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Interview exclusive de Roman Coppola autour de la sortie de « Dans la Tête de Charles Swan III »

Interview exclusive de Roman Coppola autour de la sortie de « Dans la Tête de Charles Swan III »

12 August 2013 | PAR Yaël Hirsch

 

Alors que « Dans la tête de Charles Swan III » est à l’écran, le réalisateur Roman Coppola nous a accordé un entretien pour éclairer certains aspects de la gestation de son extravagant personnage. Psychédélisme seventies, grandes histoires d’amitié et réflexions sur la création, sont au menu de ces explications sans jargon ni tabou.

Charles s’appelle “Swan”, à cause de Proust ou du personnage de « Phantom of Paradise » de Brian de Palma?
Il fait plus référence au film de Brian de Palma. Le personnage a été inspiré par Charles E.White III, le grand graphiste de LA. A ce modèle, j’ai apposé le Swan de « Phantom of Paradise », qui avait l’élégance et l’exubérance nécessaire. Je me suis beaucoup inspiré du mode de vie flamboyant qui caractérise le personnage de Swan interprété par Paul Williams dans le film de Brian de Palma. Ce n’est qu’après-coup que j’ai réalisé et que j’ai apprécié le fait que le Swann de « Du Côté de chez Swann » existait à l’arrière-plan du personnage.

Charles Swan III est-il un personnage nostalgique ?
Ce genre de personnage vient d’un temps et d’un lieu déterminés : la pop culture à Los Angeles dans les années 1970. Des icônes comme Brian Ferry ou Jack Nicholson avaient ce genre d’attitude très cool qui vient d’un autre temps et qu’on ne trouve plus aujourd’hui. En ce sens, il y a de la nostalgie dans le personnage de Charles Swan.

Comment avez-vous travaillé l’atmosphère psychédélique du film ? Comment avez-vous choisi les meubles, le décor, mais aussi les mots et la musique pour nous faire plonger en immersion dans une époque si flamboyante?
J’ai fait le film de manière intuitive, pour tenter de faire le portrait d’un moment du pop art qui a eu lieu en Californie au début des années 1970 et qui part directement du milieu de la publicité. Et bien sûr le personnage de Charles Swan vient du milieu de la publicité. A l’époque, il y avait toute une imagerie qui était très sexy, colorée et extravagante et quand j’ai fait des recherches et j’ai réalisé que beaucoup d’artistes de ce temps ont utilisé des images des années 1930 et 1940, des années de dépression et les ont détournées de manière un peu cynique et sexy. C’est drôle, joueur et sexy.

Pour les meubles psychédéliques, le morceau de bravoure est probablement le hot dog dans le bureau de Charles Swan qui est très caractéristique du pop art dans la pub à l’époque. Les looks de l’époque sont également très représentatifs de l’époque et chaque personnage à le sien. L’artiste Kirby Star est très représentatif de son temps avec ses vestes et sa barbe. Les costumes élégants de Charlie font penser à ceux de Bryan Ferry ou de Jack Nicholson. Mais la musique est une catégorie à part. C’est elle qui donne sa patte au film. J’ai écrit le film en écoutant la musique de Liam Hayes, je me suis rapproché de lui et nous avons vraiment travaillé scène par scène ensemble pour créer le film. Sa collaboration est fondamentale et le film ne serait pas ce qu’il est sans sa musique.

Quand avez-vous su que Charlie Sheen jouerait le rôle-titre ? Dans quelle mesure le personnage est-il inspiré par l’acteur ?
Le projet du film depuis le début, c’est de tenter de percer le secret du personnage principal. Qui est-il ? Et la réponse est qu’il s’agit d’un type très talentueux, une espèce d’ovni arrivé au milieu de  sa vie, laissant derrière lui les années de jeunesse play-boy. J’avais besoin d’un acteur à la fois charmeur, charismatique mais aussi capable d’interpréter quelqu’un qui se sent arriver au milieu de sa vie. Avec tout l’humour et le bagout nécessaire pour incarner un personnage qui se sort de nombreuses situations, juste en parlant avec les gens, quitte à les baratiner. Mais, au-delà du charme, il fallait vraiment quelqu’un qui puisse tenir ce rôle difficile. J’étais déjà presque à la fin du scénario quand j’ai eu Charlie au téléphone et que je me suis dit qu’il serait parfait pour ce rôle. Je n’ai donc pas écrit Charles Swan pour lui, sauf qu’à la fin de la période d’écriture quand j’ai commencé à imaginer comment allait se passer la production, je savais qu’il était le meilleur pour le rôle.
Quant à savoir ce qui a pu se refléter de la vie personnelle de Charlie dans son interprétation du personnage de Charles Swan, je crois que tous les acteurs amènent leur propre personnalité pour interpréter un rôle et c’est ce qu’il a fait. Mais en même temps, il était très demandeur que je le dirige et venait vers moi pour que je lui dise qui était son personnage. Charles Swan est donc véritablement une création et pas une composition.

Quel effet cela produit-il d’avoir des seconds rôles aussi excellents que Bill Murray, Jason Schwartzman et Patricia Arquette?
Tout film est fait principalement sur son écriture et le jeu de ses acteurs. Leur participation était donc vraiment précieuse ! Avoir ces trois talentueux acteurs sur le plateau était très précieux. Mais en plus, tous trois font partie de ma vie depuis longtemps. Jason je le connais depuis sa naissance, c’est mon cousin. Patricia est quelqu’un dont je suis proche et qui a été mariée avec mon cousin, Nicolas Cage et je la connais depuis longtemps. Bill Murray est quelqu’un que j’ai appris à connaître et à apprécier de plus en plus avec les années grâce à son travail avec Sofia et aux films de Wes Anderson. Ce sens de familiarité, de confiance et de camaraderie crée une belle atmosphère et facilite le travail : les acteurs te font confiance, tu sais comment leur parler, tu connais bien leurs points forts, ce qu’ils sont capables de faire, et c’est un grand avantage.

En 2013, un personnage comme Charles Swan III peut-il encore exister ? Aussi libre, créatif, irresponsable et cependant menant avec succès une entreprise où travaillent de nombreuses personnes ?
Bien sûr que oui ! J’ai l’impression qu’il y a encore des entreprises qui sont conduites avec succès par des hommes qui sont visionnaires et aussi peut-être irresponsables, si la créativité rend irresponsable. Je n’aime pas trop me comparer moi-même à Charles Swan mais je dirige depuis 15 ans une boîte qui réussit plutôt bien. Et comme on a tourné le film dans notre bureau, je me sens proche du personnage et il me semble qu’on voit encore souvent des hommes créatifs mener des entreprises avec succès.

Peut-on dire que « Dans la tête de Charles Swan III » est un « feelgood movie » au sens le plus positif du terme?
Absolument ! Je ne vois rien de négatif là-dedans. Le film est l’étude psychologique d’un homme qui se retrouve dans une position personnelle terrible et qui parvient à traverser cet épisode difficile pour repartir vers un chapitre nouveau de sa vie. Rien de plus « feelgood » ! Et toutes les scènes de rêveries où l’on voit des indiens et des vaches danser sont pensées pour faire sourire le public. Mais, pour moi, la dépression et la créativité sont de mauvais amis. Quand vous souffrez de dépression, souvent votre vie fantasmatique est d’une richesse fabuleuse. Donc dans le film, la dépression est transformée en festival de belles images, ce qui est pour Swan la meilleure manière de s’en sortir.

Mais toutes ces pensées sont venues après avoir fait le film. Quand je faisais le film, je pensais juste que je voulais sortir des sentiers battus, apporter quelques belles images sauvages, et partager des choses que je sentais. Je suis très heureux d’y être parvenu et espère que le public sera convaincu par ce monde original qui trotte dans la tête de Charles Swan.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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