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[Interview] Adilkhan Yerzhanov : “C’est difficile pour moi de continuer, mais je ne peux pas ne pas le faire”

[Interview] Adilkhan Yerzhanov : “C’est difficile pour moi de continuer, mais je ne peux pas ne pas le faire”

15 September 2018 | PAR Geoffrey Nabavian

Son sixième long-métrage, La Tendre Indifférence du monde (dans les salles françaises le 24 octobre), a été remarqué à Cannes 2018 (notre dossier ici). A l’Etrange Festival 2018, le réalisateur kazakh a pu cette fois présenter tous ses films précédents, aux scénarios inattendus et très divers.

Comment s’est passée la présentation de La Tendre Indifférence du monde à Cannes 2018 (à Un Certain Regard), et qu’attendez-vous de cette invitation que vous offre l’Etrange Festival 2018 ?
Adilkhan Yerzhanov : A Cannes, j’ai été étonné par le public : j’ai pu voir combien les professionnels présents aimaient le cinéma des autres, et combien ce public était reconnaissant. A l’Etrange Festival 2018, c’est un compliment pour moi de pouvoir montrer l’ensemble de mes films : c’est une chance inespérée, et un gros support, qui doit me donner de l’inspiration pour continuer.

Vous avez signé, entre autres, six longs-métrages en sept ans. Dans votre façon de travailler sur un film, quels sont les éléments constants ?
Adilkhan Yerzhanov : Pour certains spectateurs, mes films sont tous à peu près identiques. Pour d’autres, ils n’ont rien en commun. Ce que je recherche avant tout, quand je commence à tourner, c’est un réalisme caricatural. Je cherche toujours à transmettre la vérité, par des moyens qui ne font pas forcément véridiques. Je traque aussi la magie qui survient dans la réalité : une lumière qui passe sur des visages d’enfants, par exemple, ou, dans La Tendre Indifférence du monde, un amour qui existe entre mes personnages, et qui est en vérité éternel.

Vous avez abordé de nombreux genres dans vos scénarios : le film de voyage dans le temps (Realtors), le fantastique (The plague at the Karatas village), le film de fin du monde (Night God)… Quelles sont vos influences ?
Adilkhan Yerzhanov : Elles viennent en partie de bandes dessinées que je réalisais quand j’étais enfant. Mais pour ma part, je n’ai jamais eu l’impression de faire « quelque chose de fantastique ». Pour moi, ces choses que je représente sont du domaine réaliste.

Diriez-vous que La Tendre Indifférence du monde est plus triste que vos précédents films ?
Adilkhan Yerzhanov : Au sein de ce film, je suis plus en empathie avec les personnages. C’est la première fois que je montre, de façon ouverte, que j’éprouve la même chose que mes protagonistes, alors que dans mes films précédents, je me cachais derrière une forme d’ironie.

Les deux acteurs principaux de ce film sont magnifiques. Qui sont-ils ?
Adilkhan Yerzhanov : Dinara Baktybayeva est une star au Kazakhstan, et elle a accepté de tourner pour moi, dans des conditions de cinéma d’auteur, sans honoraires supplémentaires. Et elle a été la plus disciplinée sur le plateau. Kuandyk Dussenbaev, lui, venait de terminer une école d’acteur, et n’avait jamais eu de premier rôle. Je l’ai choisi parce que c’est un grand gaillard un peu rustre, et parce qu’il a quelque chose de très enfantin au fond de lui. Ce mélange était vraiment intéressant. Il y a une vraie douleur dans les deux personnages, et ces deux acteurs m’ont aidé à réaliser le film tel que je le voyais.

Le film parle-t-il d’une perte culturelle, au sein du Kazakhstan actuel, ou d’une perte de valeurs ?
Adilkhan Yerzhanov : Je ne voulais pas évoquer une perte de culture. Par contre, je parle de la perte d’une forme de moralité, oui : au Kazakhstan comme ailleurs, nous sommes dans le règne de l’argent et du pouvoir. Certaines personnes pensent maintenant qu’il n’existe même pas d’autres valeurs. C’est problématique, pour moi, que les gens doivent choisir entre l’honneur et l’intérêt.

Le dogme du « Cinéma Partisan », crée en partie par vous il y a quelques années, existe-t-il encore ?
Adilkhan Yerzhanov : Je pense qu’il s’est un peu essoufflé, parce qu’il est peu pratiqué, aujourd’hui : peu de jeunes réalisateurs kazakhs rentrent dans cette mouvance. Il avait trois critères : des tournages sans budget, des thèmes sociaux et engagés, et une recherche de nouvelles formes. Je pense aujourd’hui que le premier point n’était pas nécessaire : on a toujours besoin d’un budget, même petit. Je continue donc à faire mes films en accord avec les éléments numéro deux et trois. Au Kazakhstan, il y a des réalisateurs qui font des films en respectant le premier point, mais pas les deux autres.

Est-ce difficile pour vous, aujourd’hui, d’être réalisateur au Kazakhstan ?
Adilkhan Yerzhanov : Je suis de fait à contre-courant, et aucun média ne parle de moi, au Kazakhstan. Même quand mon film était à Cannes, malgré le fait que le gouvernement a toujours envie d’être représenté dans ce festival, ils ne m’ont pas soutenu, à cause du type de cinéma que je fais. Il y a une forme de censure sur mes œuvres, au sein de tous les médias du pays. C’est donc difficile pour moi de continuer, mais je ne peux pas ne pas le faire. Je vais donc continuer, au Kazakhstan, car c’est mon pays, et j’aime cet environnement et cette société.

Propos recueillis par Geoffrey Nabavian.

La Tendre Indifférence du monde sortira dans les salles françaises le 24 octobre.

La vingt-quatrième édition de l’Etrange Festival se poursuit jusqu’au 16 septembre.

Visuel : détail de l’affiche de La Tendre Indifférence du monde

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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