A l’Arras Film Festival, on a vu “Paula”, beau recueil de sensations
Parmi les neuf films européens présentés dans la Compétition du Festival d’Arras 2016 (les jours précédents sont racontés ici, ici et ici), on a pu découvrir avec joie cette nouvelle réalisation de l’allemand Christian Schwochow (De l’autre côté du mur). Une biographie de la peintre Paula Becker, qui a su s’en remettre, pour nous séduire, aux sensations, aux sentiments et aux humeurs, davantage qu’à la reconstitution maniaque.
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Dès son générique, il apparaît clair que Paula va s’annoncer comme un film biographique pas si attendu que ça, et va surtout nous balader, et nous faire glisser le long des sensations et des sentiments de ses personnages. Paula Becker est une jeune peintre, donc. Ou plutôt, une aspirante artiste, au style pas commun, dans un XXe siècle naissant qui ne lui fait pas confiance. Elle vit avec d’autres poètes de l’image dans la communauté de Worpswede, où son formateur principal la juge indisciplinée, et son père lui vend un avenir de femme mariée…
Cette histoire est vraie. Et d’emblée, la caméra de Christian Schwochow va capter les grandes étapes de cette vie, en se mettant au diapason de l’humeur de son héroïne, et en ne soulignant rien. On sera donc transportés par les mouvements rapides, les coupes alertes qui jalonneront la première partie, décrivant Paula à vingt-cinq ans, jusqu’à son mariage avec Otto Modersohn (Albrecht Abraham Schuch, très crédible) ; puis émus, lorsqu’on la retrouvera, cinq ans plus tard, faisant tous les jours des trajets dans de grandes étendues enneigées d’Allemagne, et piégée dans une vie qui ne lui convient pas ; puis surpris, lorsqu’elle partira pour Paris, et qu’en lieu et place d’une reconstitution lourde, on découvrira une peinture sensible de sa vie d’artiste, enveloppée dans une belle photographie…
Monté sans musique envahissante, Paula est aussi un film où les scènes ont toutes un but, à défaut d’avoir toutes la même efficacité et la même pertinence. On y côtoie aussi la création artistique sous un bon angle : ainsi, à vingt-cinq ans, la jeune peintre furette-t-elle dans les tavernes des quartiers très pauvres pour trouver ses modèles ; on la voit ensuite affiner ses techniques, en procédant par jets de couleurs, parfois violents ; et ainsi les scènes parisiennes savent-elles prendre leur temps, nous montrer ses hésitations, son rapport à la mort…
On croise aussi nombre de figures célèbres, telles un Rainer Maria Rilke décalé (Joel Basman, très incarné), ou une Camille Claudel qui se montre le temps de quelques plans… Et la réflexion sur la perception de l’art créé par les femmes en ce temps-là est inspirée : la communauté dont Paula a fait sécession, pour s’installer à Paris, va ainsi adresser des reproches durs à son mari… Il n’y a pas jusqu’au dénouement qui se révélera sec et inattendu. Soigneux, donc, mais aussi assez original, ce film est une bonne surprise, et une réussite, dont la qualité s’explique en partie par les performances de ses acteurs, parmi lesquels on peut saluer Carla Juri, qui compose une Paula très sensible et inspirée, mais aussi Roxane Duran, très convaincante dans le rôle de son amie Clara Westhoff, qui l’amènera à investir Paris. A voir sans doute dans les salles françaises très bientôt.
L’Arras Film Festival se poursuit le dimanche 13 novembre jusqu’au soir.
Visuel : © Happiness Distribution