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Margarethe von Trotta ressuscite magistralement la Hannah Arendt témoin du Procès Eichmann

Margarethe von Trotta ressuscite magistralement la Hannah Arendt témoin du Procès Eichmann

03 April 2013 | PAR Yaël Hirsch

Attendu pour le 24 avril en salles et projeté en clôture du festival du film israélien de Paris, le mardi 9 mars 2013, le biopic de Margarethe von Trotta (L’Honneur perdu de Katharina Blum, Rosenstrasse) est une grande réussite. Focalisé sur l’année 1961 et la couverture par la philosophe du procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem, le film est d’une précision éblouissante sur un sujet très délicat…

1961, New-York. Arrivée depuis 1941 au cœur de la Terre Promise et fanatique de la liberté américaine, l’exilée juive-allemande et auteure des “Origines du Totalitarisme” (1951) évolue dans un petit milieu intellectuel mixant New School, Barnard et Princeton et qui se réunit dans son appartement du Upper West Side: Mary MacCarthy et son mari, Hans Jonas et sa femme Lore, eux aussi exilés allemands et bien sûr son autodidacte et séducteur de mari, Heinrich Blucher. Mais l’annonce de la capture de l’ancien responsable SS Adolf Eichmann par le Mossad, puis de son jugement par le peuple juif désormais doté d’une État à Jérusalem, vient bouleverser la vie bien rangée de prof, d’épouse et d’amie d’Arendt. Cette dernière obtient du New-Yorker des fonds et la mission de couvrir le procès en Israël. Arrivée à Jérusalem, la philosophe vit chez son ami et ancien chef lorsqu’elle appartenait à des organisations sionistes dans les années 1930, Kurt Blumenfeld. Mais tandis que le monde entier plonge dans une émotion terrifiante en voyant sur les écrans les victimes et les proches des victimes de la Shoah témoigner, Arendt se focalise sur ce qu’elle sait faire : penser. La politiste perçoit un gouffre entre l’incommensurable des crimes d’Eichmann et son profil psychologique de petit fonctionnaire minable abrité par la cage de verre qui le défend lors de ses comparutions. Arendt défend à l’idée que Eichmann n’est pas le diable mais un homme qui s’est résigné à ne plus penser. Sa théorie de la “banalité du mal” et son compte rendu détaillé du rôle des conseils juifs dans la déportation de leurs correligionnaires amène l’intellectuelle juive à une situation de rupture avec l’ensemble de ses amis, choqués par sa froideur, son ironie et son manque d’Amour d’Israel.

Habitée par une Barbara Sukowa qui ne lui ressemble pas mais a intégré chacun de ses tics (y compris la fumée compulsive), l’Arendt que ressuscite Margarethe von Trotta est d’autant plus réaliste que chacune des phrases qu’elle prononce, ou presque, est tirée de sa correspondance ou de son journal de pensée. Fascinée par le courage qu’il faut pour penser envers et contre tous, surtout ses proches, la réalisatrice et sa comédienne ont su rendre compte avec empathie de l’effet de la parution du “Eichmann à Jérusalem” dans le monde intellectuel juif et américain. Si bien qu’au sortir du film, l’on comprend mieux pourquoi, aujourd’hui encore, malgré les années passées, et l’entrée des thèses d’Arendt dans le panthéon des analyses classiques sur la question du mal, certains penseurs lui en veulent encore d’avoir manqué de sentiments, là où la pensée seule ne suffisait peut-être plus. Ou en tout cas n’était pas du tout compréhensible chez une rescapée de Gurs qui s’est intéressée toute sa jeunesse à la Question juive… Un très beau film, haletant et jamais moralisateur…

Hannah Arendt, de Margarethe von Trotta, avec Barabara Sukowa, Axel Milberg, Janet McTeer, Allemagne-France, 1h53, Sortie le 24 avril 2013.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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