Cinema
Jeux d’enfants et d’Hommes au Festival Entrevues [Belfort, jour 6]

Jeux d’enfants et d’Hommes au Festival Entrevues [Belfort, jour 6]

01 December 2017 | PAR Yaël Hirsch

C’est sous une tempête de neige tout à fait de saison que nous sommes arrivés à Belfort pour trouver le Pathé qui accueille le Festival Entrevue absolument pris d’assaut en ce jeudi après midi, notamment par un public jeune et local.

Nous avons commencé notre marathon annuel de grands classiques à Belfort par le dernier film de Charlie Chaplin (et son unique réalisation en couleur). Alors que le cinéaste américain est au programme du Bac pour les étudiants qui ont choisi l’option cinéma, La comtesse de Hong-Kong est une comédie romantique où Chaplin se la joue Billy Wilder. Avec, dans les deux les principaux Sophia Loren et Marlon Brando. L’intrigue est simple : un grand diplomate américain rencontre une russe blanche orpheline qui a grandi comme elle a pu, à Hong-Kong. Elle voit en lui la possibilité de quitter l’Asie et sa vie de prostitution pour entrer aux Etats-Unis et se cache dans sa cabine. Et l’amour se joue des classes sociales et du “qu’en dira-t-on”… Éreinté a sa sortie (sauf par Rohmer dans les Cahiers) pour le jeu outré et presque “muet” des personnages, le film joue bien du chatoiement nostalgique de la traversée des océans et des robes de bal pour laisser percer les cris des corps. Malgré et au-delà de l’intrigue fine, de rebondissements peu fulgurants et de dialogues parfois pesants, La comtesse de Hong-Kong fonctionne parfaitement à travers ce couple phare d’acteurs qui savent crier le naturel du désir qui habite leurs personnages. Le rideau tombe sur un mouvement de valse et l’on est profondément ému par un thème que le grand cinéma renouvelle à chaque fois.

La deuxième séance de la journée nous a permis de voir deux courts et un long de la compétition. Le jour d’appel du suisse Antonin Ivanidze met en scène un jeune apprenti agricole dans une région dévastée qui médite du Charles Péguy. Une rencontre lors de la Journée d’appel le sort presque de sa solitude… Décalé et engagé, un film jeune sur la jeunesse qui sait nous faire promener en 35 minutes plutôt contemplatives de choses bien vues. Stylisé avec son héros au visage drapé de blanc, le poétique Passant intégral du français Eric Harold a aussi séduit le public dans son regard pointu et nostalgique d’un grand figurant son son métier en train de disparaître.

Enfin, premier long-métrage de la compétition que nous avons pu voir à Belfort, Playing Men du slovène Matjaž Ivanišin avait déjà séduit le public du FID Marseille par ses belles images et son tour du monde des jeux qui mobilisent les hommes. Commençant par une séries d’images que l’on pourrait qualifier de clichés sur la lutte (corps huilés et entremêlés, douleur, travail sur soi…) ce film sans femme switche très vite vers un autre jeu expliqué par un prêtre italien où il s’agit de promener un… gros fromage. Les séquences d’hommes jouant dans le monde se poursuivent jusqu’à ce qu’à un moment le réalisateur apparaisse à l’écran pour nous expliquer qu’il ne sait pas très bien où il va. Qu’à cela ne tienne, la partie continue et les hommes non seulement jouent mais se confessent sur leur relation au jeu, avant que le replay de la victoire du tennisman Goran Ivanisevic à Wimbledon ne vienne clôturer ce joli jardin d’enfants où on ne troue pas d’adultes.

Autre film de la compétition, Ninato de l’espagnol Adrian Orr était projeté après le court Deter de Vincent Weber. Tranche de quotidien d’un chanteur de rap et père de trois enfants qui tente de concilier sa création et ses responsabilités, Ninato hypnotise par sa photo à la fois sombre et brillante et tient en tension par ses plans très resserrés qui interrogent de biais ou par une vue morcelle les états d’âmes de ses protagonistes. Un film troublant et attachant.

D’adultes et de femmes, on n’en trouve pas non plus dans le nouveau film de Damien Manivel qui avait décroché le Grand Prix Janine Bazin à Entrevues en 2016 avec Le Parc. Co-réalisé avec le japonais Kohein Igarashi, La première nuit ou j’ai nagé était présenté en avant-première à Belfort, après Venise. L’oeuvre suit le périple et les angoisses d’un petit garçon dont le père est poissonnier et que son départ à l’aube réveille et met sur les routes. Découpé en chapitres bien arrêtés, ce film poétique et méditatif permet de voir le Japon reculé à hauteur d’enfant.

A 20h30, le producteur Alexandre Gavras est venu présenter le premier long métrage de Xavier Legrand, Jusqu’à la garde, deux fois primé à Venise. Reposant sur le jeu éblouissant de Denis Ménochet et Léa Drucker, ainsi que de Thomas Gioria qui joue leur fils, Jusqu’à la garde, qui raconte le divorce des parents et l’écartèlement de leurs enfants, est un immense film, maîtrisé et glaçant sur la violence familiale. Sortie en salles chez Haut et Court le 8 février prochain.

Après un dîner animé dans la jolie bonbonnière de la Salle des Fêtes de Belfort (qui a été entièrement rénovée depuis l’an dernier), la soirée s’est finie à la Poudrière, sous le fort et l’œil du fameux lion de Belfort, pour un set dansant des Mighty Worm Rocking Dis Team, qui ont su nous faire passer d’Aretha Franklin aux Clash avec une grâce toute festive. Le retour à l’hôtel dans la neige épaisse avait un beauté irréelle.

visuels : YH

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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