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[Dossier Rêve] Le rêve au cinéma : Jeux d’onirisme

[Dossier Rêve] Le rêve au cinéma : Jeux d’onirisme

04 July 2017 | PAR Joanna Wadel

À l’instar de la littérature, le rêve au cinéma revêt une dimension initiatique. Ainsi, beaucoup de films utilisent l’onirisme comme passerelle entre le monde rationnel et un univers fantastique, un envers symbolique qui agit comme le révélateur de vérités enfouies dans les méandres de notre conscience. Une ambiguïté qui trouble les frontières entre le rêve et la mort, l’existence et le fantasme. Retour sur une sélection de 3 films qui ont su transcender ce rapport culturel et spirituel de l’être au rêve. 

Au-delà de nos rêves, « What dreams may come » de Vincent Ward, (1998)

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Échec financier, succès visuel, l’opus pictural de Vincent Ward sorti en 1998 pourrait avoir inspiré Christopher Nolan pour Inception, une autre plongée spectaculaire au cœur du subconscient. Si sur le papier, le film traite davantage du trépas que du sommeil – au travers de l’histoire de Chris Nielsen (Robin Williams) un psychiatre qui suite à la disparition brutale de ses enfants, décède lors d’un tragique accident de la route, laissant son épouse en proie à la dépression – il est plus complexe qu’il n’y paraît et aborde la question de « l’après » par le prisme du rêve. Si bien qu’il est difficile de distinguer la réalité du fantasme. Les souvenirs de Chris, restes d’une vie passée qui s’est achevée avant que le film ne débute, se présentent sous forme de flashs-back romanesques où la lumière et les couleurs sont décuplées, le tout dans un cadre enchanteur. À tel point qu’on est en droit de douter de l’authenticité de ces moments contés. Ces aléas fugitifs ont-ils vraiment eu lieu ? Car la vie réelle n’est abordée que par le regard du psychiatre.

L’au-delà, mort rêvée ou rêve éveillé ?

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Autre niveau de lecture, fantastique cette fois, la représentation de l’au-delà. Comme l’indique le titre, le sujet est largement exploité et l’au-delà de Vincent Ward comporte de nombreuses accointances avec le rêve. Le paradis de Chris se trouve être une sorte d’ailleurs idyllique, une cité picturale située dans l’un des paysages peints par son épouse. Le héros se retrouve donc propulsé à l’intérieur de la toile, dans la composition, en contact avec sa matière, la peinture, qu’il fait se plier à son imagination fertilisée par la joie de l’évasion. Comme il l’aurait fait dans un rêve. Lorsqu’il comprend que son épouse suicidée ne pourra jamais le rejoindre dans cette utopie, Chris prend la décision de partir à sa recherche pour la ramener des limbes, dans la maison qu’ils ont toujours voulu habiter, celle de leurs rêves… Mais dans l’au-delà. Ce rapport à la mort comme un rapport au rêve, reflet de nos désirs éveillés plus ou moins enfouis, donne au film une portée onirique, retranscrite dans une quête initiatrice faite des souvenirs de la vie terrestre de Chris, qui en apprendra bien plus sur sa famille qu’il n’en savait de son vivant. Révélations, apparences trompeuses, symboles, temps infini, frontières physiques et psychiques troubles, l’au-delà de Vincent Ward possède tous les attributs du rêve et agit comme un songe éternel, représentatif d’un réel alternatif qui fait sens. Le film serait-il la démonstration que rêver, c’est « voir au-delà » ?

Là-Haut, « Up » de Pete Docter et Bob Peterson, (2009)

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Avec cette aventure excentrique qui voit l’existence de Carl, vieillard grincheux, se transformer en voyage fabuleux lorsqu’il prend la décision de réaliser le rêve qu’il partageait avec sa défunte épouse Ellie, Pete Docter et Bob Peterson propulsent au rang de poésie pure ce qui devait être un énième film d’animation ludique sorti de la fabrique des studios Disney-Pixar. Bien plus qu’un petit chef d’œuvre, Là-Haut est l’un des premiers films des studios Pixar dont on peut considérer qu’il s’adresse davantage aux adultes qu’aux enfants. Car derrière l’histoire insolite d’un grand-père qui attache des ballons au toit de sa petite maison pour la sauver d’une éventuelle démolition, se cache un conte symbolique teinté de mélancolie existentielle.

Le rêve d’une vie

Up-Pixar

Ici, il est question de représenter, mais surtout de donner un sens au rêve. Si le premier quart du film est réaliste, voire assez pragmatique, montrant les affres de la vieillesse et sa solitude, Là-Haut bascule subitement. Alors que Carl s’endort, il plonge dans une dimension surréaliste qui a tout du rêve. Le rêve de jeunesse du couple étant de vivre au bord de chutes paradisiaques situées en Amérique du sud, que Carl nomme « Paradise falls », « Chutes du Paradis ». Le veuf, accompagné d’un petit scout en mal d’aventure, va donc tenter de faire atterrir sa bâtisse volante sur une falaise d’où tombent les fameuses chutes, laquelle surplombe une jungle merveilleuse. Un paysage paradisiaque qui représente pour le héros l’aboutissement de toute une vie. Son aventure, son rêve. Mais alors qu’il y parvient enfin, plongé dans un univers irrationnel peuplé de créatures absurdes et chimériques, il découvre dans l’album photo qu’Ellie avait fait pour lui, un dernier message de celle-ci, qui montre qu’après leur folle jeunesse portée par le rêve de découvrir un jour Paradise Falls, est venu le temps de la vie. Petit à petit, les rêves d’enfants ont été remplacés par le quotidien paisible d’adultes vieillissants, une routine paisible loin de tout soucis qu’elle considère comme son aventure et son vrai rêve. Là-Haut n’est donc pas si désuet que cela, jouant sur l’imaginaire pour caractériser le rêve et le confronter à la réalité de l’existence. La vie, qui malgré un désir d’utopie, reste une belle aventure. Le rêve ne serait donc qu’un moyen de se construire et d’atteindre ses objectifs afin d’accéder au bonheur ? Un joli message délivré tout en fantaisie et maturité grâce à la magie des studios Disney-Pixar.

Real de Kiyoshi Kurosawa, (2013)

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Opus lyrique et mystérieux du réalisateur japonais Kurosawa, spécialisé dans le thriller fantastique, Real joue sur la frontière entre le réel et les apparences, que l’illusion se situe dans les détails du quotidien ou dans notre subconscient, bien moins prévisible qu’on pourrait le croire. Le film nous invite à pénétrer le quotidien esseulé de Kôichi, un jeune homme dont la femme, talentueuse mangaka, est plongée dans le coma depuis un an, des suites d’une chute que l’on suppose volontaire. Tiraillé par sa solitude et le manque d’explication, Kôichi cherche à savoir pourquoi Atsumi était si malheureuse, comment expliquer son geste ? Ainsi, il participe à une expérience scientifique inédite qui l’aide à entrer en contact avec sa femme en sondant son subconscient. Le jeune homme va bien vite s’apercevoir que l’esprit de son épouse recèle d’éléments inquiétants, qui témoignent d’un tourment on ne peut plus profond que celui d’une simple dessinatrice obsédée par son travail.

Dialogue cognitif : Quand s’aimer c’est aussi partager une réalité

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Real est un film romanesque, éminemment fantastique, qui traite de l’onirique comme d’une passerelle entre la réalité et le sens caché des choses. Kurosawa use de l’esprit et des réflexes sensibles de la mémoire humaine pour bâtir un puzzle énigmatique que le héros s’applique à déchiffrer, espérant trouver la clef de la porte mentale, en l’occurrence le croquis d’un plésiosaure, qui lui permettra de délivrer sa femme du repos éternel. Ainsi, Real représente l’inconscient comme un rêve, nous entraînant au cœur de la pensée des personnages, qui, profondément endormis, communiquent en créant des espaces incongrus à partir de souvenirs. Ils déconstruisent pièces et paysages, les peuplent d’étranges silhouettes errantes et muettes, dématérialisent le temps et leur environnement pour en faire une sorte de dédale de symboles, exhumant leurs démons passés, des moments qu’ils avaient oublié enfants, pour atténuer la cruauté d’une réalité trop douloureuse ou effrayante. Un univers kaléidoscopique qui peut faire écho à des œuvres similaires, comme Inception, montrant le côté incontrôlable de la conscience. Une exploration de l’inconnu avec sobriété et élégance.

Trois films, trois couples, dont les rêves communs tissent des liens étroits entre nos vécus, nos désirs, nos croyances et la fonction du rêve, qu’elle soit scientifique, romanesque ou spirituelle. 

Visuels : What Dreams May Come © PolyGram Filmed Entertainment – Up © Walt Disney Studios Motion Picture France – Real © Condor Films

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Joanna Wadel

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