Cinema
Les doux monstres de Tod Browning

Les doux monstres de Tod Browning

03 May 2013 | PAR Olivia Leboyer

freaks-la-monstrueuse-parade-1932-06-gSi l’on évoque les monstres au cinéma, c’est Tod Browning que l’on pense immédiatement. Son sublime Freaks (1932), impressionnant et sensible, marque durablement les esprits.

De l’œuvre de Tod Browning, nous connaissons surtout Freaks. Ce film frappe incontestablement. A sa sortie, il fit scandale, et ne suscita pas la curiosité du public. Aujourd’hui, c’est un film culte. Tod Browning (qui a bien connu l’univers du cirque et du burlesque) nous montre des monstres, au sens fort, de ceux qui suscitent le malaise. Le film se passe dans un cirque : les héros, Hans et Frieda, sont deux lilliputiens, minuscules et adorables. D’autres monstres les entourent, plus étranges encore, comme cet homme sans jambes, ni bras, qui se déplace sur le sol à la manière d’une chenille. Ce que nous montre Tod Browning, c’est que ces monstres parlent, qu’ils ont un regard et un cœur. Amoureux fou de la belle Cléopâtre, une trapéziste narcissique et cupide, Hans quitte Frieda. Moqué, humilié, il ouvre les yeux sur la « beauté » de Cléopâtre, qui n’a accepté de l’épouser que pour capter son récent héritage. Dans la grande scène finale, Freaks impose à l’écran une vengeance admirable, terrible. Les monstres se liguent contre la seule personne « normale » du film, celle qui n’avait pas de cœur. Conte romantique crépusculaire, Freaks distille une mélancolie sublime. Malformés, tristes, modestes, les monstres sentent sur eux le regard de la foule venue les voir en curieux. Et, cependant, ils ne peuvent s’empêcher de rêver. On sait que le Elephant Man de David Lynch (1980) doit beaucoup à Freaks.

Chez Tod Browning, les monstres sont doux, rêveurs, amoureux. La méchanceté ne vient pas d’eux. S’ils se montrent violents, c’est seulement par réaction. La mesquinerie, la petitesse, chez Browning, sont le fait des gens normaux, suffisants et envieux. L’envie, l’amour-propre, la comparaison, les monstres ne connaissent pas ces sentiments : leurs rêves impossibles les élèvent bien au-dessus des hommes ordinaires.

Il y a deux ou trois ans, au cœur de l’été, un autre film de Tod Browning, nettement moins connu, est ressorti en salles : Les Poupées du diable, avec le grand Lionel Barrymore (le grand-oncle de Drew Barrymore !). Dans ce film, des expériences de miniaturisation sont entreprises, d’abord sur des chiens, puis sur des humains. La séquence où l’on découvre une série de mini-chiens, « tout chauds et qui palpitent », glace le sang. Le processus de miniaturisation cause des dommages au cerveau. Les monstres sont ici des créatures adorables et dociles, semblables à des jouets, que les hommes normaux peuvent manipuler, guider.

Les monstres de Tod Browning frappent par leur apparence étrange, mais surtout par leur douceur et leur fragilité. Tendres, à la merci du regard des autres, les monstres ont le cœur gros de chagrin et de rêves sublimes.

Retrouvez tout le dossier “Monstres” ici.

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

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