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Et les Mistrals Gagnants: L’enfance au cœur d’un documentaire poignant – Rencontre avec Anne-Dauphine Julliand

Et les Mistrals Gagnants: L’enfance au cœur d’un documentaire poignant – Rencontre avec Anne-Dauphine Julliand

29 January 2017 | PAR Gregory Marouze

Toute la Culture a envie de soutenir un film qui ne sera peut-être pas le plus médiatisé de la semaine : Et les mistrals gagnants ! Ce documentaire réalisé par Anne-Dauphine Julliand est un film en immersion. Durant plusieurs semaines la réalisatrice a filmé des enfants aux maladies incurables. Quand on n’a pas vu le film, le sujet peut faire peur. Mais Anne-Dauphine Julliand, qui a connu la perte d’une enfant, trouve la bonne distance pour nous conter les histoires de ces gamins incroyables ! Critique du film et rencontre avec Anne-Dauphine Julliand par Toute la Culture !

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On ne réalise pas un documentaire comme Et les mistrals gagnants par hasard. Anne-Dauphine Julliand a connu l’impensable: sa petite fille, Thaïs, porteuse d’une eucodystrophie métachromatique, meurt en 2007. Anne-Dauphine Julliand l’a raconté dans un livre Deux petits pas sur le sable mouillé, suivi d’un autre Une journée particulière. Pour la première fois, l’écrivaine délaisse l’écriture et s’exprime par le biais du cinéma.

Anne-Dauphine Julliand :  J’avais imaginé écrire mais ça ne me satisfaisait pas, finalement. De les faire écrire (ndr : les enfants) ou de les faire raconter. En plus, je trouve que visuellement, c’est tellement incroyable, fort, de les voir passer du rire au larmes, de les voir continuer à être heureux, de les voir continuer à être plein de vie ! Les voir, c’est plus fort que de les entendre, les lire. Quelque chose de figé, finalement. La vie a aussi besoin d’être montrée en mouvements aussi. Le support d’un film était parfait pour ce sujet.

La force de Et les mistrals gagnants, on la trouve évidemment dans ses personnages (on parle aussi de personnages pour un documentaire). Anne-Dauphine Julliand suit les enfants durant tout la durée du métrage. Quelque soit la qualité de réalisation du film, il fallait évidemment trouver les enfants que les spectateurs puissent suivre durant presque 1h30. Dans un documentaire, comme dans une œuvre de fiction, il ne peut y avoir d’erreurs de « casting ».

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Anne-Dauphine Julliand : Je me suis appuyée sur des réseaux de confiance que j’avais tissé dans mon expérience. Personnelle et professionnelle à travers le livre. Des équipes de médecins, des associations telles que Petits Princes, des psychologues, des gens qui vivent au contact des enfants malades. C’est à eux que je présentais le projet ! C’est eux, finalement, que je devais convaincre. En tout cas, c’est eux que je devais interroger. Et c’est incroyable ils m’ont tout de suite dit « Le projet me fait penser à tel enfant ! ». Ensuite, c’est eux qui en parlaient aux familles, qui me contactaient une fois qu’elles étaient d’accord. Ce qui est incroyable c’est que j’ai rencontré six enfants ! Il y en a un dont j’ai vite compris que son état ne permettrait pas le tournage. Je n’ai donc pas choisi parmi un large spectre d’enfants. Ces cinq enfants sont les cinq enfants du tournage.

On tombe immédiatement en empathie pour ces gamins. Non pas parce qu’ils sont malades, qu’on a pitié d’eux. NON ! Parce que Ambre, Camille, Charles, Imad et Tugdual ont un charme dingue ! Ils ont tous un humour dévastateur, un charme fou, un charisme dont rêverait n’importe quelle star de cinéma. Cela dit, Anne-Dauphine Julliand n’oublie pas qu’elle filme des enfants (très malades) dans un hôpital. Elle n’occulte pas leur souffrance – certaines scènes sont éprouvantes – mais ne sombre jamais dans le pathos.

Ce qui l’intéresse c’est avant tout de nous faire découvrir les rêves, l’enthousiasme de ces gosses. Et les mistrals gagnants s’attache à recueillir la parole des enfants, à filmer leur force de vie, leur enthousiasme, malgré la maladie. Pour autant, on est surtout frappé par la maturité et la grande intelligence de ces gamins âgés de six à neuf ans.

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Anne-Dauphine Julliand : J’en ai côtoyé beaucoup via différentes associations dont je fais partie et dans le cadre de mon livre. Les gens qui les approchent disent qu’ils ont tous cette maturité là ! Il y en a qui ont plus de mal à s’exprimer parce que parfois il y a un contexte familial, ou une prise en charge qui fait que l’enfant ne se sent pas le droit d’aborder certains sujets dont les parents ne parlent pas. J’étais en Belgique et j’ai discuté avec un pédopsychiatre (quand j’élaborais le sujet). Il me dit : « Tous les enfants sont sages, ont cette sagesse ! » Ont cette sagesse, cette conception de la vie limpide, facile, évidente. Tous les enfants vous disent « Quand je serai mort, quand tu seras mort ». Il n’y a pas de drame. Ça fait partie de la vie. Ils sont conscient de ce qui fait partie de la vie. Et surtout, ils vivent l’instant présent. Et c’est ce qui leur permet d’être heureux dans la vie. Ensuite, chez un enfant malade, cette sagesse vient se patiner de maturité. Et cette maturité, c’est ça qui fait qu’on entend des phrases incroyables. Ce qui est amusant, c’est qu’on a eu des spectateurs assez jeunes (entre six et dix ans), qui ont l’âge des petits qu’on filme. Pour eux, ça n’a rien d’extraordinaire. Ils aiment le film et le trouvent très drôle. Mais ils trouvent ça normal. Quand Camille dit « Quand je serai morte, je ne serai plus malade » Nous, adultes, on est saisis par cette phrase. Mais les petits disent « Ben oui, c’est normal ! Quand il sera mort, il sera plus malade ».

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On s’en voudrait de ne pas parler CINÉMA. Anne-Dauphine Julliand réalise Et les mistrals gagnants à hauteur d’enfant, la lumière de son film – à l’image de l’affiche – est lumineuse. Des options qui collent parfaitement à la force vitale de ces gamins.

La réalisatrice s’impose également une véritable éthique de réalisation.

Anne-Dauphine Julliand : « Moi ce que je voulais c’est qu’il n’y ait qu’une caméra, pour que l’enfant sache à qui s’adresser, sache d’où on le filmait et que, surtout, s’il avait envie de sortir du champ, il puisse sortir sans qu’on le « traque ». Sans qu’il se dise « Si je vais là, il y a encore une caméra qui peut me suivre». Il fallait que ce soit vraiment lui qui soit maître de cette image là ».

Et les mistrals gagnants est une belle surprise. Un film qui ne révolutionne pas le genre documentaire, mais dont l’intégrité et la sincérité touchent au cœur.

Grégory Marouzé

Synopsis : Ambre, Camille, Charles, Imad et Tugdual ont entre six et neuf ans. Ils vivent dans l’instant. Avec humour et surtout l’énergie optimiste de l’enfance, ils nous prennent par la main, nous entrainent dans leur monde et nous font partager leurs jeux, leurs joies, leurs rires, leurs rêves, leur maladie. Un film à hauteur d’enfant, sur la vie tout simplement.

Et les Mistrals Gagnants de Anne-Dauphine Julliand

Avec Ambre, Camille, Charles, Imad et Tugdual

Musique originale : Rob

Documentaire

Durée : 79 minutes

Sortie le 1er février 2017

Le film est sous-titré pour les personnes sourdes et malentendantes.

Visuels: Nour Films

Photo Anne-Dauphine Julliand: © Bernard Bisson

ET LES MISTRALS GAGNANTS – Film-annonce from Nour Films on Vimeo.

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Motion Picture de Lucy Guérin
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Gregory Marouze
Cinéphile acharné ouvert à tous les cinémas, genres, nationalités et époques. Journaliste et critique de cinéma (émission TV Ci Né Ma - L'Agence Ciné, Revus et Corrigés, Lille La Nuit.Com, ...), programmation et animation de ciné-clubs à Lille et Arras (Mes Films de Chevet, La Class' Ciné) avec l'association Plan Séquence, Animateur de débats et masterclass (Arras Film Festival, Poitiers Film Festival, divers cinémas), formateur. Membre du Syndicat Français de la Critique de Cinéma, juré du Prix du Premier Long-Métrage français et étranger des Prix de la Critique 2019, réalisateur du documentaire "Alain Corneau, du noir au bleu" (production Les Films du Cyclope, Studio Canal, Ciné +)

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