Cinema
Ruben Östlund satirique en diable avec “The Square” [Cannes, Compétition]

Ruben Östlund satirique en diable avec “The Square” [Cannes, Compétition]

20 May 2017 | PAR Yaël Hirsch

Cannes avait jubilé avec Force majeure présenté en section Un Certain Regard en 2014 et qui mettait en avant la lâcheté brute d’un père de famille. Le réalisateur suédois Ruben Östlund est de retour sur la croisette en 2017 avec Elisabeth Moss en actrice principale et avec une autre fable sociale grinçante, qui écorne au passage le monde branchouille et conceptuel de l’art contemporain. Près de 2:30 qui mènent vers un point précis d’anatomie d’un monstre. Admirable !

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Christian a la quarantaine et tout pour lui: divorcé, père de deux jolies filles, il est bien fait de sa personne, cultivé et surtout, en tant que directeur du musée d’art contemporain qui a été placé au cœur du Palais Royal, il a du pouvoir. Alors qu’il est en pleine préparation d’une exposition sur un “carré” (le fameux “square” du titre) qui appelle sur le mode performatif aux meilleurs sentiments humains, un incident transforme sa vie : on lui vole en pleine rue son téléphone portable et il décide de se faire justice plutôt que de déposer plainte. Dès lors, en privé comme en public, la violence animale ressort par bribes derrière la façade du suédois pacifique conducteur de Tesla…

Géométrie des formes, perfection des plans, froideur éclairante de la lumière et barbe de 72h pile pour le génial Claes Bang dans le rôle du directeur, Östlund n’a pas perdu sa griffe esthétique qui puise et épuise le fameux design suédois. Le film commence comme une série de gags aboutis où l’on se croirait dans une version nordique et plus proche de nos années 2010 de la pièce Art de Yasmina Reza. Et l’on se dit que ça marche un peu trop facilement de se moquer du milieu snob de l’art contemporain et des “pubeux” qui veulent faire du “buzz” en clivant l’opinion par une vidéo virale catastrophique.

Et pourtant dès ces premiers moments, le film est fin : le héros explique vraiment pédagogiquement Smithson et, en journaliste américaine, Elisabeth Moss pose une question vraiment déroutante. Quant au personnage, il est nuancé: dès le début égoïste, suffisant et sans vergogne derrière le placide et élégant père de famille. Les saynètes se suivent et l’on a peur de s’en tenir là quand le film prend un tournant aussi violent que l’avalanche de Force Majeure après 1:30 d’exposition brillante et légère.

La violence fait place à du Lars Von Trier, version brute, dans l’esthétique carrée de Östlund. Une lame de fond remonte et le film révèle des choses anciennes et fondamentales sur l’âme humaine. La force de destruction, comme la force de vie ne se laissent pas circonscrire dans un “carré”.

The Square, de Ruben Östlund avec Elisabeth Moss, Claes Bang, Suède, 2027, 2h20. Bac films, en compétition officielle.
Visuel: ©bac films

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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