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[Berlinale, Compétition] “Journal d’une femme de chambre”, Benoît Jacquot poursuit son exploration de la domination maîtres/domestiques

[Berlinale, Compétition] “Journal d’une femme de chambre”, Benoît Jacquot poursuit son exploration de la domination maîtres/domestiques

07 February 2015 | PAR Olivia Leboyer

Après le très beau Les Adieux à la reine (présenté à Berlin en 2013), Benoît Jacquot retrouve la même obsession (et la même actrice, Léa Seydoux) : les rapports de domination entre maîtres et esclaves, entre hommes et femmes. Ici, ce n’est plus la Révolution mais la France d’avant la première Guerre Mondiale, bien salie par l’Affaire Dreyfus.

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En adaptant le roman d’Octave Mirbeau, après Luis Bunuel et Jean Renoir, Benoît Jacquot, familier des beaux textes et des grands films, ne craint pas la comparaison : c’est son interprétation, son journal à lui, qu’il livre ici. L’assujetissement des domestiques, maintenus dans une condition inférieure, le fascine et le révulse. Selon lui, la Révolution n’a rien changé, en profondeur, aux rapports de classe, tranchants comme du silex, qui séparent les maîtres de leurs « esclaves ». L’égalité, décidément, ne règne pas.

La charge sociale irrigue le film, tous les personnages de maîtres présentant des traits grotesques affirmés. Lubriques, cupides, gras, ils regardent avec envie la belle Célestine (Léa Seydoux), visage d’ange sensuel et air orgueilleux. Car cette jeune femme de chambre rêve d’émancipation. Les éclairs de sexualité étrange traversent le film comme des bribes de cauchemars. Moins fulgurantes, sans doute, que chez Bunuel mais, pour certaines, assez marquantes : un furet blanc dont on brise les reins, les pieds et les bottes furtivement entrevus. La scène entre Léa Seydoux et Vincent Lacoste instaure un trouble bizarre, mais qui aurait pu s’incarner davantage. La confrontation entre Célestine et Joseph (Vincent Lindon) donne au film cette densité, cette électricité sexuelle palpable. Tous deux également dominés et également rétifs à cette loi, ils imaginent une échappatoire possible. Seulement, le beau et viril garde-chasse est aussi viscéralement antisémite. Attirée, Célestine va suivre une spirale noire, illusoire.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté, argenterie, tentures et velours, luxure, désordre et masochisme. Entre le raffinement des intérieurs et les sentiments malsains qui s’y développent comme dans une serre, Benoît Jacquot décrit avec cruauté l’implacable loi de la domination.

Journal d’une femme de chambre, de Benoît Jacquot, France, 96 minutes, avec Léa Seydoux, Vincent Lindon, Clotilde Mollet, Hervé Pierre, Vincent Lacoste, Mélodie Valemberg, Patrick d’Assumaçao, Joséphine Derenne, Dominique Reymond. Berlinale 2015, en compétition.

visuels: photos officielles du film.

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

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