Cinema
“L’Atelier”, exutoire d’un gamin à la dérive

“L’Atelier”, exutoire d’un gamin à la dérive

26 September 2017 | PAR Guillaume Laguinier

En situant son nouveau film, l’Atelier, en salle le 11 octobre, à La Ciotat, Laurent Cantet fait de la ville chargée de l’Histoire ouvrière le théâtre de la frustration latente d’une génération en manque de repère. La rencontre entre Olivia, l’intervenante chargée de cette initiative et d’Antoine, un des jeunes dont le mal-être est palpable va engendrer une étrange relation, entre effroi et attirance. 

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Avec L’Atelier, en salle le 11 octobre prochain, Laurent Cantet continue, après Entre les murs (2008) et Foxfire (2013), sa représentation réaliste de la jeunesse d’aujourd’hui. Là encore, elle est mixte, utilise un vocabulaire direct, se montre parfois roublarde, parfois cajoleuse.

Là par contre, ces jeunes ne sont ni des écoliers ni un gang de filles. Les comédiens, issus d’un casting sauvage de Cantet dans les rues et aux sorties des écoles, viennent de moules très différents et offrent une variété de protagonistes: du “babtou” blondinet à la descendante d’un ouvrier arabe bercé par les histoires passées de la ville. Il ne manque que “le juif” et “le chinois” pour être une ode parfaite à la diversité.

Tout ce petit monde a, semble t-il, fauté par le passé. Leur réinsertion passe par un programme d’écriture, “l’Atelier”, conduit par Olivia (Marina Foïs),  une romancière qui s’évertue à mener ces esprits ingénieux d’un capharnaüm d’idées au synopsis clair et structuré d’un roman noir.  La tâche est difficile, comme il est difficile de penser ensemble. Tous sont sur la défensive. Ils voient en Olivia une parvenue forcément là par intérêt. Ils voient en leurs camarades des adversaires face à qui il faut imposer ses idées.

Mais L’atelier n’est pas un film sur la jeunesse, comme pouvait l’être Entre les murs (2008). Du moins, pas à proprement parlé. Ici, le film traite plutôt de la relation étrange, quasi métaphysique d’Olivia, romancière à succès et animatrice de cet atelier d’écriture et d’Antoine (Matthieu Lucci), l’un des participants tout en verve et en provocations. Peut être, aussi, tout en talent: toujours à contrario du groupe, les idées artistiques de ce personnage acariâtre sont aussi les plus fines, les plus cohérentes.  Le jeune garçon semble interpeller l’écrivaine, qu’il la choque, qu’il la fasse rire, qu’il redirige la conversation du petit groupe sur des sentiers nouveaux, parfois sombres et expérimentaux.

Car Antoine est quelqu’un de clivant. Les longs discours pseudo-investis d’un devoir de mémoire héréditaire, celui de la ville historiquement ouvrière de La Ciotat, que ces condisciples semblent tant porter aux nues, l’agace. Lui préfère le présent, dans sa noirceur et ses vices. Ses camarades voient d’un mauvais œil que le chantier naval, si chargé d’Histoire dans la ville, soit rendu à un simple espace de réparation de yacht quand lui s’arrête même à l’objet, déteste les yachts, symbole d’une richesse triomphante de la lutte des classes, qu’ils soient à La Ciotat ou non. La confrontation et la prise de position douteuse sont l’apanage de ce jeune garçon, qui lentement, mais sûrement, dérive vers les thèses d’extrêmes droites.  Internet et ses prédicateurs ont petit à petit pris le rôle de vitrine du savoir sur le monde, et faussent le rapport à la réalité d’Antoine qui, chaque jour d’avantage, voit le côté obscur des choses. C’est tout naturellement donc, que l’ado intriguant multiplie les virées nocturnes avec son cousin et ses amis, qui, s’ils ne respirent pas l’intelligence, ont au moins le mérite de réserver une place parmi eux à Antoine. Dusse être pour, finalement, ne pas faire grand chose; danser, enchaîner les parties de jeux-vidéos ou d’autres jeux qui franchissent clairement la frontière du mauvais goût.

Les comédiens, dont c’était pour la plupart, une première expérience sur grand écran, sont justes, bien aidés il est vrai par leur rôle taillé sur mesure et redéfini alors que le tournage progressait. Dans la grande majorité du temps, les dialogues sont bien sentis et reproduisent plutôt fidèlement (quelques contre-exemples dans certaines réactions) le vocable de cette génération. Si elle ne se transcende pas au point de disparaître sous le poids du personnage, Marina Foïs est  -c’est d’ailleurs systématiquement le cas avec elle ces dernières années- très juste, alternant un jeu simple et direct avec des phases plus profondes et incarnées. L’actrice a, naturellement, une présence forte qui semble,suffisante pour juguler les dérapages des uns et des autres dès lors qu’elle hausse la voie.

L’une des forces certaines du film est son absence de jugement. Antoine n’est pas un cinglé d’extrême droite bête et méchant. Le film n’est pas, non plus, l’histoire d’une catharsis et se clôture d’ailleurs sur une fin très ouverte, qui évite plutôt habilement le jugement moral et la facilité. Même l’attention répétée et un peu trouble d’Olivia n’est pas celle d’un médecin qui voudrait conduire un patient difficile sur le chemin de la rédemption, mais celle d’une artiste qui cherche uniquement à comprendre ce personnage, romanesque en tout point, dont le caractère lui échappe mais dont la folie naissante a quelque chose d’inspirant.

C’est néanmoins là que repose le principal écueil du film: la question de son utilité. Car enfin, le cas d’Antoine ne regarde qu’Antoine. Il ne faut donc pas voir en  L’atelier une mise en image des mécanismes poussant aux idées radicales. Cet aspect de sa personne sert simplement à le définir comme protagoniste et à mener les dialogues, et les relations, vers des contours différents des autres productions du genre. Ainsi donc, le film est une œuvre cinématographique réussie, mais son engagement est relativement limité: aucune chance pour le spectateur qui verrait en Antoine son reflet d’une quelconque révélation.

Cet écueil est aussi, finalement, une réussite. L’histoire n’est jamais manichéenne car l’histoire ne présente jamais les choses comme fondamentalement bonne, ou fondamentalement mauvaise. Les choses sont comme elles sont, voilà tout. Et les personnages, comme nous autres spectateurs, devront composer avec.

 

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