Cinema
Hiner Saleem réinvente le western sur les hauteurs de l’Asie centrale : My Sweet Pepperland

Hiner Saleem réinvente le western sur les hauteurs de l’Asie centrale : My Sweet Pepperland

26 June 2013 | PAR Smaranda Olcese

MSPL_PHOTO 16_001

Avec une liberté de ton jubilatoire  Hiner Saleem s’empare des codes du western : ses héros se détachent magnifiés par des paysages rocailleux à couper le souffle et les derniers remous d’un arrière pays en voie de pacification transforment leur histoire d’amour aussi simple qu’émouvante en un conte moderne qui en dit long sur les aspirations d’avenir du Kurdistan.

Perché sur les contreforts des montagnes Zagros et sur les hauts plateaux d’Asie Centrale, le Kurdistan irakien trouve son autonomie en 2003, dans le sillage de la troisième guerre du Golfe. D’énormes gisements de pétrole constituent la première richesse de ce jeune pays encore tiraillé entre lois archaïques et loi écrite. Dans la pure tradition du western, revisitée encore récemment par les frères Cohen, la séquence inaugurale du film, cramée par un soleil de plomb, met en scène une exécution, la première placée sous les auspices du pouvoir central. Hiner Saleem y déploie son gout bien connu pour l’absurde, occasion pour le réalisateur de dresser une première ébauche, forte de gros plans référencés et non dépourvue d’humour, des institutions encore balbutiantes du nouvel état.

MSPL_PHOTO 08My Sweet Pepperland démarre ainsi comme le film d’un amoureux du cinéma – hommage contemporain aux grands westerns de l’âge d’or d’Hollywood. Hiner Saleem se garde farouchement de tomber dans des écueils formalistes et prend un plaisir communicatif, presque enfantin, à rejouer les codes du genre. La force indéniable de ce film vient du fait que le réalisateur sait rester au plus près de ses personnages, au plus près également d’une nature grandiosement sauvage, qu’il filme à rebours de tous les poncifs lisses, esthétisants, pour restituer sa puissance primaire – rugueuse, accidentée, difficile – jusqu’à sa respiration à la foi glacée et brulante, tel le rythme envoutant des percussions instillées dans le brouillard de la montagne qui font écho aux appels poignants de la séquence des retrouvailles finales. Le charme irrésistible de My Sweet Pepperland surgit de ses aspérités mêmes, des ellipses parfois brutales qui ravivent le plaisir de l’imagination.

CHOIX_MARC.00086405La tessiture des personnages est saisissante à plus d’un titre. Hiner Saleem trouve un subtil équilibre entre ce qu’ils ont de terriblement fragile, touchant et habité jusque dans leurs hésitations – telle Govend, incarnée par Golshifteh Farahani, magnifique dans le rôle de cette institutrice libérée et insoumise – et ce côté quelque peu trapu, mal dégrossi, qui les rend incroyablement beaux dans l’énergie élémentaire de leur présence. L’alchimie fonctionne d’ailleurs à merveille avec Korkmaz Arslan, jeune acteur kurde vivant en Allemagne sur qui le réalisateur a jeté son dévolu une semaine avant le début du tournage. Hiner Saleem aime avant tout conjurer les sorts, saisir l’imprévu et délivrer la magie silencieuse d’un échange de regards. En tension dynamique avec les éclats belliqueux sur les sentiers escarpés de montagne et dans les lits de rivières, l’image accueille la grande retenue et la délicatesse d’une relation amoureuse naissante qui bouleverse les coutumes rétrogrades et plaide la cause de l’émancipation de la femme. Chez le réalisateur, d’origine kurde, qui se dit volontiers citoyen du monde, une fine compréhension des enjeux socio-économiques de son pays natal nourrit en profondeur, sans pour autant l’étouffer, la pulsion fictionnelle qui s’affranchit avec superbe de toute contrainte naturaliste. La musique, dans un heureux éclectisme, allant des tubes d’Elvis Presley à des vieux morceaux de chanson française ou encore à des chants traditionnels en passant par les variétés locales, confère une troublante épaisseur aux personnages bercés dans des envolées lyriques à la mesure du paysage.

Remarqué lors de la dernière édition du festival de Cannes, dans la sélection Un Certain Regard, My Sweet Pepperland, lauréat du prix du public au festival de Cabourg, sortira en salles début octobre.

La Maison de la poésie achève son ouverture de saison en apothéose
Les Pieds Nickelés au Tour de France de Roland de Montaubert et René Pellos
Smaranda Olcese

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration