Cinema
[Critique] « Dark Touch » : tentative de « film d’horreur de réflexion » à éviter

[Critique] « Dark Touch » : tentative de « film d’horreur de réflexion » à éviter

28 February 2014 | PAR Geoffrey Nabavian

Qu’est-il arrivé à Marina de Van ? Grande habituée des sujets forts et dérangeants, elle a eu envie, pour son nouveau film, tourné avec une équipe anglaise, de parler des enfants maltraités, sujet ô combien légitime au cinéma. Cependant, elle confie qu’elle a immédiatement pensé, pour la forme, au genre fantastique. Elle n’aurait pas dû… En lieu et place d’une émotion dure et belle, qui nous alarmerait sur le sort des enfants victimes, on en ressort avec une tenace envie de vomir. Autopsie d’un ratage total.

[rating=0,1]

Dark TouchMarina de Van (Dans ma peauNe te retourne pas) est sûrement partie d’une bonne intention pour réaliser Dark Touch. Le sujet de ce troisième film est l’enfance maltraitée, et dans un entretien accordé à Claire Vassé, la réalisatrice fait part d’idées intéressantes: les objets domestiques les plus communs qui cachent le mal fait aux enfants, l’envie de matérialiser les souvenirs enfouis, le fait d’être dépassé par une émotion… De toutes les façons, le sujet mérite d’être traité. Alors d’où vient que la vision de Dark Touch se transforme en purge ? De la forme adoptée, tout simplement.

Neve, petite fille brune, se trouve confrontée à un phénomène bizarre: dans les maisons où elle habite, les objets domestiques deviennent fous et se mettent à attaquer les humains. Un soir, ils massacrent ses parents. Recueillie par leurs meilleurs amis, elle voit le phénomène continuer… Un scénario de film d’horreur, donc. On ne va pas tout vous dévoiler: on vous dira juste que le paranormal est en réalité symbolique. Il n’est qu’un prétexte pour traiter la thématique de fond. Pourquoi pas. Sauf qu’au final, en lieu et place du plaisir ou de l’émotion, on a un dégoût total.

Pourquoi ? Parce qu’un film d’horreur tétanise. Il ne laisse pas la place pour que naisse une émotion personnelle: il en fabrique déjà une. Donc, impossible de réfléchir, ou de s’attacher au personnage principal. Que dire en fin de compte sur le déroulement de Dark Touch ? Que d’un film fantastique, avec des passages horrifiques, pas très original -personnages stéréotypés, révélations décevantes et surtout situations vues, vues, vues et revues- on passe, dans ses dernières minutes, à une sorte de film de vengeance, par l’intermédiaire de l’un des finals les plus nauséeux qu’il nous ait été donnés de voir sur un écran. Un final qui donne, de surcroît, sur la scène d’ouverture, un éclairage qu’on n’est pas heureux de connaître… Auparavant, une scène d’effondrement dont le sens paraît totalement incongru et gratuit…

A ce niveau, ce n’est plus dérangeant, c’est repoussant. Ce n’est pas sous cette forme qu’on peut entendre son cri de détresse, à Neve. Beaucoup trop d’effets léchés, « chocs ». Des effets de film d’horreur. On a l’impression de se retrouver face à un ersatz des Charles Bronson des années 1980, prônant la vengeance individuelle…

Souvenez-vous de The war zone, film de Tim Roth sorti en 2000. Film sur un inceste, qui nous amenait à regarder ce qu’on se refusait à voir. Mais sans aucune complaisance. Dans des images épurées et terribles, et avec de vrais personnages. Et de l’air, des moyens de revenir à soi pour construire une réflexion, porter un autre regard sur cette réalité… et tout simplement s’émouvoir sur le sort atroce de la jeune fille jouée par Lara Belmont. Un film qui, s’il ne nous tirait pas vers le haut, au moins nous plaçait à un bon niveau par rapport au fait décrit. Marina de Van, qui n’est absolument pas dénuée de talent -ambiances fortes, acteurs bien dirigés…- s’inscrit ici dans une tendance absurde du film fantastique, représentée par quelques français. Ceux-ci, en faisant des films d’horreur, veulent « poser des questions ». Ils n’en sont pas capables. Parfois même, leurs questions ne sont pas à poser (on pense ici en premier lieu à Pascal Laugier). En voulant utiliser le genre pour matérialiser des fantasmes, Marina de Van signe un film totalement négatif. Donc qui n’apporte strictement rien. Donc, et on s’en désole pour elle, à ne pas voir.

Dark Touch, un film de Marina de Van avec Missy Keating, Padraic Delaney, Marcella Plunkett. Film d’horreur franco-irlandais, 1h30.

Visuel: © affiche de Dark Touch

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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