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[Interview] “Une vie ailleurs” : Olivier Peyon, Isabelle Carré et Ramzy Bedia répondent à nos questions

[Interview] “Une vie ailleurs” : Olivier Peyon, Isabelle Carré et Ramzy Bedia répondent à nos questions

22 March 2017 | PAR Joanna Wadel

Aujourd’hui sort Une vie ailleurs d’Olivier Peyon (voir notre critique) : un drame réaliste, humain et généreux nourri de réflexions sociologiques sur la famille, avec dans les rôles-titres, Isabelle Carré et Ramzy Bedia. L’équipe du film a accepté de répondre à nos questions. Parentalité, contre-emplois et décryptage du film, découvrez notre entretien triptyque avec Olivier Peyon, Isabelle Carré et Ramzy Bedia.

Olivier Peyon, réalisateur 

Toute la Culture : C’est l’un de vos premiers longs-métrages de fiction en tant que réalisateur, alors que jusqu’ici vous étiez spécialisé dans les documentaires. Mais on sent néanmoins une connivence avec le genre dans Une vie ailleurs. Visuellement, avec le port de caméra, les gros plans, et la réalité du pays en toile de fond… C’était intentionnel d’aborder cette histoire avec ce regard documentaire ?

Olivier Peyon : J’avais fait un premier film de fiction, « Les petites vacances » (2007) avec Bernadette Laffont et Claude Brasseur, l’histoire d’une grand-mère qui kidnappe ses petits enfants (rires). Cette fois, ça m’intéressait d’inclure la vie réelle du pays dans mon film. C’est pour ça que Luis, qui loue la voiture à Ramzy, est un vrai garagiste. En fait, quasiment tous les seconds rôles du film sont des gens de Florida, des “non-acteurs”. On a passé des castings sur place, on a tourné dans les vrais lieux, donc effectivement, il y a eu cette volonté. Après tout le reste c’est vraiment de la fiction. Et mon chef opérateur, qui vient de travailler sur le prochain Klapisch, est très fort pour faire des mouvements de caméra sans rails, mais assez naturels. Parce qu’en général quand on parle de caméra à l’épaule, il y a eu Rosetta (1999) des frères Dardenne par exemple, où vraiment… Alors que là c’est pas du tout ça, enfin j’espère (rires). Je voulais quelque chose d’assez fluide, d’assez romanesque. Mais c’est vrai que ça ne m’intéresse pas de tout recréer. Je crée une histoire de fiction de toutes pièces mais après j’aime bien me nourrir du reste. D’ailleurs j’ai réécris des parties du scénario en fonction du lieu une fois que j’avais trouvé cette ville.

Toute la Culture : Parce qu’il y a un beau compromis entre la fiction et l’aspect brut du film. Au départ, on s’attend à ce que le film soit grave en continu, avec des plans très resserrés, cette âpreté… Et finalement l’histoire, la fiction a toute sa place. C’est tendre, on sourit, sans perdre la portée réaliste. C’était ce que vous vouliez ?

Olivier Peyon : (Rires) Oui quand on dit « caméra à l’épaule », « documentaire » les spectateurs flippent un peu. Mais c’est vrai, le film s’éclaire peu à peu. Je voulais un film chaleureux, un peu comme le personnage de Ramzy (Mehdi). Il pense trouver pauvre petit enfant complètement traumatisé d’avoir perdu son père et sa mère. Mais en fait pas du tout. Il y a de la résilience là-dedans parce qu’il est entouré par sa grand-mère et sa tante. Et Mehdi découvre tout ça. C’est un peu la tendresse et l’échange qui l’emportent. 

Toute la Culture : Une vie ailleurs apporte un regard pluriel sur la parentalité, démontre la filiation ne suffit pas à faire un parent. Est-ce que par ce film vous souhaitiez en quelques sortes relativiser l’idée de parentalité, ou du moins la nuancer ?

Olivier Peyon : Je ne dirais pas relativiser, mais rappeler la complexité des relations. On a écrit pendant les manifestations de la Manif’ pour tous, et tous ces raccourcis, ces slogans affreux « un papa, une maman », c’était nier toute la complexité des rapports humains. Pour moi la vraie violence en fait elle est là. Et effectivement ce film s’est nourri de ça. La trilogie de Pagnol, Marius et Fanny, ça parle de ça aussi. Quand j’étais petit, ces films m’ont marqué, surtout lorsque César dit à son fils que la mère de son enfant lui a donné 5 kilos d’amour et que lui tout ce qu’il a fait, c’est lui donner la vie. Donc c’est aussi un hommage caché, dans le fond, le rapport à l’inné et l’acquis, la culture… Ce qu’on amène dans le rapport à l’autre. Évidemment qu’il y a des choses dans les gênes, les chromosomes, mais ça ne suffit pas à tout expliquer. Toutes les études mettent en avant l’importance du soin apporté à l’enfant, que ce soit avec deux hommes ou deux femmes. Ça s’apprend ça. Je suis père et je trouve ça important de dire que l’essentiel c’est de progresser, c’est aussi ça le message du film, qu’on puisse se tromper. 

Toute la Culture : C’était important pour vous de faire que l’enfant et son devenir, ses sentiments, soient centraux dans cette histoire ?

Olivier Peyon : C’est pas très original de ma part, mais oui. C’est vrai qu’on instrumentalise souvent les enfants dans les divorces. C’est très facile de se servir des enfants pour régler ses comptes, faire payer sa souffrance. Moi j’estime que même quand nos enfants nous poussent à bout, parce que ça arrive, c’est aux parents de trouver les clés. Après il ne faut pas non plus tomber dans l’opposé, privilégier à tous prix l’enfant même quand il ne nous respecte pas. Il faut qu’il y ait un échange. C’est une relation d’égal à égal, mais c’est vrai que c’est aux parents de gérer cette égalité. Avec mes enfants qui ont dix-huit ans, je me souviens avoir vu l’étendue des erreurs que j’allais faire, et que j’ai essayé de ne pas faire justement. C’est compliqué, c’est épuisant, c’est un échange.

Toute la Culture : Mehdi (Ramzy) apporte justement ce regard relatif, il se remet en question. C’est finalement lui le personnage du film…

Olivier Peyon : Le film est construit dans son regard. Je crois que nous spectateurs, on évolue avec lui. C’est vrai j’admire beaucoup les parents, les adultes qui ont ce rapport responsable à l’enfant, qui se mettent au même niveau mais sans niaiserie. C’est pour ça que Ramzy m’intéressait beaucoup pour ce rôle, parce que je trouve qu’il a ça en lui. Les enfants ne connaissaient pas Ramzy, mais il a eu la présence d’esprit de ne pas les traiter comme des petits gamins et ils l’ont senti.

Toute la Culture : Une vie ailleurs raconte l’histoire d’une femme qui tente de récupérer son fils, enlevé par son père en Uruguay. Elle est impuissante face aux lois, aux procédures complexes… Elle veut donc le récupérer par la force. Un sujet qui peut rappeler l’affaire de Maude Versini, qui souhaitait récupérer ses enfants détenus par son ex-mari au Mexique. Vous en êtes-vous inspiré pour écrire le film, est-ce que c’était un moyen pour vous d’aborder ces faits de société ?

Olivier Peyon : En fait, il y avait une grande scène qu’on a pas gardée qui était très explicative sur les procédures. Oui je connaissais des affaires, pas celle de Maude Versini en particulier. Ces affaires-là sont suivies par le ministère de la justice qui travaille dessus avec le ministère des affaires étrangères. J’ai passé pas mal de temps à leur parler. Et la vérité c’est que les affaires les plus compliquées ne sont pas entre l’Amérique latine et ici, mais plutôt avec le Canada. J’ai lu beaucoup de choses, j’ai vu des documentaires, donc je me suis inspiré de tout ça. Après le cas de figure de mon film n’existe pas, c’est une fiction. Mais quand je travaille un scénario je n’arrête jamais de me nourrir de la réalité. En travaillant sur le film, j’ai rencontré des gens qui avaient vécue cette situation. J’ai rencontré une mère dont les enfants étaient retenus en Uruguay à cause de son mari. D’ailleurs ce qui est génial, c’est qu’au bout de quinze jours, le père qui avait enlevé les enfants n’en pouvait plus, il ne savait pas s’en occuper, il les avait enlevé pour faire payer la mère. Et c’est très cinématographique, elle a failli s’évader avec eux pour rentrer en France, elle a rencontré le commandant d’un grand bateau qui lui a proposé de les faire passer, et toute la nuit elle a hésité pour finalement décider au petit matin de ne pas déraciner ses enfants. Elle a regardé le bateau partir. Et c’est très beau.

Toute la Culture : Vous aviez tourné en Argentine, mais vous connaissiez l’Uruguay ?

Olivier Peyon : C’est juste en face, c’est comme la Belgique et la France (rires). Non je ne connaissais pas l’Uruguay, mais par contre l’Argentine je connais bien. Les villes et les villages sont quasiment les mêmes, se ressemblent, c’est la même langue. Avant, il y a très longtemps, l’Uruguay était une province de l’Argentine, donc se sont un peu des frères ennemis. Les acteurs uruguayens vont travailler à Buenos Aires. Et il y a ce même rapport taquin qu’entre les Belges et les Français, ils se charrient beaucoup.

Toute la Culture : Comment avez-vous choisi les acteurs ? Isabelle Carré et Ramzy surtout, à qui on ne pense pas tout de suite pour un rôle dramatique…

Olivier Peyon : Isabelle, ça s’est fait très vite. J’ai pensé à elle parce que je trouvais que c’était un contre-emploi, c’est quand-même une grande comédienne donc ça m’intéressait de la voir dans ce rôle. Et Ramzy ça s’est pas fait tout de suite. Je cherchais un comédien qui puisse être émouvant et qu’on n’avait pas encore trop vu dans ce genre de rôle. Il fallait qu’il y ait quelque chose de tendre en lui, et c’est Isabelle qui m’a donné l’idée. Elle m’en a parlé en bien, elle venait de tourner dans Des vents contraires de Jalil Lespert, où il est formidable. Je l’ai trouvé incroyable. Et j’ai remarqué que Ramzy tournait dans pleins de petits films d’auteurs, il s’entraînait depuis quelque temps en fait pour… Un film comme le mien peut-être (rires). Les financiers étaient assez sceptiques parce qu’ils détestent les rôles à contre-emploi, ils se méfient. Une fois que c’est réussi, ils disent que c’est génial, mais là ils ne voulaient pas financer le film. Et maintenant même eux sont contents. Il a fallu qu’on tienne bon. Le cinéma c’est aussi de la surprise et je suis hyper fier de ça. C’est un peu la découverte de Ramzy là-dedans, alors qu’en fait c’est un grand comédien qui sait tout jouer. Mais pour moi ce n’était pas un pari risqué, pas du tout. 

Toute la Culture : Et vous comptez faire d’autres films dans cette veine ?

Olivier Peyon : Bien-sûr, c’est ce que je suis ça. Là je compte tourner un film au Japon, qui pour le coup aura moins de rapport avec la forme documentaire, même si j’aime ça ! Mais c’est vrai que quand je filme je n’aime pas tout scripter. J’aime bien qu’il y ait une dose de folie… Ça me plaît quand il y a quelqu’un qui passe dans le champ quand c’est pas prévu. Des fois c’est nul, ça marche pas, mais je préfère toujours ça à quelque chose de trop calé. Parce qu’on passe tellement de temps à formater dans l’écriture…  Je pense qu’avec ce film j’ai un peu trouvé mon style en fait !

Isabelle Carré (Sylvie) 

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Toute la Culture : On vous associe souvent à des personnages pétillants, guillerets, rêveurs…

Isabelle Carré : Ah oui ? (rires). C’est bien que vous me disiez ça parce qu’en ce moment je joue dans une comédie et j’ai peur de plomber le film, alors quand vous me dites que je suis légère et joviale ça me rassure ! Pourtant j’ai l’impression d’être assez dans le grave en fait. J’ai fais mille fois plus de rôles dramatiques. Mais je crois que depuis que j’ai commencé si il y a un adjectif qu’on me sert souvent et que je retrouve dans les critiques, c’est bien lumineuse. Je crois que c’est parce que je suis blonde (rires).

Toute la Culture : L’une de vos qualités c’est justement d’arriver à faire transparaître une palette d’émotions et d’incarner des personnages très différents en conservant cette légèreté.

Isabelle Carré : Ce qui m’a décidé à m’inscrire dans un cours de théâtre, c’est en voyant Romy Schneider dans « Une femme à sa fenêtre », et après j’ai vu tous ses films. Ça a vraiment été mon modèle, j’étais fan d’elle à cause de sa générosité émotionnelle. Et à chaque fois que je la voyais j’avais peur pour elle, je me demandais comment on peut se récupérer après avoir donné autant d’émotion ? Elle restait très fragile aussi dans la vie. Je me protège un peu plus je pense. Et ce don qu’elle a fait d’elle-même, oui je le trouve bouleversant. Je suis très reconnaissante face à des actrices comme elle. C’est drôle d’ailleurs, parce que souvent quand on demande aux jeunes acteurs quels sont leurs modèles, pour les garçons c’est Patrick Dewaere et pour les filles Romy Schneider.

Toute la Culture : Dans Les Sentiments par exemple, où l’histoire est assez dramatique, vous incarniez un personnage jovial, séduisant car candide, mais qui devenait tragique en gardant cette insouciance apparente face aux événements…

Isabelle Carré : C’est vrai j’aime bien les paradoxes, j’aime qu’on puisse émouvoir avec quelque chose d’assez drôle en même temps. Qu’on puisse être dans de l’émotion mais qu’on sourit. J’aime bien qu’il y ait ce mélange comme la force et la fragilité, qu’il y ait des choses en apparence contradictoires. Mais comme dit Pirandello, un auteur que j’aime beaucoup au théâtre, « on n’est pas qu’un, on est mille ». Et d’avoir cette multiplicité en soi, ce n’est pas mon apanage, on l’a tous en nous. C’est ça qui fait que c’est beau de voir un comédien essayer d’élargir sa palette. C’est pour ça que je suis très contente d’avoir fait ce film, qui peut-être me ressemble un peu moins. Le metteur en scène m’a demandé d’avoir une voix plus grave, cassée. D’être plus “Rock and Roll”… Plus brisée. Et on le comprend, elle n’a pas vu son fils depuis 4 ans donc elle est cassée quoi. On n’a pas vraiment de sympathie pour elle. Elle est assez borderline, elle est assez maladroite, même avec son enfant, elle est excessive. Elle en est presque irritante. Avec son opiniâtreté, elle ne prend pas en compte l’enfant finalement. Et c’est vraiment quand on va rentrer dans sa douleur, qu’on va avoir de l’empathie pour elle et encore davantage, quand elle va abandonner un peu ce volontarisme et qu’elle va penser un peu à l’enfant. Donc j’aime bien ce parcours.

Toute la Culture : C’était un rôle inédit pour vous de ne pas vous ouvrir aux autres, d’avoir cette sorte d’hermétisme comprimé, on n’a pas l’habitude de vous voir comme ça. Comment est-ce que vous l’avez préparé ce rôle, comment l’avez-vous abordé ?

Isabelle Carré : Oui elle n’est pas du tout empathique, il y a quelque chose de très sombre, d’amère chez elle, et pour le coup elle n’est pas lumineuse. J’ai vraiment pensé à l’explication de tout ce qu’elle ressent, cette douleur amassée, je la comprend tellement. Après j’ai été beaucoup aidée par Olivier Peyon qui avait quelque chose en tête de très précis, même la voix grave, il me reprenait quand je repartais dans les aigus. Ce qui est drôle d’ailleurs c’est que juste avant cette voix je l’ai découverte dans ma première mise en scène au Théâtre de l’Atelier dans « De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites ». Je jouais cette mère épouvantable qui est nocive, narcissique. Et j’avais commencé à travailler cette voix juste avant de commencer à tourner le film. 

Toute la Culture : Qu’est-ce qui vous a convaincue dans le scénario ?

Isabelle Carré : Il y a deux thèmes qui me touchaient particulièrement, le premier la question de la famille : Qu’est-ce qu’une famille ? Ce film a été crée au moment de la Manif’ pour tous et ce que raconte le film c’est que la famille qu’on se choisit n’est pas moins forte que la famille biologique. Et ça, ça me parle. Et l’autre thème c’est qu’est-ce qu’être une bonne mère ? À quel moment devient-on une mère suffisamment bonne ? Elle est vraiment dans ce volontarisme, sa projection, son obsession de récupérer l’enfant, ce qu’on peut absolument comprendre. Ça se justifie, ce manque physique de l’enfant pendant 4 ans. Mais elle devient vraiment une bonne mère quand elle accepte de prendre en compte sa vie à lui, qu’il va falloir du temps et que ce n’est pas ce qu’elle imaginait. Et ce thème là je le trouve vraiment bouleversant. Tout au long de la vie d’une mère il y a ça. Vous avez l’enfant rêvé et l’enfant réel, quand vous êtes enceinte… Puis après il faut oublier cette projection, arrêter de penser qu’il vous appartient, le laisser grandir puis le laisser partir quand il a dix-huit, vingt ans. C’est dur à exprimer ! (rires).

Toute la Culture : C’est quelque chose que vous avez vécu personnellement ?

Isabelle Carré : Oui quand mon premier enfant est né, j’écoutais autour de moi tous les conseils, je rêvais d’un mode d’emploi. Et au final je me suis dit « Non une mère parfaite qu’elle horreur, je veux juste faire mes erreurs à moi ». Et ça m’a beaucoup soulagée. En fait c’est assez narcissique l’idée de vouloir être une mère parfaite, au top. J’avais aussi peur de ne pas être à la hauteur. Ce n’était pas que l’idée d’être la meilleure mère au monde, c’était surtout l’idée de ne pas bien faire. Oui je pense qu’il y a plein de moments où on est face à ça. C’est à dire au respect de l’enfant, à prendre en compte l’enfant avant tout, être à son écoute plutôt que de rester bloquée à « comment je vais faire, comment je vais être, pas être… ». Il faut se laisser tomber soi, s’oublier un moment pour être tournée vers lui.

Toute la Culture : Quelle est votre vision de Sylvie ? Aviez-vous des points communs avec elle au départ pour l’interpréter, ou pas du tout ?

Isabelle Carré : Elle est dans l’urgence absolue de rattraper le temps perdu. Mais ce n’était pas difficile à jouer dans le sens où il suffit simplement de se projeter un peu dans cette situation pour se dire que ses pétages de plombs réguliers se tiennent, ils sont complètement crédibles.

Toute la Culture : Et comment avez-vous travaillé avec Ramzy, vous vous entendiez bien ?

Isabelle Carré : Ah mais c’était merveilleux de travailler avec Ramzy ! C’est moi qui en ai parlé pour ce rôle à Olivier Peyon, j’avais été subjuguée de ce qu’il proposait sur Des vents contraires. Je l’aimais bien déjà sur un registre de comédie, j’avais adoré Est-ce qu’il reste du jambon ? et plein d’autres films de lui. Mais là je le découvrais encore autrement et j’étais persuadée qu’avec cette espèce de force physique et en même temps cette fragilité qu’on sent en lui, il serait parfait pour le personnage !

Toute la Culture : Vous êtes à égalité avec Ramzy dans le film, il y a ces deux regards…

Isabelle Carré : Oui j’aime bien qu’il y ait ces deux points de vue. J’ai adoré faire ce film. De travailler avec une équipe à 90% Uruguayenne, d’être dans un autre pays, de retrouver Ramzy… C’est tellement bon de jouer avec lui, c’est tellement sensible ce qu’il donne. Puis j’aime beaucoup aussi le travail d’Olivier Peyon, c’est quelqu’un qui vient du documentaire, j’avais aimé son film magnifique J’ai détesté les maths et Les petites vacances aussi. Je ne sais pas si c’est le fait du voyage, de la singularité du scénario, tout ça réuni qui fait que ça reste une expérience très forte et singulière pour moi. Je suis très attachée au film.

Toute la Culture : Question un peu classique. Dans le film vous parlez une bonne partie du temps en espagnol, vous le parliez déjà un peu avant ou vous avez pris des cours pour préparer le film ?

Isabelle Carré : Je ne parlais pas du tout ! J’ai travaillé avec une coach pendant quelques semaines, et après je me suis vite sentie à l’aise avec cette langue. Je suis beaucoup plus à l’aise bizarrement avec des langues comme celle-là ou dans Cherchez Hortense où j’avais dû apprendre le Serbe, qui n’est quand même pas la langue la plus facile, qu’avec l’anglais. Parce qu’en fait l’anglais, on l’entend tellement que je me dis que c’est plus détectable quand on fait fautes (rires).

Toute la Culture : Et vous comptez vous lancer dans d’autres projets qui divergent de ce que vous avez pu faire avant ?

Isabelle Carré : Là j’ai envie de faire un peu de comédie parce que c’est vrai que c’est un registre qui m’est peu familier, contrairement à Ramzy. C’est l’inverse, c’est là paradoxalement où je me mettrais plus en danger, là où je serais le moins à l’aise peut-être.

Ramzy Bedia (Mehdi) 

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Toute la Culture : Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce scénario ? Comment est-ce que vous percevez Mehdi et ses prises de position, le rôle crucial qu’il finit par prendre dans le film ?

Ramzy Bedia : Ce que j’aime dans cette histoire, c’est quelque chose qu’on ne voit pas tout de suite, mais qui moi me saute aux yeux, c’est le fait qu’une famille c’est pas forcément un papa, une maman, un enfant. On voit dans ce film que l’enfant est élevé par sa grand-mère et que finalement il est peut être mieux avec sa tante et sa grand-mère qu’avec ses parents. Et qu’une famille c’est ça, c’est pas forcément « papa-maman » comme certains essaient de nous le faire croire en défilant dans la rue… Les liens du sang sont pas les plus forts.

Toute la Culture : On vous connaît surtout pour des comédies, mais vous avez toujours eu ce côté touchant et maladroit qu’on retrouve ici. Olivier Peyon vous a t-il donné des directives, ou bien demandé de ne pas chercher à composer et de rester vous-même pour construire le personnage ?

Ramzy Bedia : Je me rend pas compte de ça (rires). Oui, comme ça fait vingt ans que j’essaie de faire rigoler, j’ai justement des travers, quand je vois qu’une scène même sérieuse manque un peu de rythme je rajoute quelque chose de physique ou quelque chose pour faire rigoler. Et Olivier Peyon a tout enlevé. Il venait me voir entre les prises en me disant « Faut que t’enlèves Eric et Ramzy ». Du coup, petit à petit, il reste ça. C’est du travail que j’ai fait avec lui. En fait comme on est partis en Uruguay, pays que je ne connais pas, donc moi j’étais exactement comme le personnage et je me suis vachement servi de ça, j’ai fais comme si c’était moi le vrai Ramzy, perdu en Uruguay. Si j’étais perdu dans un pays je serais exactement comme ça. C’est comme si j’étais vraiment tout seul.

Toute la Culture : Vous étiez familier de l’Amérique Latine, ou pas du tout ?

Ramzy Bedia : J’étais allé en touriste au Mexique, mais là j’ai un peu découvert puisqu’après le tournage je suis resté, je suis allé en Argentine, visiter le Brésil… J’ai adoré l’Amérique Latine ! L’Uruguay c’était la première fois, c’est assez isolé quand-même, on se croirait en Suisse. C’est très joli mais il n’y a pas grand chose à faire contrairement aux pays d’à côté comme le Brésil, où là, c’est la folie.

Toute la Culture : Vous parliez Espagnol ?

Ramzy Bedia : Je parle espagnol. Comme quoi tu vois l’école… Et j’ai toujours été en vacances en Espagne. Je parle anglais aussi. Ce sont des langues que j’ai apprises à l’école et que j’ai jamais arrêté d’entretenir.

Toute la Culture : Les faits divers de ces enfants enlevés par leurs parents dans des pays à l’étranger, vous y étiez déjà sensible ?

Ramzy Bedia : Je suis très sensible au fait qu’un parent empêche l’autre parent de voir ses gamins, ça c’est quelque chose qui me bouleverse. Et j’ai la chance moi de ne pas vivre ça. Je suis aussi séparé de mon ex-femme et j’appuie vraiment là-dessus parce que j’ai pleins d’amis qui galèrent pour voir leur gamin, et c’est horrible. C’est souvent le père mais l’inverse comme dans le film ça me bouleverse aussi, je trouve que c’est de la maltraitance faite à l’enfant. L’enfant à besoin des deux, et si les parents sont en embrouille, ça les regarde eux. Il faut pas enlever un parent à l’enfant. Et ce film là touchait à ça.

Toute la Culture : Vous désirez faire d’autre rôles dramatiques, sortir un temps de la comédie ?

Ramzy Bedia : Non pas du tout, la comédie c’est vraiment mon ADN, c’est le truc où je m’amuse le plus. Mais j’aime jouer aussi maintenant, j’ai 45 ans, donc faut peut-être que les choses avancent, j’ai besoin d’autres choses aussi. J’aime bien le prendre comme un vrai travail, pas le prendre à la légère, j’aime vraiment me concentrer et travailler le tout. C’est pas comme la comédie où la difficulté c’est d’arriver à faire rire et réussir le gag au bon moment, là il faut jouer sur d’autres choses. Et il y en a d’autres dans les tuyaux !

Propos recueillis et retranscrits par Joanna Wadel

Visuels : © Toute la Culture

“Soudain, l’été dernier”, Tennessee Williams lancinant à l’Odéon
Guy Hocquenghem, l’irrévérence virtuose
Joanna Wadel

One thought on “[Interview] “Une vie ailleurs” : Olivier Peyon, Isabelle Carré et Ramzy Bedia répondent à nos questions”

Commentaire(s)

  • GONZALEZ Marie

    Ces interviews sont constructifs et bien menés. Je pense que le réalisateur et les acteurs devaient être à l’aise face à leur interlocutrice. Cela se sent dans leurs réponses. On a envie d’aller voir le film non pas uniquement pour le sujet traité qui est d’actualité, mais aussi pour voir les acteurs dans de rôles inhabituels. Puis je dois l’avouer je suis fière de ma fille
    Joanna Wadel. Et oui, moi aussi je suis une maman et surtout la sienne en l’occurrence ! Bravo ma fille ! Ta mère qui t’aime.

    March 24, 2017 at 15 h 21 min

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