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Cannes, jour 6 : Gaspar Noé brillant, les monstres d’Un certain regard, et un “Grand Bain” de joie

Cannes, jour 6 : Gaspar Noé brillant, les monstres d’Un certain regard, et un “Grand Bain” de joie

14 May 2018 | PAR Yaël Hirsch

La pluie est arrivée sur la Croisette mais n’a en rien ralenti le rythme de la rédaction qui a dévoré son lot quotidien de films et a multiplié les interviews. Voici le live-report du dimanche 13 mai.

Dès 8 heures, la file était déjà dense devant le Théâtre Croisette, où se déroulent les projections de la Quinzaine des réalisateurs, pour aller voir le nouveau film de Gaspar Noé. Après l’Officielle et le Hors Compétition, le réalisateur sulfureux a choisi les 50 ans de la Quinzaine pour venir présenter en personne et à un horaire tout à fait matinal son Climax. Un very bad trip délicieusement maîtrisé où le gore passe par l’imaginaire et la beauté par le sens des inversions et des retournements. Histoire d’un groupe de danseurs de crump qui avale insidieusement de l’acide, un soir de fête, dans les années 1990, Climax est une montagne de second degré et de plans superbes. Aussi compact que vertigineux.

La compétition offrait, elle, au même horaire matinal, la projection du dernier film réalisé par l’Iranien Jafar Panahi. Un film tourné de façon non officielle, le cinéaste étant interdit de réalisation depuis 2010 dans son pays, pour avoir entre autres contesté le gouvernement d’alors. Trois visages apparaît au final comme une oeuvre réussie, entre réalité captée sans artifice et histoire fictionnelle marquante. Un film qui traite surtout de l’incapacité où se trouvent certains de pratiquer l’art ou les choses pour lesquels ils sont faits, à cause du monde autour d’eux. Donc un travail personnel, forcément… Pour lire notre critique de Trois visages, cliquez ici.

A 11 h 30, sur la terrasse presse du Palais où l’orage menaçait, avec les  étudiants de l’EICAR nous avons pu rencontrer l’équipe du documentaire d’animation européen, Another Day of Life, de Raul de la Fuente and Damian Nenow. Présenté en sélection officielle et en séance spéciale, le film  suit le travail et le livre du journaliste Polonais Ryszard Kapuscinski sur les traces des armées de libération de l’Angola en 1975. Une rencontre avec deux passionnés, qui transmettent une certaine idée du journalisme sous une certaine forme très aboutie et recherchée du cinéma .

A 14 heures, dans la section Un certain regard Meurs, monstre, meursnous a fait peur, rire et réfléchir dans un paysage sauvage argentin. Si la fin est peut-être un peu trop métaphysique, ce film d’Alejandro Fadel qui oscille entre polar poisseux et film d’épouvante a l’art et la manière de planter un climat.

Course sous la pluie

On a également couru sous la pluie pour aller écouter une histoire de lances-flammes : ce dimanche nous a permis de voir Fahrenheit 451, film présenté hors compétition. Ce blockbuster, produit pour la télévision par HBO avec des conditions de vrai film de cinéma, avait fait l’objet la veille d’une Séance de minuit. Si la réalisation nous a d’abord quelque peu entraîné à sa suite, si la photo se révèle léchée et splendide, et si Michael B. Jordan reste décidément un charismatique acteur, le projet n’a pas tenu la route : il est conduit avec une telle solennité, qui confine à la lourdeur, et une musique tellement envahissante, qu’il endort.

Du côté de la Semaine de la critique, Chris The Swiss de Anja Kofmel retrace le parcours en Croatie d’un jeune journaliste-reporter de guerre suisse, Chris, assassiné dans d’étranges circonstances lors de la guerre en ex-Yougoslavie en 1992. La réalisatrice décide d’enquêter sur la mort étrange de son cousin, événement qui l’a marqué depuis l’enfance. Le documentaire, qui mélange vidéos d’archives, photos, témoignages divers, images de son enquête sur le terrain et une animation magnifique et terrifiante, est incroyablement sombre… D’autant plus qu’il s’agit d’une histoire vraie. Anja Kofmel part sur place vingt-cinq ans plus tard, en se servant des carnets de note de son cousin, part en quête de témoignages auprès de sa famille, des journalistes présents avec lui, d’un fixeur et des mercenaires d’un groupe d’extrême droite croate dans lequel il s’était engagé, pour découvrir la vérité. Mi-fantasmé, mi-réel, Chris The Swiss offre une réflexion sur les engagements en tant que reporter de guerre, tout montre les horreurs de la guerre et notamment sur celle d’ex-Yougoslavie, trop souvent oubliée.

Nos batailles, un duo marquant 

Toujours à l’espace Miramar, Nos batailles de Guillaume Senez est apparu comme un film familial émouvant, dans lequel Romain Duris s’est allié avec bonheur à Laetitia Dosch (la révélation de Jeune femme) pour composer un duo marquant.

A la Quinzaine des réalisateurs, Mon cher enfant (Weldi) de Mohamed Ben Attia est un peu décevant. Riadh et Nazli s’inquiètent pour leur fils Sami, en proie à des migraines répétées. Soudain, sans raison apparente, il disparaît, en laissant un mot indiquant qu’il partait en Syrie. Sans expliquer les raisons de son départ, le réalisateur tunisien se concentre sur le père, Riadh, qui part à la quête de son fils pour le ramener à la maison. Le film met en avant le point de vue de ceux qui restent, des parents notamment qui sont dans l’incompréhension totale de l’acte de leur progéniture qui part faire le Djihad, tout en l’intégrant dans un quotidien rempli de pression sociale, économique et de conformisme…Mais dans une mise en scène lourde, avec des scènes à rallonge, des plans inutiles.

Debra Granik avait disparu des radars depuis 8 ans après avoir révélé la brillante et jeune Jennifer Lawrence dans son magnifique film de redneck Winter’s Bone. Elle reprend quelques thématiques dans son nouveau film, Leave No Trace, présenté à la Quinzaine des réalisateurs. On y retrouve donc Tom, une jeune fille de 15 ans qui vit reculée dans la forêt avec son père limitant au maximum les contacts avec le monde extérieur. On pense rapidement à Captain Fantastic, mais Debra Granik n’ira pas dans les extrêmes comme le film avec Viggo Mortensen.

Elle préfère s’attarder sur la relation de Tom avec son père (Ben Foster, touchant) comme elle avait su le faire dans Winter’s Bone. La réalisatrice américaine reprend donc les ingrédients qui lui avaient valu d’être nommée à quatre reprises aux Oscars. Leave No Trace n’est pas aussi puissant, mais il s’avère très touchant et humain. La jeune actrice Thomasin Harcourt McKenzie souffre évidemment de la comparaison avec Jennifer Lawrence, mais les deux profils sont différents, mais aussi bons. Une belle escapade et un quasi huis clos dans la forêt qui rafraîchit l’esprit.

La surprise du week-end vient du fou rire généreux du Grand Bain de Gilles Lellouche. Présenté hors compétition à 19 h 30, ce premier projet solo de l’acteur derrière la caméra est une comédie génialement écrite parfaitement jouée (avec Amalric, Poelvoorde, Efira, Anglade, Canet, Katerine…), révélatrice de bien des déboires de la masculinité et plus généralement des affres de l’estime de soi. Une grande réussite, un carton au box-office français annoncé et un peu de joie dans le ciel pluvieux de ce dimanche à Cannes.

Une affaire de famille, une nouvelle variation qui séduit

Après un passage au Finnish Cocktail et une parenthèse enchantée au chic et apaisant Mouton Cadet Wine Bar, plus belle terrasse du Palais des festivals, direction le tapis rouge pour la montée des marches du film du réalisateur japonais Kore-eda Hirokazu, Une affaire de famille. Dans ce nouveau long-métrage, on retrouve le même regard tendre posé sur des personnages pris dans les mailles de situations sociales difficiles : pauvreté, promiscuité, précarité, violences, abandon… Les ingrédients ont beau être un peu les mêmes, cette nouvelle variation sur le thème de la famille séduit, émeut. Et quel plaisir de retrouver la formidable Kirin Kiki, déjà vue dans ses deux précédents films, Après la tempête et Notre petite soeur, mais surtout dans Les Délices de Tokyo, le petit bijou de Naomi Kawase.

Le début de soirée nous a également fait retrouver Wim Wenders, présent avec un documentaire hors compétition, Le Pape François : Un homme de parole. Le titre parle de lui-même : une heure et demie durant, l’action du Pape François Ier, et surtout son credo hérité tout droit de Saint-François d’Assise et des Franciscains, est décrite. Si Wim Wenders tente des choses, et que la mise en perspective de la pensée du Pape vis-à-vis de l’ordre religieux fondé il y a longtemps est très pertinente, ce documentaire peut apparaître cependant un peu trop hagiographique et en surface…

Alors que la soirée avançait, la fête de la Semaine de la critique a commencé à battre son plein sur la Plage Nespresso, avec au programme différents stands pour se désaltérer – à coups de bière ou de cocktails savamment étudiés – de la nourriture à foison, et toujours cette grande piste de danse qui fait le bonheur des festivaliers depuis quelques années. Avec en prime, la grande bande de sable de la plage, idéale pour s’asseoir dix minutes pour se remettre de la fatigue des journées de Festival. Et les membres des équipes de quelques films, parmi lesquels Guillaume Senez, le réalisateur de l’apprécié Nos batailles.

D’autres ont pu vibrer lors de la soirée du film Climax, à la Plage Magnum, au cours de laquelle une musique de haut vol jouée à fond par plusieurs DJs, femmes et hommes, totalement experts, a jeté les corps et les êtres hors d’eux-mêmes, alors que les danseurs du film continuaient le show sur scène.

La rédaction : Hugo Saadi, Yaël Hirsch, Geoffrey Nabavian, Aurore Garot et Alexis Duval

Visuel : © G.N.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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