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Cannes 2018 : la fureur du “Donbass” de Sergei Loznitsa à Un certain regard

Cannes 2018 : la fureur du “Donbass” de Sergei Loznitsa à Un certain regard

10 May 2018 | PAR Geoffrey Nabavian

Un an après Une femme douce, présenté en compétition à Cannes, le réalisateur ukrainien acclamé revient avec un film déroutant, mais traversé aussi par de très belles fulgurances.

[rating=4]

La guerre du Donbass meurtrit l’Ukraine depuis 2014. Le nouveau film livré par Sergei Loznitsa, et présenté en ouverture de la section Un certain regard à Cannes 2018, se garde bien de détailler les enjeux et différents camps opposés par ce conflit. Il constitue plutôt une suite de scènes imprégnées d’un côté décalé, aux limites de l’absurde. Des séquences toutes différentes en termes de rythme et de ton, qui se juxtaposent parfois avec difficulté, mais sont aussi traversées de fulgurances très originales.

Des politiciens aspergés de merde, des hommes de main véreux et démagos, des populations très pauvres forcées de vivre dans des souterrains humides, des militaires, des militaires et encore des militaires, un journaliste allemand et un homme qui veut juste récupérer sa voiture volée par les soldats : on trouve tout ça, dans Donbass. Sans doute parce que certains de ces éléments se trouvent aussi dans la réalité… Les acteurs du film, tous extraordinaires, composent des figures marquantes, qui se manifestent parfois le temps d’une seule scène mais étonnent beaucoup. Tous ces personnages quasi-sans-noms figurent une population sur le point de basculer dans la pure folie, qu’il s’agisse des militaires ou des civils. Le film rend cette frontière dangereuse parfaitement perceptible, de façon personnelle : déjà une réussite, en soi.

La mise en scène se met au diapason de ce thème : au détour d’une scène, le réalisme bascule dans le paroxystique. Le film contient, en vrac, des rires de femmes dignes de sorcières (les enceintes de la salle Debussy à Cannes n’ont jamais autant saturé), des séquences d’explosion furieuses, ou encore des scènes dramatiques distanciées, dans lesquelles les personnages présents sortent des caméras, et racontent une fausse information devant elles. Comme si le vrai basculait dans le faux, dans cette région mortellement minée par un conflit.

Oeuvre très déroutante, Donbass est encombré par quelques scènes trop longues, à la limite du pesant, qui font mal à son rythme. On se dit, en prime, qu’on ne peut peut-être le comprendre qu’avec des références géopolitiques, qu’il ne donne pas. Mais son caractère furieux, et ses tentatives brillantes – telles ces scènes en caméra subjective somptueuses, qui donnent parfois à voir une réalité terrible – emportent le morceau. Et parmi les scènes très originales qu’il imagine, on choisira de garder en tête, pour la route, le ballet d’hommes au téléphone. Très fort et très triste.

Film présenté à Cannes 2018 en ouverture de la section Un certain regard, Donbass sortira dans les salles françaises le 5 septembre.

Retrouvez tous les films du Festival dans notre dossier Cannes 2018

Geoffrey Nabavian

Visuels : © Pyramide Distribution

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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