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[Interview] Rencontre avec Laura Schroeder et Lolita Chammah pour “Barrage”

[Interview] Rencontre avec Laura Schroeder et Lolita Chammah pour “Barrage”

19 July 2017 | PAR Yaël Hirsch

Après avoir fait du bruit à la Berlinale, le film de la réalisatrice luxembourgeoise Laura Schroeder arrive ce 6 juillet sur nos écrans français. Histoire de filiation et de quête identitaire, Barrage met en scène trois générations de femmes, avec leurs névroses, leur impossibilité et leurs amours vécues ou perdues. Lolita Chammah est le personnage principal de ce film sensible où elle retrouve sa mère à la ville, Isabelle Huppert comme partenaire matérenel à l’écran. Rencontre parisienne avec la réalisatrice et son actrice.

Dans l’écriture du film,  combien vous avez travaillé l’impression de huis-clos ?
Laura Schroeder : Oui. C’était une des idées qui ont donné naissance au scénario sous cette forme. Qu’elle parte quelque part et qu’elle soit — c’est d’ailleurs pour ça que j’ai choisi cet endroit là assez particulier au Luxembourg, parce que j’avais envie d’avoir cette atmosphère, enfin je ne dirais pas étouffante mais isolée. Qu’ils soient un peu laissés comme ça à l’abandon dans cette nature, dans cet endroit où il n’y a presque pas de civilisations et en même temps dans ce chalet ou la forêt aussi qui les oblige à…

On a l’impression que la nature peut se retourner les personnages, qu’elle peut devenir dangereuse...
LS: C’est ça que j’aime beaucoup en fait avec l’espace du lac qui est le décor du film. C’est vraiment en fonction de la lumière que tout bascule. On peut avoir un effet un peu carte postale estivale et puis parfois une lumière peu plus menaçante…

Le film est tourné au Luxembourg, dans votre pays, avez-vous puisé dans des souvenirs d’enfance…
LS: Non. En faite quand j’étais enfant, nous on n’allait jamais sur ce lac. J’ai commence à y aller — alors c’est à une heure de la ville, parce que moi j’ai plutôt grandi autour de la ville de Luxembourg, et j’y allais plutôt quand j’étais adolescente mais la plus grande partie du lac qu’on voit dans le film c’est une réserve naturelle et il y a en aval de cette zone, une ou deux plages publics. Moi, ado j’allais plutôt dans cet endroit là et c’est que plus tard en faite avant de me plonger dans l’écriture du Barrage que j’y suis allée et dans une première phase d’écriture c’était pas du tout censé se dérouler là. C’était censé partir en France en faite à la mer. Et tout d’un coup je me suis dit que ça n’avait aucun sens, et qu’il y avait cet espace là au Luxembourg. Du coup j’ai changé en faite, j’ai choisi ce lac là, puis l’idée du chalet familial.

Comment avez vous ressenti et joué du climat féminin du film ?
Lolita Chammah : C’est l’histoire de trois générations de femmes, une sorte de filiation. Mais après pour moi le film n’est pas féministe. C’est un film qui parle de femmes et fait par une femme. Or on me pose beaucoup cette question, puisque cette année j’ai tourné avec des femmes. J’ai beaucoup de projets avec des femmes et je suis assez habituée à tourner avec des femmes, presque plus qu’avec des hommes. Par ailleurs, j’ai des projets avec des hommes et c’est sûr qu’il y a une différence et en même temps je ne me dis pas que le film de Laura est un film féminin ou feministe. J’ai toujours un peu de mal avec cette idée, qu’il y aurait des films “masculins” et “féminins”. Dans Barrage, il y a une douceur qui est féminine mais en même temps il y a une grande violence…

Oui il y a une grande violence entre les personnages…
LC : Bien sûr, il y a une toxicité des rapports familiaux dans le film qui apparaît. Le film raconte ça aussi, comment on est enfermé dans son rôle d’enfant et de parent et comment on peut s’en libérer aussi, parce que la fin va vers une sorte de lumière pas si simple parce qu’elle ne repart pas avec sa petite fille genre tout est réglé mais voilà il y a quelque chose qui a oeuvré sur les trois personnages.

On se demande au début du film si le personnage de Catherine n’a pas plus un rapport sororal qu’un rapport mère-fille avec la petite ?
L C : Oui c’est vrai. Mais je pense que Laura jouait là dessus aussi sur les ait que Catherine était une très jeune mère, que la petite fille n’était pas si petite enfin il y avait un truc comme ça de brouillage de pistes.

L S: Oui et d’une certaine façon elles sont toutes les deux filles de la même mère, enfin elle est sa fille directe et puis Alba est élevée en quelques sorte comme la fille d’Elisabeth aussi. Donc dans ce sens, c’est comme ci elles avaient vécu aussi un peu la même chose à différents moments. Quelque part, ça les relie.

Comment avez-vous travaillé ensemble? Que vous vous êtes dits sur le personnage de Catherine ?
L S: Je ne sais pas si on n’en a parlé.

L C : On a répété un peu avant le tournage, il y a eu une sorte d’immersion comme ça. Mais ça ne passait pas vraiment par des explications psychologiques de ce qu’il se passait, sur les actions des personnages.

L S : Quand j’écris, j’ai besoin de savoir d’où vient le personnage, qu’est-ce qu’il a fait avant et bien sûr d’où vient l’urgence. Mais je n’avais pas envie que ça devienne le sujet du film. J’avais vraiment envie de prendre les personnages à ce moment là et d’essayer de raconter cette histoire avec le moins d’explications possible parce que je n’avais pas envie que ça devienne psychologique, que ça joue sur ça. Ça a été un grand défi pendant l’écriture justement d’épurer en quelque sorte et de retirer tout ce qui n’était pas vraiment nécessaire et de garder vraiment ce qui tait nécessaire pour le coup.

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Le film n’est-il pas plus l’histoire d’une rencontre qu’une question de maternité?
L S: J’irais même plus loin. Pour moi c’est un film sur le personnage de Catherine, sur son parcours. Plus que la maternité, c’est un film sur la filiation et sur ce que ça veut dire être l’enfant de quelqu’un et d’avoir un enfant. C’est vraiment comme je dis le trajet de cette femme qui quelque part vient avec un but égoïste, je pense qu’elle essaye de combler quelque chose à travers cette fille.

Quel rôle joue le rituel dans le film ?
L S : Ces rites en tout cas pour Alba, c’est comme un pilier en faite. Quelque chose à laquelle elle peut s’accrocher. J’avais toujours cette idée pour ne pas sombre — ça me fait penser tout d’un coup à l’image très forte de bouée. Tous ces rites sont des bouées. Bien sûr il y a le lac aussi, mais oui c’est qu’elle s’accroche comme ça, comme Elisabeth s’croche à sa petite fille et qu’elle lui fasse refaire ce qu’elle a fait comme Catherine s’accrochait aux drogues et aux pilules. Quand Alba fait la chaise, quand elle est toute seule au lac, il y a quelques chose qui craque nef faite, et comme s’il fallait dépasser ces rites pour être plus forte.

Qu’est-ce que ça fait de jouer vraiment avec sa vraie maman un film sur la question de la filiation?
L S: Je l’avais déjà fait dans Copacabana, où la question était presque plus centrale et moins violente, parce qu’ici les scènes qu’on a sont plus violentes mais moins centrales parce que l’histoire vraiment du film c’est la rencontre entre Alba et Catherine, mais je crois que, comme pour n’importe quelle autre actrice, à la fois sur un tournage c’est quand même la fiction qui l’emporte et en même temps c’est autre chose puisqu’on est mère et fille dans la vie et que donc il y a aussi une part qui ne peut appartenir qu’à Isabelle ou mois parce que c’est nous deux qui faisons et en l’occurence je n’ai aucune autre mère et elle n’a aucune autre fille.

Comment avez-vous dirigé et joué avec la petiteThémis Pauwels?
L C: Oui, il a quelque chose d’étonnant à jouer avec un enfant. Elle était merveilleuse, enfin elle était très généreuse surtout et cette rencontre improbable entre nous deux était totalement naturelle. Elle me laissait faire tout ce que je voulais, il y avait quelque chose de libre et de juste entre nous. Les enfants ont cette chose là en eux. Après, moi j’adore les enfants, certains en ont peur mais pour moi c’était très évident de jouer avec elle. J’ai re-joué just après avec un enfant et c’était super aussi parce que pour moi les enfants donnent quelque chose qui est rare.

L S: Elle a été incroyablement professionnelle et précise. Moi aussi j’avais peur: c’est pas la première fois que je travaillais avec des enfants, mais c’était la première fois pour un rôle assez lourd à porter. J’avais peur qu’elle ne comprenne pas, pourquoi ce personnage agissait de cette façon là. Et en faite elle m’a souvent épatée par sa compréhension de ce qu’on voulait.

Barrage, de Laura Schroeder, avec Lolita Chammah, Thémis Pauwels et la participation de Isabelle Huppert, Luxembourg, Belgique, 1h50. alfama film. Sortie le 19 juillet 2017.

visuels : photos officielles du film

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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