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Interview : Discussion à propos du cinéma avec Jerry Schatzberg

Interview : Discussion à propos du cinéma avec Jerry Schatzberg

22 June 2017 | PAR Eloise Sibony

Avant de diriger Faye Dunaway, Al Pacino, Morgan Freeman ou encore Meryl Streep, Jerry Schatzberg était un photographe connu et reconnu. Il a participé au triomphe d’un cinéma d’auteur et audacieux dans l’Amérique des années 70 aux côtés de Cimino, Scorsese, ou Coppola. Éloïse Sibony l’a rencontré pour parler de sa carrière et du cinéma en général. 

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Pourquoi avez vous eu envie de réaliser des films et vous lancer dans le cinéma ? Pourquoi le passage de la photographie au cinéma vous a semblé nécessaire ?
J’avais une amie qui était mannequin à l’époque. J’étais en plein dans ma carrière de photographe et je travaillais pour Vogue quand ils m’ont demandé d’aller à Paris pour photographier leur collection. J’ai accepté bien sûr et je voulais emmener ce mannequin avec moi. Ils m’ont directement dit « Non, nous l’avons trop vu, on a vu sa tête de partout, on veut prendre quelqu’un de nouveau ». J’ai trouvé ça affreux de rejeter cette personne qui était aussi douée que n’importe qui, juste parce qu’on l’avait déjà vue et surtout ils ne le font pas très délicatement.. Ça l’a beaucoup affecté et j’y ai beaucoup pensé je me suis dis que beaucoup de mannequin passaient par la : elles ont une carrière formidable qui dure quatre ou cinq ans, on les traite comme des reines et d’un coup elles ne servent plus à rien. Je voulais faire quelque chose à ce sujet et ça a été le sujet de mon premier film. Aussi, à l’époque quelques producteurs de Los Angeles m’avaient demandé si je voulais être un consultant dans une émission de Télé inédite. Cela m’a pris que trois ou quatre minutes pour dire oui et je suis allé à Londres avec eux. Il n’y avait que 5 épisodes à cette émission spéciale et j’ai tellement aimé l’expérience qu’à mon retour à New York je me suis dis « C’est de cette manière que je veux raconter mon histoire… Par les films ! » J’ai commencé à parler à certaines personnes, me créer un réseau, faire des connexions…

 

Vous parlez de la façon dont les magazines traitent les mannequins, vous ne pensez pas que ce même traitement est aussi réservé aux gens de l’industrie du cinéma ?
C’est le même traitement pour tout le monde. Les hommes d’affaires par exemple, sont rejetés aussi à part si ils font gagner beaucoup d’argent. Des fois vous pouvez travailler dans une entreprise depuis vingt ans et l’entreprise peut vous dire « Bon, essayons avec quelqu’un d’autre ! ». Et dans mon métier je savais que ça se passait comme ça, c’est pour cela que c’est devenu le sujet de mon premier film.

Vous avez fait une grande carrière entant que photographe avant de vous lancer dans le cinéma. L’emprunte de la photographie est partout dans vos films et surtout dans « Panic a needle park » où il est possible de mettre pause sur chaque image alors qu’on est dans une veine très réaliste. Comment avez vous concilié votre style photographique et le portrait réaliste de l’Amérique ? Votre cadre est toujours d’une grande perfection alors que le film est très ancré dans la réalité
Vous savez si je m’asseyais avec vous et que nous regardions mes films je pourrais vous dire pourquoi j’ai fais telle chose à la place d’une autre et ainsi de suite. J’espère bien que ma vision de photographe se voit dans mes films. Je me rappelle d’un de mes désaccord avec mon directeur de photo sur L’épouvantail. Je lui ai dit que je voulais faire la scène d’une certaine manière et il n’avait pas aimé ma proposition, il pensait que cela devrait être différent et je lui ai dit « Non. A ce moment du film, l’émotion qui se joue est trop belle, trop bien, et je veux qu’elle soit photographiée de cette manière. » Donc c’est de mon ressort de décider ce qui est émotionnel, ce qui est sentimental et magnifique et je prends toutes ces décisions avec mon directeur de photo. Quand j’ai commencé à tourner L’épouvantail, je me suis assis avec mes directeurs de photo et je leur ai parlé de comment je voyais le film à ce moment là, dans le film il s’agit de deux hommes qui voyagent à travers l’Amérique et je voulais que la caméra soit en mouvement tout le temps que eux l’étaient , et le directeur de photo m’a dit « Je ne suis pas d’accord avec toi », nous avions différentes visions, il trouvait que le film était plus comme un conte de fée et il devait être photographié comme tel et moi à l’époque je me suis dis « comment je vais me débarrasser de ce gars… ». Je suis rentré chez moi, j’ai commencé à réfléchir a ce qu’il m’avait dit et je l’ai appelé le lendemain en lui disant « Je pense que finalement tu as raison. »

Vous recherchez l’émotion dans chaque images, chaque plans, cadres, scènes. Quand les spectateurs regardent vos films c’est vraiment ce qui le marque. Nous sommes impressionnés par les images. Dans « Panique à Needle Park » par exemple il n’y a aucune musique, juste des images et c’est vraiment touchant…
Il y a de la musique… la musique dans mon film c’est la rue. Il y a une anecdote que je trouve très amusante. Il y a des gens qui voulaient faire un documentaire sur moi, et je ne pensais pas qu’ils le ferait car il sn’avaient pas de lignée précise, peu importe. Je leur avait donné le contact de certaines personnes qu’ils pouvaient interviewer et ils m’ont ensuite envoyé les séquences. Un d’eux m’a dit « Je crois que j’ai foiré, j’ai pas eu une très bonne interview » alors je suis allé le voir, nous avons revu l’interview ensemble et dedans la personne disait « Je ne pense pas que Jerry n’aime pas le dialogue, il n’aime aucune forme de dialogue. » Je ne fais pas dans l’émotion avec les mots, je le fais avec des images. C’est comme ça que j’ai commencé, avec des images et du silence. De temps en temps il faut une réplique, ça ne marche pas toujours et on ne peut pas toujours le faire mais j’essaye d’avoir le moins de dialogue possible.

On se demande souvent pourquoi cette réception tiède de certains de vos films aux Etats-Unis alors que vous incarnez dans le monde entier l’un des membres les plus importants du cinéma d’auteur américain ? Avez vous eu conscience de participer au triomphe d’un cinéma d’auteur et audacieux dans l’Amerique des années 70 au coté de Cimino, Scoresese, ou Coppola ?
Moi je voulais juste faire des films. Je n’avais aucune intention de contribuer à quoi que ce soit, je ne savais pas que je faisais parti d’un mouvement, c’est juste arrivé à ce moment la. Il y avait un nombre de gosses qui sortaient d’école de cinéma et à Hollywood il ne voulait pas faire des films qui leurs coutaient des millions de dollars car ils échouaient et perdaient de l’argent. Et puis Easy Rider est sortie et a généré beaucoup d’argent, donc tout le monde s’est mis à vouloir faire son Easy Rider

 

Avec le recul vous réalisez maintenant que vous faisiez et faites parti d’un certain cinéma d’auteur ?
Oui bien sur. Cependant, ce n’était pas intentionnel pour moi ou Coppola ou Scorcesse. Ils ont fait une école à des endroits différents, l’un à New York l’autre en Californie. Mais il y a aussi eu beaucoup de gens talentueux qui n’ont pas fait d’école, Lumet n’en a pas fait. Il y a eu une transition à cette époque, on recherchait des talents. Aujourd’hui la plupart des acteurs viennent de la Télévision, à l’époque ils sortaient du théâtre, je ne pense pas qu’aujourd’hui ils sont très bien formés. Je ne les connais pas tous mais quand je voyais quelqu’un de talentueux je le reconnais et si j’étais en plein casting je les appelais. Je ne connaissais pas Meryl Streep par exemple avant qu’elle vienne me voir, elle n’avait rien fait de spécial encore. Elle tournait pour la série Holocaust, un jour nous déjeunions tranquillement et le lendemain les gens venaient la voir et la reconnaissaient. C’est pareil pour Morgan Freeman, quand on a fait ensemble La rue il n’avait pas fait de films avant mais il est venu me voir et il avait quelque chose qui m’a ému. Al Pacino, je l’ai vu pour la première fois sur scène et il m’a ému aussi. Ils avaient du talent, aujourd’hui ils sont très connus donc ils sont très demandés, mais j’ai contribué à la « première fois » de beaucoup d’acteurs. Faye Dunuway a fait d’excellents films mais je pense que Portrait d’une enfant déchue  est son meilleur film.

D’ailleurs vous avez vraiment lancé la carrière d’Al Pacino, qu’est ce que vous pensez aujourd’hui de ses choix cinématographiques ?
Je pense qu’ils sont mauvais. Hollywood adore séduire les grands talents, ils offrent beaucoup d’argent et arrivent à leur fin. Ils pensent savoir ce que le publique veut et sont capable de séduire les gens. Et dans le cas d’Al Pacino et d’autres personnes que je connais, ils ont perdu beaucoup d’argent donc il fait ce genre de film aujourd’hui pour maintenir un certain style de vie, et il a une sacrée vie ! Il a beaucoup de maisons, moi quand je l’ai rencontré il n’avais pas de maison donc il y a beaucoup de changements dans nos vies et pour certains ça devient nécessaire de gagner de l’argent pour maintenir un certain niveau de vie.

Vous racontiez à votre Master Class hier que quand « Portrait d’une enfant déchue » est sortie la critique américaine n’a pas beaucoup aimé alors que les français eux ont adoré et ont presque essayés de convaincre la critique américaine. Vous étiez connus en France et en Europe avant de l’être aux USA, comment vous l’expliquez ?
Je le suis toujours, plus connu en France qu’en Amérique. A part qu’auourd’hui certains critique ont changés d’avis sur certains de mes films, et que des jeunes viennent voir Portrait d’une enfant déchue et je suis très excité par leurs réactions. Je pense qu’a l’époque les gens n’ont pas compris le film.

Vous pensez que c’est un problème de compréhension, les critiques n’auraient pas captés le sens du film ?
Je ne suis pas sur. Les critiques de cinéma sont très intelligents, et peut-être qu’a l’époque ils n’avaient pas l’habitude de voir ce genre de films ou qu’ils étaient un peu prétentieux. Je ne suis pas dans leurs têtes, même si parfois j’aimerai ! Je pense que les français se reconnaissent peut-être dans certain de mes films car je m’inspire beaucoup d’eux, de la réalisateur de la nouvelle vague.

Pourtant, en regardant vos films il n’y a aucunes similarités avec les films Français de la nouvelle vague…
Vous savez il y beaucoup de jeunes gens, disons que je les inspire. Et quand je vais voir leurs film je ne voit vraiment pas ce dont ils se sont inspirés. Moi j’étais inspiré par Fellini, Truffaut, Godard et mes films n’ont rien à voir, pourtant ils m’ont inspirés, c’est la même chose.

Vous vous tenez au courant de l’actualité cinéma, vous allez souvent au cinéma ? Qu’en pensez vous ?
Oui j’y vais, même si je suis souvent déçu… Je pense que la chose la plus importante pour un film c’est le scénario, enfin c’est mon avis. Le sujet et le scénario sont pour moi les deux choses qui comptent le plus dans un film.

Vous pourriez citer un film récent que vous avez vu et qui vous a plu ?
Je n’arrive même pas à me souvenir ce que j’ai mangé au petit déjeuner. Parfois je regarde mes propres films et je ne me rappel même pas de la scène d’après. J’ai une mémoire assez étrange, si on me parle de quelque chose qui est arrivée il y a trente ans ça par contre je m’en souviendrais. Cependant, je me souviens des visages.

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