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[Interview] Pierre Courrège : “La politique, ce n’est pas juste une idée, il faut que ça se traduise en faits réels”

[Interview] Pierre Courrège : “La politique, ce n’est pas juste une idée, il faut que ça se traduise en faits réels”

14 June 2016 | PAR Yaël Hirsch

Ce mercredi 15 juin 2016 sort Un homme d’Etat. Un film politique fin, écrit par François Bégaudeau (scénariste de la Palme d’or 2008 Entre les murs) etqui se concentre sur un tête à tête entre un Président sortant qui espère être rééulu et un homme d’état de Province et du camp opposé que le Président tente de rallier à son camp. Portée par Patrick Braoudé et Pierre Santini, cette histoire forte est filmée entre Paris et le Gers par Pierre Courrèges. Nous l’avons rencontré pour qu’il nous parler de film dense aux dialogues ciselés.

Comment avez-vous rencontré François Bégaudeau et comment avez-vous écrit ensemble le film?
En fait, ça s’est fait par l’intermédiaire d’un producteur qui lu le synopsis, qui connaissait François et qui a pensé que le visuel pouvait l’intéresser. Il a passé le synopsis à François. Effectivement il a été intéressé, on s’est rencontré. Et tout de suite on est tombé d’accord sur le désir d’écrire ensemble, travailler sur ce projet et voilà, et ça s’est magnifiquement passé parce que d’abord c’est un homme très exigeant, et c’est très agréable de travailler avec des gens très exigeants et brillants. Voilà, naturellement.

Ce qui est très fort dans le film, c’est que c’est très centré, très précis…
Oui, le projet s’est écrit assez vite, on savait, on connaissait l’axe d’écriture, on connaissait l’enjeu du film, le système narratif, le rebondissement et la bascule. A un moment donné puisqu’on part sur l’intrigue, on part sur le personnage féminin. Réussira-t-elle à convaincre cet homme pour le compte du président de la République ? Se servir de tous ces questionnements. A un moment donné on a la réponse. Et tout ça , pour partir sur un deuxième enjeu. L’idée c’était de diviser le film en deux parties ; sur un enjeu et ses conséquences. C’était assez clair depuis le départ. Après on a beaucoup travaillé sur les trois personnages principaux. Et puis on voulait autour des personnages secondaires, mais qui existent vraiment, qui ne soient pas juste des faire-valoirs, des choses comme ça, et qu’il y ait une vraie action dans l’action.

Les dialogues sont très écrits. Et c’est très beau, ça fonctionne bien. Quelle est la limite de la littérature dans le caractère “littéraire” des dialogues pour qu’un film reste “crédible”?

Chaque film repose sur quelque chose de particulier, un climat. Nous, on voulait faire un film de dialogue. L’idée était de chorégraphier ces dialogues pour en faire un film, pas une pièce de théâtre. Et effectivement les dialogues sont pertinents, ils sont brillants, pleins de références, il y a plein de second degré. François Bégaudeau a très bien réussi le texte.

Quelle est votre réplique préférée ?

Il y en a plein. J’aime beaucoup quand Pierre est au téléphone et qu’il dit : « La politique est un art complexe où la vérité doit frayer avec le masque, ceux qui sont sincères ne montent jamais très haut, etc… ». Il y a bien évidement le face à face entre les deux hommes d’état, je ne pourrais pas choisir une réplique dans ce face-à-face.Et puis une petite que j’aime beaucoup aussi, c’est celle du gamin, quand ils sont impuissants face à la vente aux enchères dans le monde paysan, qu’ils sont là et qui dit : voilà on est là pour apporter notre soutien et marquer notre désaccord. Et l’autre qui dit : On s’en fout de votre désaccord. A un moment donné, je veux dire, la politique, ce n’est pas juste une idée, il faut que ça se traduise en faits réels. Et quand elle est impuissante, elle en est d’autant plus dramatique.

Vous situez votre film dans une tradition française?
Je ne me positionne pas par rapport aux autres. Mais on s’inscrit forcément dans un courant, et je pense que le film politique français existe. Il existe un film politique en France, remarquable, mais on ne s’est pas posé la question de savoir si on entrait dans ce moule…

Mais avoir envie de jolis de dialogues, ça fait parti d’un tradition du film politique français, n’es-ce pas ?
Le film dialogue est déjà une tradition du cinéma français et le cinéma de politique de dialogues, oui. Parce qu’il y a une théâtralité chez l’homme politique, il y a une mise en scène de sa propre parole, et du coup pour les gens qui aiment les dialogues, ce sont des personnages qui sont extrêmement intéressants à écrire. Et en plus, l’homme politique s’inscrit dans l’histoire, donc les dialogues, en plus, vont chercher dans la référence, dans le passé. Donc c’est triplement intéressant pour un dialoguiste.

Le film sort à un moment de tension sociale et politique. Qu’est ce qu’Un homme d’Etat peut révéler en ce printemps 2016?
Je pense que le film est d’actualité dans la mesure où il y a un malaise chez nous en France, un malaise de confiance dans la parole politique et dans l’homme et la femme politique. Le film met face à face l’ambition et la conviction, un chef d’Etat et un homme d’Etat, le pouvoir et la puissance. C’est je crois un malaise qui est ressenti de façon assez globale, et c’est peut-être pour cela que certains vont dans l’abstention et d’autres vers des extrêmes dangereux. Donc oui, je pense que le film est d’actualité parce que le citoyen a envie d’avoir confiance dans l’homme politique. Je suis un citoyen avant d’être un réalisateur, ou les deux en mêmes temps. Qu’est-ce que les citoyens veulent de leurs représentants? On ne veut pas d’abord que ce soit quelqu’un de normal, on veut que ce soit quelqu’un de rusé, de malin, d’intelligent, de brillant, de machiavélique même, parce qu’il va devoir rivaliser, convaincre, argumenter, se confronter à la fois à l’intérieur du pays mais aussi à l’extérieur avec d’autres personnalités, d’autres esprits malins et rusés. Mais toute cette intelligence, toute cette ruse, on veut qu’il la mette en finalité au service de quelque chose, c’est ce « au service de quelque chose » qui fait toute la différence. Aujourd’hui, je pense qu’un des malaises, c’est qu’on ne sent plus ce « au service de quelque chose”. On a peut-être, peut-être à tort, mais il y a ce sentiment que les politiques mettent toute cette intelligence au service de leur propre pouvoir, et non plus d’un projet, ou alors ce projet ce serait d’adhérer à un projet plus global, plus mondial qui est le libéralisme.

Le film évoque aussi le brouillage des projets et des repères entre la droite et la gauche…
Je crois que c’est parce que la gauche aujourd’hui n’a pas de projet politique clair. La droite oui ? Oui, bien sûr, il est très clair. C’est le fait d’accroître la sécurité présentée par la gauche, la gauche au pouvoir actuellement. Est-ce qu’on peut encore l’appeler gauche ? Je n’en sais rien. La droite ne nous décevra pas parce que de toutes façons, on sait ce qu’elle veut, on sait où elle va. La gauche est décevante, en tous cas, une certaine gauche parce qu’elle ne propose pas un projet de justice. Qu’est-ce qui s’affronte aujourd’hui ? La justice et l’ordre, l’ordre et la justice. Qui est au service de qui ? Est-ce que c’est la justice qui se met au service de l’ordre ou l’inverse ? Et aujourd’hui on est en train de partir vers une justice au service de l’ordre. Et on a l’impression que l’on n’a pas le choix. C’est dramatique. Moi ce que je veux c’est l’ordre au service de la justice ; c’est la justice avant tout qui m’intéresse. C’est ce manque de justice qui fait que des hommes et des femmes sont dans la rue, se posent des questions à Nuit Debout, manifestent. On a beau nous dire qu’elles ont disparu, la droite et la gauche, bien sûr que cela existe. L’Etat social aussi existe.

Pour incarner les différents hommes politiques dans les listes du pouvoir, vous les avez extrêmement bien moulé, parfois à contre emploi ou parfois dans des emplois dans lesquels on ne les voit pas souvent…
C’est non seulement fait exprès, c’est le plaisir d’un metteur en scène, c’est de proposer un artiste dans une couleur dans laquelle on l’a pas encore trop vu ou pas vu du tout. C’est le cas effectivement de Patrick Braoudé qui joue pour la première fois un personnage platonique, très sérieux, très froid, cynique, mais qui a un talent énorme, qui amène par ses capacités à jouer la comédie des contre-temps, des contre-rythmes qui sont très intéressants pour le personnage. C’est effectivement le cas de Bruno Solo de présenter encore une autre facette de cet acteur qui est pour moi un des grands acteurs aussi français. Je pense à Jean Benguigui qui joue le rôle d’un maire, comme cela, de droite, de province, que l’on voit plutôt dans les comédies, mais là qui arrive avec ses convictions, ses affirmations, ses revendications. Et je pense aussi à une comédienne, Nicole Valberg, moins connue en France, mais qui est une grande comédienne en Belgique. Absolument, elle est d’une justesse, d’une précision. Et puis après, bien sûr, on a des découvertes comme Samia Dahmane…

Un des thèmes du film c’est aussi Paris-Province…
Je crois que c’est aussi de ça dont souffre la politique, c’est-à-dire que tout à coup, il y a une déconnexion et la province existe. Non seulement elle existe dans l’industrie qu’elle propose, dans l’agriculture, dans la culture, mais aussi dans les idées politiques, des hommes et des femmes qui s’impliquent. Peut-être que nos responsables politiques devraient plus venir de province, ou en tous cas ne pas oublier d’où ils viennent s’ils en viennent quand ils sont au sommet de l’Etat. La province est riche en France. Et le Gers, le Sud-Ouest en général, c’est quand même le berceau du radical socialisme, ça a du sens en France. Jaurès, il a des terres. Ce côté enraciné de la politique, qui fait référence à son histoire, il ne faut peut-être pas l’oublier, sinon on a une politique du son, sans racine, trop légère, qui est prête à tout. Non, la province est importante, c’est vrai, par sentimentalisme, mais aussi par écho de ce que je disais du radical-socialisme, je voulais être dans le Sud-Ouest. C’est vrai que j’aime le Gers, j’avais envie de montrer sa beauté, mais aussi sa cruauté à travers la scène de l’isan (?), parce que ce n’est pas parce qu’on a un beau paysage que la vie est belle. Et puis je voulais les remercier d’avoir aidé au financement du film.

Le film est très réaliste, très tenu, et il y a une scène, un peu surréaliste, qui est la scène de la danse à l’Elysée, comment ça vous est venu ?
Cette scène n’était pas écrite, ce n’était pas dans le scénario. Ca fait parti de ces quelques scènes dont on sent la nécessité au fur et à mesure que l’on avance dans l’autre écriture que le tournage. J’avais envie d’une scène de ce président dans son palais, qui parle un peu de ce combat qu’il vient de mener avec ce combat intellectuel, de pouvoir face à Bergman, et de cette solitude de l’homme, de pouvoir, de cet immense pièce, et qui tout à coup se met à danser dans cette corrida, pour moi c’est une corrida. Et Patrick l’a merveilleusement interprété, improvisé. Ca s’est décidé, comme ça, pendant le tournage. Après, j’ai mis une musique que j’adore, …, référence au Sud, à Toulon, au Sud-Ouest, et à cette danse qu’il fait en même temps. Est-ce qu’elle est là cette musique ou est-ce qu’il l’entend ? C’est pas dit, et ça n’a pas besoin d’être dit. J’avais besoin d’une animalité du discours, et une forme tout à coup de voix dans le corporel de ce que peut provoquer le combat intellectuel, une partie d’échecs, comme celle qui vient de se

Qu’est-ce que vous espérez comme couverture médiatique à la sortie du film ? Vous espérez pouvoir participer à des débats qui parlent de questions politiques ?
Alors, je vais me à l’expérience des quelques projections que l’on a fait. La film a eu la chance d’être sélectionné au festival de film du monde de Montréal. Nous avons été en Corse, nous avons été dans le Sud-Ouest, à Lyon. Et chaque fois, le film effectivement propose un débat. Les gens parlent du fond du film, ce qui me fait extrêmement plaisir. Ils s’expriment, ils parlent, ils essayent de trouver ce Bergman dans la vie politique française, ce n’est pas l’objet du film, mais en tous cas, il suscite le débat. Si effectivement, le film procure d’abord des émotions dans le fait de recevoir l’intelligence des dialogues, la pertinence et la manière brillante dont les comédiens les portent, et dont la mise en scène tente de les chorégraphier, c’est très bien ça. Si en plus, effectivement, ça suscite du débat, si les gens ont envie d’en parler, de se poser des questions, que des responsables des exploitants organisent des débats, que ce soit avec nous ou sans nous, des gens de la ville dans laquelle le film passe pour nourrir une réflexion citoyenne. Ecoutez c’est merveilleux.

visuel : photo officielle

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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