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Bruce LaBruce : des “Premières œuvres” frappantes dans une belle édition DVD

Bruce LaBruce : des “Premières œuvres” frappantes dans une belle édition DVD

12 December 2016 | PAR Geoffrey Nabavian

Plus de vingt ans après leur sortie, les trois premiers films du réalisateur canadien reviennent dans un coffret édité par Epicentre Films. Leur esprit punk, expérimental, juste, et très rigolard, souffle fort et frappe beaucoup. Et cette belle édition nous offre des bonus et une enveloppe extérieure à leur image…

bruce-la-bruce-premieres-oeuvresPour le cinéphile fou d’avant-garde qui va sur ses 27 ans, le nom de Bruce LaBruce s’associe d’abord à un parfum sulfureux. C’est que l’homme fut découvert en France en 1997, par l’intermédiaire du désormais culte Hustler White, film où l’histoire de Monti, prostitué joué par Tony Ward, est prétexte à une peinture du milieu dans lequel il évolue : celui de la prostitution homosexuelle sur Santa Monica Boulevard, Los Angeles. Hustler White, co-réalisé avec Rick Castro, qui reçut d’abord la classification X, puis fut finalement “désiXé”… Un an plus tard, en 1998, les spectateurs français assistaient aux sorties spéciales des deux réalisations précédentes de Bruce LaBruce : No Skin Off My Ass (1991) et Super 8 1/2, Une biographie édifiante (1994)…

En 2016, le cinéaste, qui a su beaucoup nous plaire avec le beau et sensible Gerontophilia (2014), est toujours réputé pour ses premières œuvres, décrites comme très avant-gardistes. Elles reviennent aujourd’hui en DVD, grâce à Epicentre Films. Et le spectateur qui découvre Hustler White pour la première fois peut en sortir très convaincu. Dans ce film semi-expérimental punk, avec des scènes de sexe explicites, souffle un esprit fait de contestation, d’art bizarre, et de rigolade. Très juste et humain aussi… L’intrigue, qui voit Monti, prostitué, croiser la route de Jürgen Anger, écrivain venu enquêter sur Santa Monica Boulevard – un personnage joué par Bruce LaBruce lui-même, avec une dose d’autodérision bien réjouissante – sert à peindre un milieu (“aujourd’hui disparu”, nous dira le cinéaste dans un entretien proposé en bonus, dans lequel il revient sur tout son parcours). Un univers où des prostitués homosexuels sont confrontés à beaucoup de formes de sexe différentes, extrêmes pour certaines. Verra-t-on celles-ci à l’image ? Oui, mais captées lors de plans rapides, pas insistants, lors de séquences hachées et entrecoupées de fragments narratifs, faites ni pour exciter, ni pour dégoûter. Et puis, au menu d’Hustler White, on aura aussi des gags burlesques, des références cinéphiles, des scènes quasi satiriques, un travail heurté sur le montage, une grande variété de tons, un point de vue humain et pas prétentieux… Et pas de gros plans à foison, pas de coupes brutales : pas vraiment de pornographie, en fin de compte. Un mélange artistique très cohérent, plutôt. Bruce LaBruce appartient au mouvement queercore, désireux de proposer dans l’art une représentation directe de l’homosexualité, dans le but d’éviter les cases et les classifications. Film-manifeste, avec une scène post-générique en forme de bras d’honneur, et des passages explicites, Hustler White ne met pas ces derniers au centre. Il donne plutôt à voir un sujet traité de façon juste, et un vrai travail artistique, qui émeut et qui fait rire.

affiche-hustler-whiteDans le remarquable documentaire The Advocate For Fagdom, proposé en bonus sur le disque 4, le réalisateur John Waters dira de Bruce LaBruce qu’il a “de la tendresse” envers ce qu’il filme. Le côté assez positif, non complaisant de ses réalisations vient sans doute de là… Les deux autres titres du coffret, très différents, se révèlent aussi frappants : dans No Skin Off My Ass, par exemple, l’histoire de la rencontre entre un skin SDF taiseux (Klaus von Brücker) et un coiffeur punk (Bruce LaBruce lui-même) aboutit à un film drôle et intellectuellement stimulant. Qui compte, sur une heure douze, seulement trois scènes de sexe explicites… Photo en noir et blanc, approximations assumées, mélange de moments réalistes, oniriques ou rigolards, travail sur la bande-son, digressions pas mal écrites… Le matériau se révèle riche. Et les dialogues, volontiers intellectuels, donnent à l’artiste G.B. Jones – animatrice du fanzine queercore J.D.s à partir des années 80 aux côtés de Bruce LaBruce – l’occasion de longuement s’exprimer, et de livrer sans prétention ses idées sur la contestation… Vient ensuite Super 8 1/2, Une biographie édifiante, film le plus mélancolique contenu dans l’edition DVD. Avec le récit le plus ambitieux. Et le plus grand nombre de scènes de sexe, qui sont, cette fois, plus proches de la pornographie. Une star du cinéma érotique underground (jouée par Bruce LaBruce himself) y rencontre une réalisatrice expérimentale, qui lui propose un grand rôle, mais l’utilisera au final pour être mise en lumière. A ce duo s’ajoutent Pierce, amant du personnage principal, Johnny Eczema, acteur concurrent, les soeurs Friday, adeptes des pratiques hardcore… Et encore une fois, pas de complaisance, pas d’excitation, pas de dégoût au programme : juste une galerie de gens très bizarres, peints entre fiction et réalité, dans un film travaillé, sur le plan artistique, et assez triste. Narration et temporalité hachées, interprètes très convaincants, dialogues bien écrits, noir et blanc de circonstance, scènes sombres, touchantes, vachardes, piquantes… Bref, un trio de films qui nous force à retenir nos mots, sous peine de produire trois pages.

bruce-labruce-hustler-whiteBruce LaBruce, ou un vrai univers avant-gardiste donc, parfois très cru, mais en aucun cas gratuit. Epicentre Films s’est saisi de cette patte pour concocter une édition DVD qui lui ressemble. Les films ont fait l’objet d’une restauration qui a su ne pas éliminer les défauts présents sur leurs images, et leur caractère brut. L’aspect physique du coffret, collage de photos et d’impressions diverses, annonce bien la couleur des œuvres. Surtout, côté bonus, c’est le documentaire d’une heure et demie The Advocate For Fagdom, signé par Angélique Bosio, qui constitue le plat de résistance. Absolument pas scolaire, il cerne Bruce LaBruce sous un tas d’angles différents, en donnant des éléments sur sa jeunesse au passage. On est heureux d’y entendre longuement intervenir Gus Van Sant, John Waters, aux propos passionnants, Harmony Korine… On apprécie d’y voir de longues séquences du tournage de L.A. Zombie (2011), ou une intervention de la très graphique interprète Susanne Sachsse, actrice dans le film de Bruce LaBruce The Raspberry Reich (2004). On en apprend pas mal sur le mouvement queercore, notamment grâce à Glenn Belverio, qui devient Glenda pour ses reportages vidéo. On est intéressés par la visite au Untitled Hardcore Zombie Project, à Los Angeles, en 2009, et par l’obsession curieuse de notre homme pour les morts-vivants… En équilibre entre analyse intellectuelle et faits très concrets, le tout réuni au sein d’une forme ouverte et malicieuse, ce documentaire est une mine d’or. Il est complété par une intervention très pertinente et complète de Romain Blondeau, journaliste, aux Inrocks notamment, portant sur nos trois films et leurs points communs, et par des petits suppléments qui accompagnent intelligemment chaque volet du triptyque. Avec, entre autres, une curieuse Letter to Hustler White : la cassette du long-métrage regardée par son auteur, et commentée par lui, en compagnie de deux jeunes hommes rigolards et délirants… Un étrange petit segment au ton très incertain. Ah oui, et puis : pour finir, un home movie très expérimental…

On ne refera pas une liste d’adjectifs : disons juste qu’en résumé, se risquer dans les films de Bruce LaBruce édités par Epicentre Films donne lieu à une vraie aventure artistique. A ne pas mettre devant tous les yeux, mais à tenter, pour les amateurs de réalités peu connues, de décalages inspirés, et de points de vue d’artiste affirmés et personnels.

Le coffret numéroté “Bruce LaBruce, Premières œuvres 1991-1996” est édité chez Epicentre Films.

Visuels :

-Fourreau du coffret “Bruce LaBruce, Premières œuvres 1991-1996” © Epicentre Films

-L’affiche originale de Hustler White lors de sa sortie en salles en France en 1997.

-Bruce LaBruce, interprète et réalisateur d’Hustler White © Jürgen Brüning

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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