animée au départ par le réalisateur Lionel Soukaz. On est curieux, on questionne l’invité. En fin de compte, Bruce LaBruce cherche à filmer des êtres humains, à les montrer comme des gens normaux. La vraie subversion se situe là, pour lui. Et elle a un sens social autant que politique. Replacer ses idées dans le domaine de la pornographie –pour les autres films qu’il a tournés, sans budget et avec des non-professionnels- apparaît intéressant, en fin de compte. Et très actuel.

On aime cet amour du cinéma exprimé à L’Ecran de Saint-Denis. On aime pouvoir dialoguer. On aime cette ouverture à des univers et les recoupements qui sont à faire par nous-mêmes, car « les utopies porteuses de révolte et d’espérance sont aujourd’hui plus fortes chez les individus que dans l’imaginaire collectif » (Didier Paillard, maire de Saint-Denis, dans le programme). Les Journées durent jusqu’au mardi 11. Courez-y, vous le méritez. Et elles vous tendent les bras.

Visuel: affiche des Journées cinématographiques dionysiennes 2014 © L’Ecran

Visuel: © affiche de Gerontophilia

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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