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[Interview] de Nicolas Boukhrief: réalisateur de « La Confession »

[Interview] de Nicolas Boukhrief: réalisateur de « La Confession »

14 March 2017 | PAR Gregory Marouze

Nicolas Boukhrief a accordé un entretien-fleuve à Toute La Culture, au sujet de son dernier long-métrage: La Confession. Le film, actuellement à l’affiche, est une nouvelle adaptation du roman de Béatrix Beck: Léon Morin, Prêtre. Dans l’adaptation de Boukhrief, on retrouve Romain Duris dans le rôle de Léon Morin et Marine Vacht dans celui de Barny. La Confession est une relecture passionnante, inspirée, foisonnante et cinématographique d’un grand livre aujourd’hui quelque peu oublié. Nicolas Boukhrief nous livre tous les secrets de La Confession.

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Pourquoi fais-tu en 2017 une nouvelle adaptation du roman de Béatrix Beck ?

En fait, ça fait vingt ans que je veux faire ce film. Quand j’ai découvert le roman je me suis dis mais quelle histoire extraordinaire. C’est-à-dire il y a, dedans, les meilleurs éléments qui peuvent faire un mélodrame. C’est-à-dire, tu te dis, dans une période historique tendue et violente, dramatique, deux êtres que tout oppose, vont vivre une histoire d’amour fulgurante et très singulière. C’est déjà énorme comme pitch. Tu peux pitcher  Autant en emporte le vent comme ça. Tu peux limite pitcher Titanic, en disant dans une histoire dramatique, deux êtres que tout oppose, y’a des éléments du grand mélodrame, beaucoup du grand mélodrame. Donc si tu veux, déjà en soit c’était une magnifique histoire portée par des dialogues incroyables. Ce qui s’est passé, c’est que le film de Melville a occulté le roman de Beck, qui était quand même un gros best-seller, un prix Goncourt et tout. Et que le film de Melville a été peu à peu quand même lui aussi un peu oublié sauf par les cinéphiles. C’est-à-dire que générationnellement, en dessous de 30 ans, tu parles de ce film, les gens ne savent même pas qu’il existe. Et entre 30 et 40, tu parle de ce film, les gens font « Ah oui oui oui » mais ils ne savent pas trop ce que c’est. Donc si tu veux, c’est juste d’abord c’est une magnifique histoire qui peut prêter matière à un pur film de genre au sens mélodrame, incroyable. Mais, ensuite, du coup, entre il y a 20 ans et aujourd’hui, je n’ai eu de cesse de voir justement comment à quel point la religion pouvait devenir un sujet extrêmement crispé, quand les gens l’aborde, extrêmement tendu, alors que là justement c’est une approche de cette thématique extrêmement émotionnelle et finalement apaisée. Enfin, il n’y pas de violence dans la façon dont les gens parlent de ça. C’est-à-dire qu’il y a une femme qui ne croit pas, y’a un homme qui croit, ces gens s’affrontent, chacun veut faire plier l’autre, indirectement sans se l’avouer mais y’a quand même des deux côtés une volonté de, dans cet affrontement, va naître une histoire d’amour : c’est un sujet en or. Et plus j’avançais, plus j’avais envie de la faire. Plus les producteurs que je rencontrais ça ne les intéressait pas, plus j’avais envie de la faire. Et puis je trouvais le sujet actuel.

Chacun veut faire plier l’autre. Il y a un homme. Il y a une femme. Il y a une femme qui ne croit pas. Il y a un prêtre… Est-ce que c’était aussi une des raisons pour lesquelles tu voulais adapter le roman ? Est-ce que c’était aussi parce que vous pouviez y voir certaines formes aussi peut-être de sensualité ?

Je n’ai pas voulu l’aborder comme ça parce que je tenais à rester très respectueux de la matière même de ces personnes qui sont très engagées et très prudes qui étaient faites pour être communistes aussi qui étaient des gens très à cheval sur les choses de la morale. Mais en tout cas de suspense amoureux.

Une ambiguïté peut-être ?

Une autre forme d’attirance. Ce qui était très très intéressant, c’est que ça re-ritualise tout, c’est-à-dire que se serrer la main devient un geste porteur de sens, alors qu’aujourd’hui, on fait un film, les gens se serrent la main, ça n’a pas de, y’a pas d’arrière pensées, y’a pas d’arrières images j’ai envie de dire plutôt qu’arrières pensées. Là, le simple fait de se serrer la main redevient une sorte de rituel : est-ce qu’on se serre la main ou pas ? A quelle distance on s’approche. Donc après ça devient presque facile de gérer ça puisque tout geste, heu par exemple, la première scène où elle va au presbytère, elle reste sur le pas de la porte et c’est bon. Deuxième scène, elle est dans la pièce et y’a la porte ouverte. Mais ça se fait tout seul après. La troisième pièce, elle a fermé la porte. La quatrième pièce elle a enlevé son manteau. C’est-à-dire que, ce qui parait aller de soi, ne va pas de soi. Donc ça permet de travailler sur des micro détails, des choses très délicates et intimistes qui sont des immenses avancées et effectivement, je ne sais pas si je dirais sensualité mais en tout cas : émotionnelle. Ça c’est absolument très agréable mais encore une fois, beaucoup de choses étaient dans le livre, en terme d’énergie et de rapprochement de personnages donc heu donc c’était ça. Je suis surpris, en fait en France on est assez réac. C’est-à-dire que là où il en sont aux Etats-Unis, au cinquième Père de la mariée.. J’veux dire ils font des remakes de leurs histoire, quand ils font une bonne histoire, surtout quand elle est tirée d’un livre, ils ne se privent pas de l’adapter plusieurs fois. Nous en France, dès qu’un livre a donné lieu à un classique, il faut que ce soit un immense classique genre Madame Bovary pour que tu puisses le faire tous les 15 ans sans que personne te dise « mais vous êtes en train de refaire le Chabrol, vous êtes en train de toucher à Renoir, vous êtes en train de toucher à Minnelli, là c’est Madame Bovary, on va pas rigoler. Léon Morin Prêtre c’est « Oh là ! » On ne touche pas. C’est pour ça que pendant très longtemps on peut te dire non on touche pas à Melville. Mais ce n’est pas Melville : c’est un livre.

Alain Corneau a vécu exactement la même chose quand il a fait Le deuxième souffle alors que c’est une adaptation d’un livre de José Giovanni. Au départ, ce n’est pas un film de Jean-Pierre Melville.

Exactement. Mais même, Max et les ferrailleurs c’est un livre, mais le metteur en scène demain qui repart sur Max et les ferrailleurs il va se faire massacrer parce que c’est Sautet. Là, ça fait 60 ans quand même le Melville, donc bon, et puis j’ai bien insisté sur le fait que j’avais pas acheter les droits du film, que je n’ai pas revu le film, que je suis reparti de ce livre, qui est un prix Goncourt, c’est un livre quand même connu à l’époque. Bon. Et 60 ans ça commence à faire un peu… Je suis sûr qui si je l’avais fait il y a 20 ans, comme c’était mon désir, je sais pas si je l’aurais fait avec autant de maturité qu’aujourd’hui, mais je suis sûr qu’à l’époque on m’aurait fait le procès de toucher, oser toucher à Melville, voilà.

Des critiques t’ont fait des reproches ?

Pas du tout, je pense que il était temps. C’est-à-dire, je pense qu’il y a 20 ans, pour le même film j’aurais peut-être pris quelques petites remarques. Les gens ne comparent pas Du tout en fait. Y’a aucune comparaison, jamais hein, c’est jamais fait en comparaison. Ou si c’est fait en comparaison, c’est souvent des gens, qui n’ont pas lu le livre. Le film de Melville est une adaptation à la virgule près du livre. Il a coupé des choses mais j’veux dire il n’ya pas un dialogue qui est de Melville, du coup il n’y a pas lieu de comparer des choses, des éléments comparatifs, parce que j’ai dû faire des adaptations.

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Ah justement, quand tu adaptes ce roman, est-ce que pour toi le travail, la mécanique est la même que si tu travailles sur un script original ?

Non, ça n’a rien à voir. C’est incroyablement plus… J’ai envie de dire plus agréable en fait parce que quand tu travailles sur un film original, l’idée originale que tu creuses, au fond, jusqu’à la fin du mixage, tu luttes contre le petit doute que tu pourrais avoir qui est « est-ce que cette histoire est intéressante ? ». Ok l’intérêt c’est un producteur. Ok l’intérêt c’est les acteurs. Mais au fond, comme je l’ai inventé, je n’ai aucune, j’ai aucun recul sur cette histoire. Donc t’as l’impression, tu te dis « Tiens un flic atteint d’Alzheimer qui est dans un hospice et qui commence à enquêter alors qu’il a Alzheimer, ça m’semble intéressant mais t’en sais rien » (NDR : Nicolas Boukhrief fait une référence à son film Cortex). Quand tu prend un livre, c’est la première fois que ça m’arrive, tu lis le livre, t’es ému. Ton boulot, c’est d’arriver à retranscrire cette émotion et tu n’as pas de doute sur la valeur de l’histoire parce que le livre a d’abord existé, le livre a été lu, il a été un best-seller, y’a déjà un film puis un téléfilm qu’ont été fait donc, ce petit doute que tu peux avoir en permanence contre lequel tu luttes, tu ne l’as pas, tu ne luttes pas contre ça tu ne travailles qu’à essayer de retranscrire au maximum, et optimiser l’émotion que tu as reçu. Et de respecter en fait l’auteur. Non pas parce que tu l’adaptes littéralement mais parce que tu dis cette personne a dégagé une émotion qui t’a bouleversé. Charge à moi de le traduire au cinéma et de bouleverser les gens, si j’y arrive. Donc c’est infiniment plus agréable et puis c’est le premier script que j’écris tout seul depuis mon premier film. Mais je n’avais besoin de personne d’autre puisque j’écrivais avec elle. Tu vois Béatrix Beck est avec toi. J’ai changé la fin, le milieu y’a un ventre mou, ce qu’il y a au début j’mets à la fin mais et en plus là ce qui est incroyable dans cette histoire, c’est que comme c’est une histoire vraie, que le père Morin a existé, il s’appelait peut-être pas le père Morin, mais heu puisque le livre était en grande partie autobiographique, t’as deux co-scénaristes, t’as Béatrix Beck et puis t’as le vrai individu qu’elle a retranscrit, qu’elle a raconté. A force de lire de relire et de relire le roman, tu finis un peu par commencer à le connaître, ce qui fait que tu peux te permettre toi de lui écrire des dialogues. Il a déjà écrit une grande part des dialogues. Mais donc, finalement j’avais deux co-scénaristes qui étaient le vrai Père Morin et Béatrix Beck.. Quand j’adapte, je sais l’histoire que je vais raconter car c’est celle qui m’a été racontée qui m’a plu… C’est fondamentalement différent. Et maintenant, ça fait un petit bout de temps que Polanski, il adapte et je comprends, je comprends. Je comprends. Je pensais qu’on perdait un peu en, en…authenticité mais non, pas du tout, au contraire, parce qu’on ne se préoccupe que de mise en scène, enfin, de récit, mais la mise en scène n’est pas là pour essayer de prouver que votre idée est bonne. Elle est là pour valoriser une histoire qui vous a plu. Et c’est …incomparable.

Et quand tu écris, tu sais que tu veux dans le film, Marine Vacth et Romain Duris?

 Non. Au départ, j’ai pris le livre et je l’ai appris quasiment par cœur. Je l’ai lu, relu, relu, relu, relu ; c’est pas un livre très épais, c’est pas… C’est pas Guerre et Paix. Après, je l’ai ouvert et me suis dit : « Bon, je lis le livre une dernière fois et dès qu’il y a un détail, quelque chose qui m’intéresse, je le note ». Ça peut être une ligne de remarque sur la guerre, euh… comme, euh, je sais pas « Les forêts étaient pleines d’animaux à cette époque-là », un tout petit détail comme ça – peut être deux pages de dialogue – si c’est deux pages de dialogues, je les retranscris telles quelles. Et j’ai commencé comme ça. Tout ce qui est daté, trop historiquement référencé, trop lourd, trop psychologique, trop compliqué qui marche en littérature mais qui serait trop compliqué en cinéma, j’enlève. Je me suis retrouvé avec une sorte de dépouillement complet du livre, en fonction de ce qui m’intéressait. J’ai pris ce dépouillement et je me suis dit « bon, maintenant je vais le distribuer en actes », tel que…le mouvement que j’imagine pour la fin. Par exemple, le fait que sa fille soit malade, au bord de…dans une période où elle pense qu’elle pourrait mourir. Dans le livre, c’est à la page vingt, où elle dit : « Ma fille était très malade, elle a failli mourir, elle a été condamnée ». Quand j’ai lu ça, je me suis dit, non, c’est trop important, il faut que ce soit un peu plus loin dans le film. Donc j’ai repris ce moment donné et comme ça je l’ai redistribué de façon totalement aléatoire et là-dedans, il y a aussi des choses qui ne sont rentrées nulle part, ça m’a permis d’écrémer encore. Et je me suis retrouvé avec une sorte d’ours complètement décomposé, parfois des phrases-dialogues qui de la page vingt sont passées à la fin. Des fois, j’ai composé des phrases ensemble… Donc, une sorte de déroulant, dans le rythme que je souhaitais du livre, mais il y avait des trous énormes du coup, et c’était là qu’il fallait que je les remplace. Et là, là, j’me suis dit bon alors « je m’en fous, je suis Morin, je suis Barny et j’y vais ». Et donc là, j’ai commencé à écrire d’autres trucs, la première rédaction faisant deux-cent soixante pages, parce que c’était très inspirant, ces personnages sont très inspirants. Plus j’écrivais, plus je commençais à voir Morin qui se dessinait.

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Et Morin qui se dessinait était léger, malicieux, très souriant, avec un regard qui a les yeux qui piquent, enfin qui pétillent, – voilà, ”qui piquent” : qui pétillent. Dansant, pas du tout… Alors il y avait cette image de Bebel malgré tout ; Bebel c’était un boxeur, donc finalement je m’aperçois que le Morin que j’avais en tête n’avait rien à voir avec ce qui était dans le livre, c’est tout à fait autre chose, donc beaucoup plus aérien. Et puis, peu à peu… j’me suis dit « ben alors, c’est qui en France qui est un peu tout ce que je suis en train d’écrire », et Romain Duris, que je ne connaissais pas du tout en tant que personne -je ne l’avais jamais rencontré- ben, c’est un peu cette image-là que j’avais. J’me disais quand je vois l’Arnacoeur, c’est un peu ça. Donc…Là, on se met à écrire. Je me suis à écrire pour lui, ce qui est très dangereux parce qu’en général, quand on écrit pour quelqu’un, s’il ne peut pas, s’il n’est pas libre, là on est mal, parce qu’il faut changer de fantasme. Parfois, le film ne se fait pas parce que [claquement de doigt] on s’est trop enferré dans son truc et j’y arrivais pas, c’était plus fort que moi. Donc, j’avais fini le scénario – enfin, quand on pensait que le scénario était fini – , on a appelé Romain Duris et alors, c’est étonnant, on l’appelle lundi, il a lu le mercredi, le jeudi la nuit.. alors, un acteur de ce niveau, normalement t’attends quelques semaines, parce qu’il est sur beaucoup de scénarios, ou il tourne mais il m’a dit : « J’avais toujours rêvé de jouer un prêtre donc quand j’ai su ça, ça s’est mis en haut de la pile et, et j’adore ce personnage, je suis OK. » Waouh! Super. A partir de là, j’avais Romain. Là il fallait trouver la partenaire de Romain, et là, j’avais pas d’idée. J’avais pas d’idée. Et surtout, pour créer un couple, tu peux pas créer un couple genre Lui et Elle, – enfin, tu peux mais tu cherches du bankable. C’est pas ça qui…

Oui. C’est artificiel.

C’est artificiel. Tu commences par quelqu’un, alors quelle est l’actrice qui va être, qui va… Et là, si tu veux, d’un coup, c’est comme si Romain Duris était mon fils et je cherche la plus belle des mariées pour lui. Si j’avais commencé par Barny, j’aurais cherché le meilleur gendre possible. Tu cherches le couple absolu idéal. Et là, tu te dis, ça va le faire, ça va le faire, ça va marcher. Et là, du coup, j’ai fait un casting plus caste. J’ai rencontré une trentaine de comédiennes à peu près, plus ou moins connues euh…des gens qui commençaient à monter, tout ça, et, j’fais pas d’essai, moi j’aime pas. Je fais la rencontre, je vais discuter avec l’actrice ou l’acteur, et puis, une fois, deux fois et puis là je dis, c’est bon, on y va. J’sais pas, je trouve que c’est une bonne façon de faire…les essais, pfft… Donc, je vois une trentaine d’actrices et, un de mes producteurs qui est en Israël, agent de Marine et je la cite : Elizabeth Tanner, – je la cite, parce qu’une agent français qui a fait son boulot, c’est pas tous les jours – m’appelle et me dit « J’ai lu ton scénario, c’est un très beau scénario, le rôle, il est pour Marine Vacth » et c’est la fille dans Jeune et Jolie que j’avais pas vu. « Et quel âge elle a? – 24 ans. – Mais c’est beaucoup trop jeune, il y a beaucoup de texte, il y a une densité à avoir, c’est une femme quand même intellectuelle… je voyais plutôt 28-30. » Elle me dit : «Non, écoute, franchement, rencontre la. » Elle insiste, comme je la respecte beaucoup, je la rencontre. Mais…24 ans, beaucoup trop jeune. Et j’avoue que dès le premier rendez-vous, avec Marine, j’ai été impressionné par sa maturité. Je l’ai rencontrée déjà. Donc, maturité, impressionnante. Et, surtout :elle a des silences, habités. C’est vrai, elle parle peu. Elle est silencieuse mais il y a quelque chose, dans ses silences, qui témoignent d’une personnalité très puissante. Ca m’a impressionné. J’étais parti pour me dire « bon, je la rencontre pour lui faire plaisir mais beaucoup trop jeune. » Mais j’ai dit « Oulah! » Donc elle a fait partie des quatre comédiennes avec qui j’ai rebu un café. De ces quatre comédiennes, il en restait deux : Marine, toujours, et une autre comédienne, formidable, une grande actrice. Mais avec elle, j’avais l’impression que le film je l’avais déjà fait, déjà vu, et qu’elle avait déjà eu le César si j’ose dire, tellement c’était pour elle, il y avait son vélo… Je sais pas comment dire, j’étais pile top dans l’évidence du casting et quelque part je trouvais qu’avec Marine, et Romain, j’avais l’impression que ça allait faire un couple extrêmement énergétique, extrêmement moderne, extrêmement inattendu. Ça c’est la chose provoquée. Et avec Marine, je ne savais pas du tout le film que j’allais faire, je n’en avais aucune idée et je me disais, quand même, si je fais un film sur la spiritualité, si je fais un film là-dessus, il faut que j’aille vers l’inconnu. Sinon mon film va être académique. Et, et du coup j’ai dit à Marine « Ben écoute, écoute, on y va. »

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Et là-dessus, ils se sont rencontrés avec Romain, je les ai fait… je leur ai fait une rencontre et franchement, dès la première rencontre, je sais pas, ils ont commencé à se parler comme s’ils se connaissaient déjà ; ils ne s’étaient jamais croisés. Etonnant. Et après, ben au tournage, euh…c’était incroyable. Là, j’ai, j’ai plus eu l’impression d’être témoin que de quelque chose que réellement le chef d’orchestre. Tu vois ? Ils étaient… Il y a eu beaucoup de premières prises par contre. Il y a des scènes en trop, j’ai fait beaucoup de plans-séquences, beaucoup de plans longs parce que leur tempo était tellement juste… Je dis ça parce que je le pense, je l’ai vu. Je l’ai pas organisé, je l’ai vu, donc j’peux pas m’enlever cette idée de la tête et je vois bien dans les salles que c’est ce que les gens voient, je, je suis pas fou. Le caméraman qui fait vraiment, vraiment… il fait un ”Moteur, action!” à la première prise et normalement, les acteurs, ils se chauffent et à l’arrivée, là, le caméraman, là… on se regardait, je l’ai regardé et : « Elle était pas mal, non? -Elle était pas mal. C’est juste ça. Ah bon! on en refait une autre? Bah! On va refaire une autre, deux si vous voulez pour voir un peu…» Et ben non, la première, la deuxième, incroyables, une…une notion de l’acteur, un sens…comme les musiciens. Ginger et Fred, tu sais… Incroyable. Donc ça c’était absolument incroyable, ça, ça a beaucoup joué pour le film et, et, et cette histoire avec Marine fait que du coup, j’ai…j’ai décidé de faire tout le film comme ça. C’est-à-dire que la décoratrice, elle avait fait un seul film, -vpareil, c’était en Belgique, le tournage, j’ai dit OK on prend que des Belges, -j’veux qu’une équipe…- on va tourner en Belgique pour des raisons de production, c’est vrai que moi j’avais du mal à produire le film, à financer le film.

Et j’ai dit OK j’envoie en Belgique donc je veux une équipe 100% belge, je veux pas débarquer avec mes chefs de poste habituels français et puis on va pas faire les colonialistes, on est en Belgique etc. Je veux une équipe 100% belge et dans l’équipe 100% belge, chaque fois que je rencontrais les techniciens, j’avais le chef op’ Manuel Dacosse qui va avoir une carrière le mec, laisse tomber ! Qui était le chef op’ qui avait fait -c’est une belle carrière- qui avait fait Amer, L’Étrange Couleur des Larmes de ton corps et, et le film de Fabrice Du Welz…Alleluia… une carrière un peu indé, tu vois.

« Allez, vas-y pour Manu ! ». La décoratrice, pareil ! J’avais le chef déco qui avait déjà fait plusieurs films, franco-belges, très branché art déco, qui travaille dans ses ateliers et tout, OK, qui a son truc, et j’avais cette décoratrice qui n’avait fait qu’un film : L’Étrange Couleur des Larmes de ton Corps. Petit film, petit budget mais avec une déco incroyable, et ben, je vais partir pour elle, et faisons le pari de prendre que des gens où je sais pas où je vais, mais au moins, on y va, tu vois. Et ça a donné une équipe, mais à fond. Tout le monde était à fond en fait. Donc ça a fait un film, un tournage incroyablement engagé, calme, émouvant, enfin les gens étaient émus pendant le tournage. Très très marrant. Il y avait une émotion qui roulait pendant ce tournage. Alors après, au niveau du plan de travail, j’avais un seul problème, c’est que même si Romain et Marine, ça avait l’air de rouler entre eux, en termes d’humanité, on va dire, on a fait une lecture, je leur ai dit « Voilà, on va faire une lecture très rapide, on va lire très très vite, on va pas commencer à répéter, ça m’intéresse pas, il faut garder un peu de fraîcheur mais dès qu’il y a une phrase où vous sentez que vous n’arriverez pas à l’incarner, que vous la jouerez intellectuellement, vous me le dites, on l’enlève. »

On a fait une passe très vite, on n’a pas fait tellement de phrases d’ailleurs, « ça, ça c’est vrai que je comprends très bien la phrase mais c’est vrai que c’est pas ma forme de pensée ». Ok on enlève. Donc ça a écrémé le dialogue, parce que c’était très long, y’avait beaucoup de dialogue. Et après, tout le monde s’est séparé. Romain je l’ai quasiment pas revu. Lui, il s’est préparé en allant faire une retraite dans un monastère d’une dizaine de jours. Il est allé faire le vide. Questionner je crois des gens, dans ce monastère, des questions qu’il se posait. Et Marine, bah je l’ai pas revue non plus, elle se préparait à sa façon, elle lisait le livre, elle s’imprégnait de Barny, puisque c’est une histoire vraie autant en profiter. Et après quand on a commencé à faire le plan de travail, j’ai dis bon, voilà je pense qu’on est bien parti, qu’on a un beau couple, le seul problème c’est que quand même pour nous Romain il a commencé à 14 ans, il a une expérience énorme. Elle, elle a peu d’expérience, mais je l’avais jamais vu jouer, j’ai jamais vu Jeune et Jolie. J’allais pas le voir après c’était bizarre. Je vais pas aller la voir dans un film dans je sais qu’elle est nue, qu’elle joue des scènes de sexe plutôt gonflées je crois, c’est bizarre par rapport au film que je vais faire. Ca fait malsain, ça fait voyeur. Ça me regarde pas en fait, ce qu’elle a pu faire, avec d’autres, donc j’ai pas de référence.

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Elle a quand même peu d’expérience (elle a pas fait le conservatoire), et beaucoup de texte. Donc comment faire pour pas qu’il la mange, sans le vouloir, même s’il est hyper généreux, comment mécaniquement, je sais pas… Sur trois semaines et demi on construit Barny et après Romain arrive, et on fait toutes les scènes avec le prêtre et il rencontrera Barny. C’est assez ludique à faire d’ailleurs. J’me souviens la première semaine, à la première rencontre on a parlé des plans de travail et elle la première semaine elle a quasiment pas parlé, le premier jour elle a fait que du vélo. Faire du vélo non seulement ça lui enlevait son trac, elle a trouvé son personnage, ensuite elle s’est mise à marcher dans les rues avec le manteau, les chaussures à semelles de bois… voilà ça c’était la première semaine. Toutes les scènes où elle marche, où elle fait de la peinture la nuit, tout ça, tout le physique du personnage. La deuxième semaine, on a fait les scènes avec les enfants ce qui l’obligeait à jouer avec les enfants, et les enfants tu peux pas faire semblant. Donc on fait peu à peu. La troisième semaine, on a fait toute les scènes du bureau de poste, donc là elle s’est enfin retrouvée à parler. Donc à jouer avec d’autres, c’est que des femmes, et puis on a fini avec toutes les scènes chez elle, où là il faut suffisamment de Barny pour recréer l’intimité de Barny, avec ce qui se passe dans sa tête, tout ça etc. Et Romain est arrivé, et j’ai vu dans son œil que Romain il se retrouvait assez impressionné, il avait quitté Marine Vacth il y a 4 semaines et demi et il était en face de Barny. Donc voilà en gros l’aventure de ce film. Et après le presbytère, là on a fait dans l’ordre. La dernière semaine, on a fait dans l’ordre sinon on s’est dit qu’ils allaient s’y perdre. Il faut qu’eux puissent jouer avec ce qu’il y a eu comme échange intellectuel entre eux, émotionnels, et donc on a fini avec la fin. Y’avait une réelle émotion, y’a eu un moment d’émotion pur. C’est très marrant, j’avais jamais vécu un film où t’as une équipe entière qui a suivi l’histoire se créer sous nos yeux, qui parce qu’elle vient d’un livre et d’une histoire vraie, cette histoire vraie qu’elle a raconté, y’a un cœur qui bat ou quelque chose là tu vois ?

Si c’était pas déjà un roman, je ne pense pas que j’aurais aussi facilement écrit le personnage. Le fait qu’ils soient morts aujourd’hui, le film d’une certaine manière continue à les faire vivre. Les cœurs continuent à battre ce qui fait qu’à la fin de la dernière scène, ces gens qui se disent au revoir, ont rejoué des adieux, y’avait quelque chose de possible. Les gens étaient émus, les gens étaient très heureux, toute la journée ils étaient contents pour elle Les deux moments les plus importants c’est le début et la fin du film. C’est vrai qu’on a vu Morin et Barny vivre leur histoire, ça y est c’est fini, mais bon nous on a un film à faire. Mais voilà un peu l’aventure telle qu’elle s’est passée, c’était un très beau tournage, très émouvant, et avec des gens très engagés.

Il y a un thème qui revient souvent dans le film, c’est la question du choix. Croire ou pas, collabo ou résistant, on fait un choix. Céder à l’adultère ou pas.

Alors là je réfléchis à voix haute parce que c’est pas une thématique sur laquelle j’ai réfléchis. Est-ce que c’est pas le propre là encore des grands mélodrames ? Est-ce que justement madame Bovary c’est pas ça ? Partir avec lui ou pas, rester avec lui ou pas, je pense que c’est le propre du mélodrame. Et c’est aussi le propre du polar, d’engager la morale, donc c’est le seul truc qui est marrant là-dedans. Et moi je suis plutôt un fan de polar, c’est un genre que j’adore. Il y a quelque chose de l’ordre du suspense amoureux là dedans, je pense, ça c’est pour le côté tension. Et de la morale parce que faire un polar c’est toujours faire de la morale. Parce que quelqu’un qui tue quelqu’un il faut se demander pourquoi, comment. Donc pour répondre à ta question, il y a quelque chose à voir avec la morale, la scénarisation propre des mélodrames qui est toujours particulièrement restée, aimée ou pas aimée.

Est-ce qu’on peut voir le film comme un thriller voire comme un film noir et la question que je te pose : est-ce que dans les mélodrames, comme dans les films noirs, il y aussi l’idée du fatum ?

Je pense que oui, profondément. Quand j’écrivais, je me disais justement qu’il y a dans le genre mélodrame, les mêmes éléments que dans le polar, c’est une affaire de morale. Alors il s’agit pas de tuer ou pas quelqu’un, il s’agit de savoir si on comment l’adultère ou pas, si on trahit quelqu’un ou pas. Madame Bovary qui trahit son mari, si on va au bout de sa pulsion ou pas, donc c’est les mêmes éléments. Ils sont des fois plus doux, ils sont des fois plus flamboyants. Y’a pas de meurtre, il peut y avoir des suicides. Donc effectivement, le thriller je dirais pas mais en tous cas, oui c’est les mêmes composants, je pense gérer autrement, émotionnellement. La violence vient après l’émotion alors que parfois dans le polar la violence génère l’émotion. Le convoyeur c’était un pur mélodrame : un homme qui parce que son fils meurt, va sacrifier sa vie pour essayer de retrouver, et tuer les gens qui ont tué son fils, c’est un mélodrame. Mais en France, ils ne résonnent pas comme ça, y’a des flingues donc c’est un film violent. Mais oui oui, il y a des éléments communs. Hitchcock a toujours revendiqué son catholicisme, et pareil Hitchcock est-ce que c’est des polars ou des mélodrames ? C’est compliqué. Et Hitchcock, c’est toujours du mélodrame, toujours. Cette dimension est très puissante dans beaucoup de film, dans Les Oiseaux… Quand on demande aux gens de citer leur plus grand polar, le mélodrame sera jamais loin. Je pense. Voilà, c’est pour ça que je pense que Melville il pourrait très bien faire ça. En France quand tu ranges les flingues tu accèdes à une sorte de notabilité tu vois.

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Ça s’est passé aussi avec Corneau quand d’un coup on ne comprend pas pourquoi il ne fait plus de polar et pourquoi il fait Nocturne Indien.

Et là d’un coup ah ouais d’accord, t’accède à la notabilité, et à un type d’interview, de médias. C’est étonnant mais pour moi c’est exactement pareil et j’avoue que ça m’agace un peu, ça m’énerve, il faut quand même pas déconner quoi. D’un coup tu émerges auprès de certains médias, qui disent « on attendait pas ce film de votre part ». C’est un peu énervant. Bon c’est comme ça.

Je fais une petite parenthèse, Corneau disait « on a toujours l’impression, quand on est en train de faire Nocturne Indien, ou Tous les matins du monde, que les gens nous regarde bizarrement parce qu’ils se disent « Ah bon vous aimez aussi la peinture, vous aimez aussi ça ? » Alors qu’ils imaginent qu’on se balade la nuit en buvant des bières…

Exactement. Y’a une légère condescendance pour le film de genre en France, tu peux faire ce que tu veux, qui est indécrottable. Qu’on accepte pas à Cannes, tu ne vas pas à Cannes, sauf si t’es Audiard, c’est du Audiard. Audiard, c’est du Audiard, c’est pas du polar. Bravo pour lui, tant mieux, c’est un grand metteur en scène, un des grands metteurs en scène français actuel vraiment. C’est pas le problème c’est juste que Audiard c’est du Audiard. Mais si tu fais un polar, t’as toujours une légère condescendance qui fait que t’as peu de chances de.. Tu vois, c’est comme ça. Moi après les César, je m’en fous, c’est quand même très rigolo avec le recul de voir que sur Le Convoyeur qui est un film bien joué, Dupontel et Dujardin ne sont pas nommés tu vois. Et Dupontel est un des mecs qui va faire un des grands films de l’année j’ai l’impression. J’le sens gros comme une maison. Donc c’est en train de devenir un cinéaste très important et Dujardin c’est le seul mec en français qui ramasse l’Oscar. Peut-être qu’ils auraient pu avoir un peu de flair et enlever un peu le genre et voir que ces deux là c’était des bombes atomiques, ça se voyait dans le convoyeur c’était pas moi, c’est eux, c’est leur talent à eux.

Cela dit, le choix des comédiens c’est aussi le début de la mise en scène…

Non je dis juste que haut delà de ma responsabilité ils ont prouvé largement qu’ils étaient incroyables. Ils auraient pas pu les distinguer à l’époque [rires] un petit peu, peut-être pas leur offrir le César mais les nommer ! Dire : « Non mais les deux là «ouah, ils valent quelque chose ». C’est comme ça.

Il y a un dialogue que j’ai trouvé très intéressant dans le film. A un moment, on dit : « Comment faites-vous pour accueillir des collabos dans votre église » ?

Ouais.

Et Morin répond : « C’est ma fonction, je n’ai pas à les juger ». Donc j’y ai vu le refus du manichéisme. Et je me suis posé une question : est-ce que c’est une façon qu’a Nicolas Boukhrief de nous dire « je ne juge pas non plus parce que je n’y étais pas et je n’ai pas vécu à cette période » ?

Non, non, ce sont des dialogues que j’ai gardé du bouquin. Il dit, moi ce que je trouve marrant, parce que moi le vrai Morin j’l’aime beaucoup, je suis comme Béatrix Beck. Il dit « c’est ma fonction, je n’ai pas à les juger ». Tout comme ce sera ma fonction d’être à côté d’eux le jour où on les fusillera au moment de la libération. Et je trouve ça dans le dialogue du vrai Morin, très beau. C’est ma fonction, j’ai pas à les juger mais enfin je serai quand même bien content quand ils seront fusillés. C’est comme ça que je le prends. C’est-à-dire qu’il dit ça, mais il dit comme ce sera ma fonction parce qu’il est sûr qu’il va perdre. C’est pour ça que je l’ai lu le livre, j’me dis il est tellement sûr que le Diable ne peut pas gagner, qu’il ne les juge pas parce qu’il les sait déjà perdants dans sa vision. Si on lui disait les nazis vont gagner, je sais pas s’il accepterait les collabos. Donc ça c’est un dialogue que je trouvais tellement beau, dans l’original que je l’ai gardé tel quel. Et après oui, de part cette dimension, qui était sur les femmes du bureau de poste.. C’est dommage que j’ai dû couper des scènes, parce que le film était trop long. J’ai jamais autant coupé, j’ai coupé 40 minutes, c’est beaucoup. Mais par exemple : quand Barny quittait le prêtre à la fin, elle retraversait la petite ville, les habitants avaient fait un gigantesque feu de joie et elle traversait comme une zombie, les gens du village qui boivent des coups, c’était pas la liesse parce que c’était fatigué, on sentait que la fête allait partir et y’avait une espèce de Marseillaise jouée bizarrement et Marine elle était à contre courant de tout le monde et on voyait Marion qui jouait la Marseillaise sur un espèce d’accordéon d’époque et qui embrassait goulument le résistant qu’on voit sur une affiche, le jeune résistant. Pour moi c’était la France et son personnage. Pour moi c’était la France, et son personnage, elle embrassait un Allemand, après la libération, elle embrassait un résistant. Y’avait cette dimension, cette volonté de dire n’allons pas juger les personnages. Faisons un Allemand qui est catho, puis qui est un mec qui a des enfants et puis qui tue des gens, puisque voilà c’était comme ça quoi. On va pas rejuger 60 ans après les gens. Et surtout, comme ça résonne sur l’époque, la collaboration, les idées d’extrême droite, chaque spectateur peut voir en quoi c’est glorieux ou pas d’être comme ça. Tu les montres tel quel et on voit bien qu’un notable un peu collabo, c’est pas bien, pas besoin d’en rajouter. Anne Le Ny elle a adoré jouer ça. C’est une fille de grand résistant communiste, elle m’a dit je me régale. Elle peut humaniser tu vois quelqu’un qu’elle déteste, c’est intéressant.

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Est-ce que, d’une certaine façon, toi en tant que cinéaste, tu fais un film contre le précédent ?

Non. Ils se sont fait en parallèle. C’est-à-dire j’écrivais les deux films en même temps, parce que j’avais enfin trouvé un producteur qui voulait faire celui là. Et parce que j’étais sur Made in France en même temps. Et donc j’écrivais le traitement de Made in France hop terminé, j’écrivais le traitement de celui là. Alors est-ce que je l’ai fait contre, si c’est possible parce que je parle en émotion parce que écrire Made in France, à vivre comme un tiers c’était lourd. C’est-à-dire que j’ai vécu quatre ans, trois ans avec le djihadisme, avant Charlie. Être sur le net, regarder des trucs, lire des livres, voir des imams et dans une époque où c’était pas à la mode, pas d’actualité. Et avec des gens qui nous disais mais t’es parano, c’est n’importe quoi, c’est un non-sujet, ça n’arrivera jamais, ça va t’es catastrophiste… J’ai entendu tout et n’importe quoi. Donc j’étais à la fois tout seul, avec une matière excessivement morbide. Et un sentiment d’urgence. Donc c’était une matière violente à travailler parce que moi j’étais parti de Mohamed Merah. J’ai pas inventé le sujet, c’est-à-dire que vu Mohamed Merah, j’me suis dis ça va se reproduire. C’est le début de quelque chose. Et il faut absolument parler de ça. Donc moi ça faisait 3 ans que je vivais avec des enfants bim bam bam, tu vois l’ultra violence, ce sont des enfants de 5 ans. Donc probablement quand je finissais le traitement et que je passais sur celui là, je me remplissais d’une douceur extrême. Tu vois, c’était pas tant contre, thématiquement et logiquement, peut-être juste en émotion. J’avoue que chaque fois que je partais sur Merah [soupirs]… Et après je repartais sur Made in France. En gros, il fallait tordre cette ultra violence, tout en ayant de la compassion malgré tout pour ces jeunes gars pommés. C’était pas pensé comme ça. Mais maintenant que tu poses la question, j’me dis sans doute que quand je sortais de l’enfer j’avais sans doute envie d’aller dans un endroit plus… voilà.

Quels choix as-tu dû faire, sur ce film un film d’époque ? Qu’est-ce que tu as pu te permettre de faire ? Qu’est-ce que tu as du lâcher ?

Alors, première version, je m’étais un peu lâché sur la guerre, voilà normal. Et puis quand j’ai compris que le budget n’allait pas être aussi haut, on voulait 6/7 millions, on en a eu 4, il a fallu faire des choix. Je suis habitué à ça, sur tous mes films c’est pareil. Très vite j’me suis dis, bon de toute façon, la guerre, on connait par cœur et c’est pas mal de ne pas avoir ce faux bon budget, parce que quand tu fais un film de guerre, ou tu as le budget de Black Book, du Pianiste, du Soldat Ryan, c’est-à-dire 40, 50 millions et tu fais une fresque où tu as intérêt à avoir peu pour faire du minimalisme sinon tu seras jamais loin d’Un village français. Qui est une série que je respecte. Et surtout, une fois que tu creuses le truc, beaucoup de films qui se passent pendant la guerre, tu vois passer des berlines, il y’avait plus d’essence ! Tu vois des gens qui marchent dans les rues, tous les témoignages que j’ai commencé à prendre auprès des gens très âgés, ils me disaient « Mais on sortaient jamais . Les rues étaient désertes. On n’avait pas envie de croiser des Allemands, on n’avait pas envie de croiser leur regards. » Donc c’était, au moment de l’hiver, surtout en 44, où les Allemands étaient complètement psycho. C’est là qu’ils ont fait leurs pires exactions. Ils ont fait je sais plus…65% des pires exactions de France, je sais plus, ont été faites dans la dernière année. Donc quand ils ont su qu’ils allaient perdre, ils sont devenus fous les mecs. Sinon les premières années, au contraire, il fallait tuer les résistants mais pas les gens bien, pour que les choses se passent bien, pour pas créer que des résistants, c’est des consignes. Bon c’est des consignes, donc j’me suis dis, et puis je me suis souvenu de tout ce qu’on me racontait quand j’étais gamin. Moi je suis un enfant des années 60 donc la guerre c’était y’a 20 ans, et les grands-parents ils en parlaient, les parents ils en parlaient, ma mère qui était petite fille… En fait, je me suis rendu compte, mes parents viennent de l’Aveyron donc tu vois c’est une vraie terre de résistance et d’occupation, ils parlaient beaucoup d’un climat. On entendait les bruits de bottes, on traînait pas dans les rues mais ils ne voyaient pas beaucoup de gens tirer dans la rue. Les rafles étaient souvent de nuit donc comment dire. Alors à Paris c’était différent, y’a eu la Rafle, c’était très différent. Mais dans les petits villages de campagne, le village d’où vient ma mère, à partir de là ils ont vécu dans une terreur noire, mais jamais les Allemands sont venus dans l’église. Donc c’était plus du son, c’était plus un climat oppressant, qu’une réalité concrète quotidienne. Les gens étaient en plus à la campagne, y’avait plus ou moins à manger. Y’avait pas à manger et les choses étaient rares. J’me dis en fait c’est très bien, j’ai un budget qui est moindre, c’est là-dessus qu’il faut que je me concentre, c’est comment raconter ce dénuement permanent. Ce qui va rendre les histoires d’amour d’autant plus incandescentes et cette idée que la guerre c’est du son, beaucoup plus que du visuel. Donc voilà, ça c’était très intéressant. Et l’autre chose, ce qui va être passionnant, on va pouvoir s’éclater, c’est que grâce aux caméras numériques et leur extrême sensibilité qui permet d’aller beaucoup plus dans le noir, se dire, on va pouvoir faire du couvre-feu, couvre-feu. Parce que dans tous les films peloches c’est le couvre-feu mais y’a un gros projo au bout de la rue. Et puis ils s’éclairent à la bougie mais y’a un gros spot sinon tu vois rien. On a essayé de retrouver la lumière de l’époque. C’est-à-dire que une bougie c’est une bougie, ou deux bougies. On essayait de retrouver cette sensation, c’est-à-dire qu’est-ce que ça fait quand la bougie éclaire peu, et il est parti là-dessus avec un plaisir immense parce que ça l’intéressait. Très peu éclairé, pour la nuit avec le couvre-feu, la nuit t’as très peu d’éclairage. Et en plus comme c’était une équipe entièrement belge, c’est-à-dire une déco, un truc très nordique et flamand. Manu Dacosse a amené très naturellement, je l’ai évidemment laissé faire, un type de lumière flamande. Donc voilà, c’était très intéressant de se dire tiens on peut renouveler le truc, c’est de se dire on essaye de faire, de retrouver la lumière d’époque. Qu’est-ce que c’est de vivre quand t’as qu’une bougie à table, c’est quoi l’éclairage ? C’était passionnant, c’était une des recherches qu’on a pu faire. Et cette idée de recherche… Et j’avais un ingénieur du son sur Made in France et sur un scénario que j’ai fait à Lille, qui est venu voir le film, il m’a dit : « j’ai vécu deux guerre, une en Iran, une au Liban », il me dit « une guerre c’est sonore ». Il me dit « j’étais enfant et j’entendais péter les bombes mais je voyais pas beaucoup de bombes qui pétaient. C’était souvent beaucoup plus loin, parce que les gens sont pas fous, ils vont pas là où pète une bombe, ils vont plus loin. » Et il m’a dit ça c’est vachement bien retranscrit. Donc j’étais content. Voilà.

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Est-ce que quand tu fais la Confession, qui est un film d’époque, ce qui t’intéresse aussi c’est d’éclairer notre époque ?

Complètement. C’est ce qu’on a dit au début, c’est-à-dire tu dis religion aujourd’hui c’est oh religion, religere, relier, on peut peut-être en parler de façon plus calme. Pouvoir faire un film sur la notion de religion. Et je suis tellement heureux dans les salles, c’est pas clivant, y’a des prêtres qui parlent et qui disent « Ce film m’intéresse » et tu as des non croyants qui disent « Je n’suis pas croyant mais ce film m’intéresse ». C’est cool ! Oh on peut juste être un peu calme ? Donc déjà je pars de l’axe central du livre et je me passionne pour ça et l’idée que il y a des extrêmes à l’intérieur de ça, qu’il y a de la collaboration, qu’il y a des choix moraux à faire, c’est intéressant ce que tu disais. On y est là on y est, on le sens bien, est-ce qu’on choisi la beauferie ou pas ? La barbarie ou pas ? J’dirais la beauferie plutôt que la barbarie, parce qu’au moins c’est des beaufs. Trump c’est un beauf, Marine Le Pen c’est une beauf, c’est ça qu’on choisit. C’est même pas des fascistes. Le gars qui était responsable d’une partie de Pompéi, le gardien de la salle des lutteurs de Pompéi et qui pleurait en disant : « Berlusconi nous a enlevé l’argent de Pompéi et la scène des gladiateurs vient de s’effondrer ». Bah voilà Berlusconi c’est même pas un fasciste parce qu’un fasciste il irait jamais laisser tomber Pompéi, la salle des gladiateurs ! On prend des budgets aux pauvres, c’est un beauf, il s’en fout de Pompéi, c’est même pas un facho. Et voilà donc on sent bien que cette dimension euh… Et j’ai voulu traiter un peu comme ça des fois. Oui je pense qu’il y a une résonance sur qu’est-ce que c’est l’engagement moral en fait. Et qu’est-ce que c’est que la notion de spiritualité dans une époque troublée. Comment tu te définis par rapport à ça. Est-ce que tu en fais un extrême ? Est-ce que tu t’en sers pour être raciste ?

Le film est passionnant.

C’est un film tellement passionnant à faire qu’il y des choses à raconter tu vois. C’est un film tellement intéressant, je le dis parce que c’est un livre, c’est ça qui permet d’être à ce point engagé. Les débats sont mortels. Les gens posent des questions. Le livre était incroyable donc finalement c’était comment j’ai adapté ce livre. Mais c’est pas moi qui ai fait le moteur en fusion tu vois. Donc du coup je me sens vachement plus à l’aise pour en parler, j’ai pas l’impression que c’est à moi que je suis en train de me jeter des fleurs puisque c’est à Beck et surtout au père Morin, le vrai, c’est ça qui est marrant. Y’a un truc très rigolo, c’est qu’ils ont continué après à correspondre, Béatrix Beck et lui, j’ai appris ça par l’héritière. Quand elle a eu le Goncourt le premier truc qu’elle a fait c’est qu’elle a acheté une 2CV au Père Morin pour qu’il puisse circuler plus facilement. Ils ont continué à s’aimer à distance.

Entretien: Grégory Marouzé

Retranscription: Laëtitia Zicavo et Bénédicte Gattere

Photo de Nicolas Boukhrief : Jovani Vasseur

Merci au Arras Film Festival

Affiche, Photos, Film-annonce de La Confession : © SND

La Confession de Nicolas Boukhrief

avec Romain Duris, Marine Vacth, Anne Le Ny.
Genre : Drame – Durée : 1H56 mn

Sortie en salles le 08 Mars 2017

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Gregory Marouze
Cinéphile acharné ouvert à tous les cinémas, genres, nationalités et époques. Journaliste et critique de cinéma (émission TV Ci Né Ma - L'Agence Ciné, Revus et Corrigés, Lille La Nuit.Com, ...), programmation et animation de ciné-clubs à Lille et Arras (Mes Films de Chevet, La Class' Ciné) avec l'association Plan Séquence, Animateur de débats et masterclass (Arras Film Festival, Poitiers Film Festival, divers cinémas), formateur. Membre du Syndicat Français de la Critique de Cinéma, juré du Prix du Premier Long-Métrage français et étranger des Prix de la Critique 2019, réalisateur du documentaire "Alain Corneau, du noir au bleu" (production Les Films du Cyclope, Studio Canal, Ciné +)

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