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“L’indomptée” :  Rencontre avec Caroline Duras et Clotilde Hesme

“L’indomptée” : Rencontre avec Caroline Duras et Clotilde Hesme

07 February 2017 | PAR Yaël Hirsch

Présenté au festival du film de Locarno cet été et encensé au Festival du film des Arcs où il a remporté plusieurs prix (voir notre article),  L’indomptée, premier film de Caroline Duras est poétique, obsessionnel et féministe. Une plongée en apnée dans les jardins somptueux de la mythique Villa Médicis portée par deux femmes superbes: Clotilde Hesme et Jenna Thiam. Rencontre avec la réalisatrice et Clotilde Hesme pour parler de cet petit bijou d’écriture et de mise en scène, à découvrir le 15 février sur les grands écrans. 

clothilde-hesme

Comment avez-vous réussi à allier le côté mythique et sérieux d’un film qui se passe à la Villa Medicis et parle du plafond de verre pour les femmes avec l’humour puissant que dégage L’Indomptée?
Caroline Deruas: A l’écriture, je me suis dit que cela allait être insupportable s’il n’y avait pas d’humour dans le regard que j’allais porter sur cet endroit, et sur les gens qui évoluent dans ce lieu privilégié… Et puis j’ai été pensionnaire à la Villa Médicis pendant un an et il pouvait m’arriver de rire en nous regardant. C’est un lieu qui peut engendrer des scènes absurdes, des émotions et des réactions extrêmes… Tout le monde devient un peu fou dans cet endroit ! Et pendant le tournage, je voulais qu’on trouve des façons un peu décalées de présenter les personnages, je voulais que les acteurs s’amusent. C’est aussi une chose que Clotilde [Hesme] a beaucoup cherché pour son personnage : Ne pas rester que dans la gravité. J’avais envie que par son personnage on vive aussi ce que ça peut être que de chercher et de ne pas trouver, qu’on découvre aussi le côté laborieux d’un artiste, le fait que ça n’est pas que glorieux. Mais en même temps, pour ça, on voulait aussi trouver un peu d’humour…
Clotilde Hesme: Cela permet vraiment quelque chose de l’ordre de l’initiation pour le personnage de Camille. C’est un récit d’émancipation aussi; elle n’est pas la même à la fin qu’au début, et il y avait quelque chose d’assez amusant à trouver chez ce personnage qui débarque dans ce lieu dont elle a vraiment toujours rêvé. Elle est hyper naïve et très enthousiaste au début, ce qui amenait de la légèreté et de l’humour. Ensuite c’est plus laborieux, on entre dans les affres de la création.
C.D: C’est un film qui a beaucoup d’univers, mais beaucoup de couleurs aussi. Et ça c’est quelque chose dont je me suis rendue compte à l’écriture; j’étais étonnée de voir qu’il y avait un côté très intimiste, avec aussi des moments d’humour un peu loufoques, et puis des côtés beaucoup plus oniriques… Je me suis rendue compte que je mettais plein de couleurs, et ça a été un des paris du film que de choisir non pas d’en enlever, mais de toutes les assumer et de faire en sorte que ça ne devienne pas une bouillabaisse indigeste .Il fallait que ça puisse se mélanger…

La villa Médicis, c’est un peu le personnage principal du film, non ?
C.D: Tout à fait, le jardin c’est comme son ventre, la musique comme sa voix intérieure…Et puis c’est aussi le point de départ du film. Non seulement j’y ai vécu mais j’avais fait une fixation sur cet endroit 10 ans avant d’y être pensionnaire. J’étais allée rendre visite à une amie écrivaine, Claire Legendre. Et quand j’y ai mis les pieds, je suis tombée totalement amoureuse de cet endroit. Dès ce moment-là je me suis dit: “Un jour je l’aurai”. Donc je me suis présentée, j’ai l’ai passé trois fois, et quand j’y suis enfin arrivée, j’ai passé l’année à me dire “bientôt ça va se finir et je devrais repartir”, je me sentais vraiment comme ces lézards accrochés aux murs ensoleillés, qui ne veulent pas partir. Le film, c’est ça, et c’est une déclaration d’amour à ce lieu.

Et vous Clotilde, avez-vous découvert la Villa Médicis avec le film ou y étiez-vous déjà allée?
C.H: J’y étais passée en touriste pendant une visite à Rome, en voyant ça comme un lieu inaccessible. Et là je m’y suis retrouvée sans aucun mérite! Je comprends qu’on puisse ressentir quelque chose d’un peu écrasant, dans un endroit comme celui-là où l’on se dit qu’on a le devoir de créer… Mais c’est tellement beau, fascinant ! Je suis allée avec mon fils sur le tournage, il avait 3 ans; il a maintenant 5 ans et ça fait 2 ans qu’il m’en parle !

Le roman du personnage de Camille [Clotilde Hesme] commence par une recherche sur une femme sculptrice. Quelle est la part de l’Histoire, de l’archive dans la création ?
C.D : Camille pense effectivement qu’elle vient dans cet endroit pour faire un film sur la première femme pensionnaire, qui était une sculptrice arrivée en 1911, quasiment 3 siècles après l’ouverture de cette académie. Elle est donc en effet en pleine recherche historique, mais ce n’est pas sur ce personnage qu’elle va finalement se mettre à écrire.
A la villa Médicis, on a l’impression de vivre avec des fantômes, on nous parle de la mort de Messaline (qui est jouée par ma fille !)… Moi, je ne rêvais que d’une chose, c’était de voir ces fantômes ! Je n’en ai pas croisé un seul, alors je les ai mis dans mon film. J’avais envie de mélanger plusieurs époques différentes : Le film débute sur de véritables archives de 1930 qui montrent le directeur de l’époque, Paul Landowski, qui était un sculpteur, et puis j’ai inséré aussi des images super 8 que j’ai tournées moi-même à l’époque où j’y étais, sur ces images on voit des personnages fantomatiques caresser des statues.

Le personnage de Camille, finit par trouver sa voie quand elle décide de ne plus écrire sur cette femme mais d’écrire sur elle-même, sur ses doutes, ses fantômes… Est-ce qu’on parle toujours de soi quand on créé?
C.H : Il n’y a que ça qui m’intéresse dans les films quand je reçois des propositions. Il faut que ce soit une vision personnelle. Je me fiche vraiment des personnages ; j’ai envie d’une vision qui soit vraiment celle du metteur en scène. Donc là j’étais servie ! Mais ce n’est pas l’intime, on est bien d’accord, c’est le personnel, qui tend à l’universel…
C.D : Moi aussi, je suis bien plus touchée par les œuvres au travers desquelles je sens la personne qui me parle. Ceux qui se cachent, (c’est d’ailleurs encore là un rapport à eux-mêmes: ils ont besoin de se cacher), me touchent beaucoup moins que ceux qui osent se montrer. Je suis beaucoup plus souvent déçue quand les oeuvres sont construites de manière extérieure.

Parlons des hommes. Ils n’ont pas le beau rôle dans l’Indomptée…
C.D : J’ai parfois l’impression de subir un cinéma masculin misogyne. Et j’en avais un peu marre, j’avais envie de prendre le contrepoint de ça. C’est un truc assez drôle aussi : je suis une femme et je vais m’amuser à faire un film dans lequel ce seront les femmes qui auront le beau rôle, et les mecs qui auront le travail le plus difficile à faire… Parce que je pense que ce sont des portraits plus courageux, et pour les acteurs, c’est un travail plus difficile aussi.
Le rôle du mari par exemple est très complexe, j’aime énormément ce personnage. Derrière sa violence, je vois de la peur, la peur de perdre sa femme, tout simplement. La peur d’un homme qui est persuadé qu’il n’est pas assez aimable pour être aimé par sa femme toute sa vie. Il est persuadé qu’elle va partir ! Et du coup dès qu’elle met un pied dehors, spirituellement quand elle écrit, physiquement quand elle va à une soirée… il est persuadé que de toute façon elle va finir par lui échapper !
C.H : Oui et récemment, Tchéky Karyo (qui incarne divinement le rôle du mari ndlr) a dit dans une interview qu’il s’était rendu compte à une projection du film que les femmes du public riaient beaucoup plus que les hommes. Il a dit : “Messieurs, ayez aussi un peu le courage de vous regarder ! Parce que ça peut nous arriver, ça nous est arrivé, ça nous arrivera peut-être encore… Faisons aussi cet examen de conscience-là !”
C.D : Il a accueilli le rôle de façon tellement intelligente ! Parce que dans le film, bien-sûr qu’il y a de la violence apparente mais il y a aussi tellement d’amour ! Et c’est aussi l’enjeu du film : montrer que la création n’est pas forcément quelque chose de solitaire, et qu’on arriverait peut-être à concilier la vie intime, affective, et la vie créative.
C.H : … Ce qui est forcément difficile à trouver ! C’est à dire qu’un couple créateur, c’est quasi-impossible.

Les modèles féminins sont donc importants quand on est une femme et qu’on est artiste?
C.D : Ce qui est sûr c’est que, sans toutes ces femmes artistes qui se sont battues pour leur indépendance au fil des siècles ,on ne sait pas où en serait aujourd’hui. Quand je me suis rendu compte que Lucienne Heuvelmanns, cette première femme pensionnaire était arrivée en 1911 alors que l’Académie avait été ouverte en 1666 ça m’a rendu folle !
C.H : … Et il fallait avoir un père ou un mari qui te soutienne pour avoir le droit d’y rentrer, même pour pouvoir créer de manière générale. Et cette femme-là d’ailleurs n’a pas voulu épouser un des pensionnaires avec lequel elle a eu une histoire d’amour, de peur que lui change, et lui retire ce droit ! Avant j’avais du mal à accepter le mot féministe. Maintenant je me dis: de toute façon je ne peux pas ne pas l’être, ça nous constitue ! Ou alors on s’enferme dans un certain masochisme.
visuels : photo officielles

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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