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[Interview] de Christian Darasse, dessinateur de Tamara, la BD qui a inspiré le film avec Héloise Martin et Rayane Bensetti

[Interview] de Christian Darasse, dessinateur de Tamara, la BD qui a inspiré le film avec Héloise Martin et Rayane Bensetti

04 November 2016 | PAR Charles Filhine-Trésarrieu

Pour ensoleiller votre journée, Toute La Culture et l’EICAR ont fait confiance au plus belge des dessinateurs français, Christian Darasse. Collaborateur du journal Spirou depuis 1977, auteur entre autre du Gang Mazda et des Minoukinis, dessinateur de Tamara, BD créée en 2001 avec son ami Zidrou (Benoît Drouzie), dont un hors-série, La revanche d’une ronde, est sorti cette année. Ses héros sont aujourd’hui adaptés en film, Tamara, réalisé par Alexandre Castagnetti et produit par Gazelle & Cie et Elephant Story, dans les salles le 26 octobre.

Toute La Culture : Désormais il y a plusieurs Tamara, la vôtre et celle de l’écran, interprétée avec énergie et bonne-humeur par la jeune Héloïse Martin. Qu’est-ce que ça fait de se retrouver en face d’une réinterprétation du personnage que l’on a soi-même créé ?

Christian Darasse : C’est absolument bouleversant d’émotion. La première fois que je me suis trouvé face à elle, c’était vraiment extraordinaire. J’ai fait un selfie avec Tamara ! C’était quand même un moment à marquer d’une pierre blanche.

Toute La Culture : Avez-vous hésité à voir vos personnages portés à l’écran ?

Christian Darasse : Non, quand j’ai vu le scénario j’ai dit : « Okay, allez-y ! ». Et de toute façon je n’avais pas grand chose à dire donc… (rires) Qui va refuser qu’on fasse un film avec son héros de papier ?

Toute La Culture : On peut d’abord penser, en voyant cette héroïne au pull rose bonbon, que votre BD serait uniquement destiné aux jeunes filles dans leur adolescence. Mais en vous lisant on comprend rapidement qu’elle a plus de force que ça et ne tombe pas dans les clichés. Comment qualifieriez-vous vos lecteurs ? A quel public s’adresse Tamara ?

Christian Darasse : Pour paraphraser le Journal de Tintin, aux « 7 à 77 ans ». C’est une série familiale avec des petites choses que peuvent aimer les adultes, des choses que les plus petits ne peuvent pas comprendre mais dont ils s’en foutent de toute façon, ils lisent et ils font le tri. En fait c’est une BD tout public. Mais on a été très étonnés quant on l’a créé, quand les première files de dédicaces que j’ai eu, ce n’était que des gamines de douze ans. On pensait qu’on allait plutôt s’adresser à des ados. Mais non c’est carrément pré-ado notre cœur de cible, comme disent les gens du marketing. (rires)

Toute La Culture : Mais on sent que vous avez autre chose à dire à vos jeunes lecteurs et lectrices que : « Sois beau et cool, sois populaire. » On voit que vous semblez sincèrement vous intéresser à ce qu’il se passe dans la tête des adolescents d’aujourd’hui. D’où vous vient cette envie et cette inspiration ?

Christian Darasse : En fait elle vient plutôt au départ du scénariste, qui a écrit la BD pour faire une série où on aborde des sujets de société, où on parle de l’homosexualité, on parle de la famille recomposée, du racisme… Et surtout on parle du fait que ce n’est pas parce qu’on n’est pas dans la norme – filiforme, etc. – que l’on ne peut pas être heureux. Alors on a d’abord bien fait souffrir notre héroïne pendant six albums pour lui offrir au septième le grand amour avec son beau Diego et c’est ça qui a été porté à l’écran.

Toute La Culture : Le harcèlement à l’école est un thème qui peut être dur à aborder surtout, comme vous le faites, avec humour. C’est quelque chose qui peut être terrible à porter pour ceux qui en sont victimes et dont on a longtemps sous-estimé la gravité. Tamara est grosse et doit vivre avec les moqueries de ses camarades de classe mais on voit que votre BD est en quelque sorte un plaidoyer pour le droit à la différence et, vous l’avez dit, le fait d’assumer son corps. Vous parlez aussi d’autres thèmes comme l’anti-racisme ou l’homosexualité, comme vous l’avez rappelé. En plus de divertir vos lecteurs, cette BD est-elle aussi un moyen pour vous et votre ami Zidrou de faire passer des messages positifs auprès du jeune public et de les aider à se sentir mieux dans leur peau ?

Christian Darasse : Eh bien vous avez tout résumé ! (rires) C’est exactement ça notre but depuis le début et on a eu des retours qui étaient très chouettes avec des gamines qui disaient : « Ouah depuis que je lis Tamara je me sens mieux, je m’assume ! » et des mères qui me disaient : « Votre bouquin tombe à point nommé pour commencer à parler de toutes ces choses, de sexe etc. parce que c’est de plus en plus tôt et là on commence d’abord par dire à nos enfants : “Tiens, lis et après on en parle.” ». Je me rappelle de la première dédicace que j’ai faite de l’album où Tamara couche : une petite gamine dont je me dis qu’elle doit avoir huit ans s’amène et je lui demande : « – Quel âge tu as ? – Huit ans » C’est bien ce que je pensais. Elle me donne son livre et je lui dis : « Ça ne te choque pas que Tamara se retrouve au lit avec un garçon et tout ? » et elle me répond : « Ah bah non j’ai huit ans, je suis trop petite ! ». Donc ça résume aussi assez bien ce qu’il en est de cette BD.

Toute La Culture : Ce rapport au public, on sent que c’est quelque chose d’important pour vous ? Surtout avec une BD comme ça qui parle aux jeunes.

Christian Darasse : Oui parce qu’en fait les dessinateurs de BD sont toujours dans leur trou, dans leur caverne, ils ne voient jamais personne alors c’est très agréable de parler à son public. Surtout qu’avec Tamara heureusement je n’ai pas le public que j’avais avant de collectionneurs fous qui regardent si tous les coins des livres sont parfaits. Elles ont des grands yeux et elles aiment la BD, c’est très rafraîchissant !

Toute La Culture : On a vu que vous n’avez pas peur d’aborder des thèmes qui peuvent être durs. Vous qualifieriez-vous, avec Zidrou, d’auteurs engagés ?

Christian Darasse : A un petit niveau mais oui. Enfin au niveau d’un journal comme Spirou. Spirou qui nous a d’ailleurs laissé tout faire, ça c’est extraordinaire, on n’a jamais été censurés – sauf à propos du fait que Tamara était enceinte, là ils étaient un peu crispés quand même. Mais sinon on nous a laissé raconter ce qu’on voulait.

Toute La Culture : Vous qualifieriez-vous de féministes ?

Christian Darasse : Oui, je le suis ! Oui, c’est une BD qui englobe tout ça, c’est vrai. Oui, on est féministes, carrément oui !

Toute La Culture : Est-ce que ça fait partie pour vous des grands combats qui méritent d’être menés ? Est-ce que c’est quelque chose qui vous tient à cœur, est-ce que vous y pensez quand vous dessinez ?

Christian Darasse : Oui ! C’est drôle parce que, quant on a commencé Tamara, elle se fait harceler mais c’est à un plus petit niveau, on l’emmerde dans la cour de récré. Tandis que maintenant on est en 2016 et le premier bouquin est sorti en 2003 donc il y a facebook qui est apparu et maintenant le harcèlement c’est partout. Par rapport à ça Alexandre Castagnetti a super bien fait son boulot. Le film est génial ! Je ne l’ai pas dit mais moi quand je l’ai vu la première fois j’avais très peur parce que les adaptations de BD au cinéma ne sont pas toujours très réussies… Mais là j’étais sur le cul ! Excusez-moi de le dire comme ça. (rires) C’est extraordinaire : exactement tout ce qu’on a voulu mettre dans notre BD est dans ce film, avec un côté un petit peu plus trash, un peu punchy et propre au cinéma.

Toute La Culture : Dans ce film quelle est la chose qui vous a le plus enthousiasmé ?

Christian Darasse : C’est difficile à dire parce que j’ai tout aimé… C’est le rythme, je trouve que le rythme est très très bien fait ! J’adore toutes les incrustations quant on s’envoie des textos par exemple. Surtout la scène où le professeur, qui en a vraiment marre que tout le monde soit en train de textoter, balance le téléphone de la pauvre jeune fille – qui en plus se le fait balancer une deuxième fois plus loin dans le film ! (rires) J’adore les running gags. C’est un très très beau film, Héloïse et Rayane sont parfaits, tout le monde est parfait.

Toute La Culture : Malgré tout est-ce qu’il y a quelque chose que vous avez moins aimé dans ce film ? Quelque chose qui vous a dérangé ?

Christian Darasse : Non. Non pas vraiment. Je ne vois rien… Définitivement non. (rires)

Toute La Culture : Pourtant à la sortie des premières affiches par exemple…

Christian Darasse : Oui on va en parler.

Toute La Culture : Il y a eu une polémique : beaucoup de personnes trouvent que l’actrice est trop mince comparée à la Tamara de la BD.

Christian Darasse : Oui mais il suffit d’aller voir ce film ! Les gens commencent à s’énerver quant il ont vu l’affiche… Bon moi quand j’ai vu l’affiche personnellement j’ai dit : « Oula ! “La revanche d’une ronde” ?!? Et aussi… (Il mime le fait qu’elle soit plus mince que dans la BD avec ses mains) » Mais elle n’est pas comme ça dans le film ! Je ne sais pas pourquoi ils ont choisi ça – et je préfère ne pas le savoir – mais ça me semblait évident qu’il y allait avoir un problème. Cependant je ne pensais pas qu’ils allaient se déchaîner. « Il y en a un qui n’est pas assez noir, l’autre qui n’est pas assez blanc ! » (Soupir appuyé) C’est vraiment incroyable… Et les accusations de « grossophobie »… Mais ce qui m’a fait plaisir c’est que ceux qui ont lancé la polémique, un site belge sur la BD, se sont rétracté en disant : « On a vu le film, on retire tout ce qu’on a dit. C’est vraiment super. Okay l’affiche bon… Mais on a eu tort. » Et ça, ça m’a fait plaisir et d’ailleurs je leur ai directement envoyé un petit message en disant : « Okay, merci ! » parce qu’on a préféré ne pas mettre le doigt dans l’engrenage de la polémique. Et voilà le film met tout le monde d’accord. Elle est bien ronde et elle le dit au début : « Maman je suis grosse, je ne suis pas débile ! ».


Tamara, film sorti le 26 octobre

Réalisé par Alexandre Castagnetti

D’après l’œuvre de Zidrou et Darasse

Produit par Gazelle & Cie et Elephant Story

Avec Héloïse Martin, Rayane Bensetti, Sylvie Testud, Cyril Gueï

Visuel : D.R.

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