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[Étrange Festival] “Kuso” de Flying Lotus : un sommet de cinéma négatif, drôle et touchant également

[Étrange Festival] “Kuso” de Flying Lotus : un sommet de cinéma négatif, drôle et touchant également

10 September 2017 | PAR Geoffrey Nabavian

On nous promettait qu’on allait voir la projection de l’un des films les plus étranges de tous les temps. On est sorti de Kuso amplement convaincu : ce long-métrage réalisé par le musicien electro Flying Lotus est furieux, répugnant, morbide, mais aussi habité par de beaux personnages étranges. Et tellement jusqu’au-boutiste, qu’il en devient bien drôle… A revoir le samedi 16 septembre à L’Étrange Festival 2017, au cours de la 23e édition de l’événement.

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Dans le monde de cinéma imaginé par le musicien electro Flying Lotus, le monde, tel que nous le connaissons, s’effondre. D’emblée. Plusieurs tremblements de terre secouent les villes américaines, un grand vaisseau extraterrestre aux allures de boyau vole dans le ciel, et tout le monde, absolument tout le monde, a le visage attaqué par des maladies de peau. C’est dans ce contexte désespéré que prennent place plusieurs récits : celui d’une femme et d’un homme noirs, dans un appartement pourri, qui font l’amour en s’étranglant ; celui d’un étrange petit homme frustré au visage gonflé, qui vit dans une forêt, et se trouve un jour, à son école, pris d’une soudaine envie de déféquer, avant de découvrir, dans un coin perdu du bois, d’étranges anus géants, avec qui il va commencer à communiquer ; celui d’une femme qui s’exprime par borborygmes, vit dans un taudis, et croque un jour un cafard, avant de se retrouver dans la peu de cet insecte, en voyage à travers son propre tube digestif ; et celui d’une jeune femme marginale vivant dans une maison avec deux simili-Chewbaccas multicolores dotés d’écrans de télé à la place du visage, qui voit son amant lui parler à travers ses toilettes, et rencontre bientôt, dans une clinique dont le sigle est un cintre, un homme atteint par une étrange phobie, soigné grâce à une étrange technique.

Kuso est un film fou. Le monde visuel de Flying Lotus est furieux, répugnant, et morbide. Mais ces histoires, qui s’entrecoupent les unes les autres, et qui comptent pour certaines peu de dialogues, sont si bien jouées par leurs interprètes, engagés jusqu’au bout, et filmées avec une telle finesse de regard, une telle âme, un tel corps et âme avec les êtres décrits, qu’on marche à la suite de ceux-ci. On reste curieux de leurs destins, et on admire la complaisance bel et bien évitée par l’artiste. Si Kuso est fou, il n’en est pas moins touchant, car soutenu par un très beau travail musical, mêlant electro, jazz, rock ou musique de jeu vidéo. Et souvent drôle, car tellement loin du réalisme qu’on ne peut que s’y amuser.

Certes, au sein du magma qu’il nous présente, certains passages traînent la patte. D’autres sentent trop la blague dégueulasse. Mais on reste marqué par les récits qu’il offre, et par des fulgurances : une impro façon jazz brillante et folle furieuse, sur la fin du monde ; une chute de corps dans un tube noir, façon jeu vidéo, intense, morbide et belle ; la fameuse thérapie offerte à l’homme complexé ; et cette séquence hallucinante, à étirer les bouches les plus tenaces, qui voit la femme-cafard avalée par un étron avec un visage, et voyager, en simili-3D, à l’intérieur de cette crotte. Difficile à oublier. Et si on avance que Kuso constitue un sommet de cinéma négatif, c’est qu’il compile insultes, merdes en tous genres et vermines de manière réellement compulsive. Pour évoquer en creux certaines thématiques, obsessions, hantises. Les naissances, par exemple : il semble que Flying Lotus ne les juge plus guère nécessaires, car vouées à un monde noir et désespéré… Mais s’il demeure négatif à l’extrême, Kuso n’en reste pas moins plus ludique que, par exemple, Salo ou les 120 journées de Sodome. Rire de l’horreur ? Un programme pas destiné à tous, mais que le film accomplit, très, très bien.

L’Etrange Festival 2017, 23e édition de la manifestation, qui se tient au Forum des images à Paris jusqu’au 17 septembre, Kuso repasse le samedi 16 septembre à 22h. Étrange Festival, où nous allons chercher la perle rare 2017, qui viendra à la suite, en ce qui concerne les éditions précédentes, de Il est difficile d’être un dieuI am hereWhere horses go to die.

Kuso, un film expérimental réalisé par Flying Lotus. Interdit aux moins de 16 ans. Durée : 1h34.

Visuels : © Brainfeeder films

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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