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La-di-da-, la-di-da forever : Annie Hall de retour en salles

La-di-da-, la-di-da forever : Annie Hall de retour en salles

22 January 2018 | PAR La Rédaction

A l’occasion de la ressortie en salles d‘Annie Hall dans une version toute restaurée, retour sur cette comédie romantique de 1977 (sortie en France en 1978) qui souffle aujourd’hui ses 40 bougies. 
Joyeux anniversaire Annie Hall !

Par Ava Cahen

1977, Woody Allen a déjà réalisé cinq films, des comédies tordantes qui mordent dans les mollets les plus conservateurs. Dans son cinéma, on parle de sexe (en solo, à plusieurs, avec des animaux), de politique, du passé, du futur, de la mort, de l’amour, dans le désordre, sans hiérarchie, sans moralisme ni dogmatisme. A l’écran, Allen, acteur, a déjà été un voyou (Prends l’oseille et tire-toi), un président (Bananas), un bouffon (Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe), un soldat (Guerre et Amour). Tant de costumes que nous épousions lors de nos jeux d’enfants. Pourtant, en 1977, le costume change : une veste en tweed, des chemisettes, un pantalon en coton trop grand, serré à la taille. Demeurent les lunettes et les cheveux en pagailles. Et si pour faire rire, le clown n’avait plus besoin de se déguiser ? Bas les masques, la vie est suffisamment tragi-comique pour supporter la réalité, celle d’un homme nommé Alvy Singer qui se présente face-caméra et raconte aux spectateurs ses déboires sentimentaux. Stand up.

Exit les hommages aux slapsticks, les sketchs en enfilade, les pitreries et le burlesque. Annie Hall, c’est autre chose. Une comédie aux notes graves servie par une narration qui ne répond plus d’aucune chronologie. Le début, c’est déjà la fin puisqu’ Alvy nous le dit : « Annie et moi avons rompu ». Il n’y a plus d’espoir. Pas celui en tout cas que réservent les comédies romantiques d’ordinaire. Oui, Annie Hall, c’est autre chose. Une histoire d’amour qui a mal tourné, et dans la tête d’Alvy Singer, souvenirs heureux ou moins heureux se cognent. Des souvenirs en séquence, et un coeur en morceaux qui se panse. Le spectateur est alors invité dans l’histoire chahutée d’un couple qui a été mais qui n’est plus : la rencontre, les premières disputes, les premiers baisers, des voyages entre NY et L.A, des fous-rires, des larmes, un homard au déjeuner, une énorme araignée chassée à coup de balais, un éternuement intempestif qui souffle tout un tas de cocaïne. Où est-ce que ça a coincé ? Comment en est-on arrivé au résultat que l’on connait ? Le bonheur est-il hors de porté pour un comique new-yorkais hautement névrosé ?

Dans la vie, la vraie, Woody Allen et Diane Keaton – Annie – se sont aimés. Aujourd’hui encore subsiste une réelle amitié entre ces deux partenaires particuliers. Annie Hall est bien sûr une fiction, mais la réalité infuse, dès le titre : Annie était le surnom donné à Diane enfant, Hall, son nom de jeune fille. Forcément, le film prend une autre dimension et, pour la première fois, le rire ne dissimule plus l’émotion. Il n’est pas son seul stimulateur non plus. Ce qui touche au coeur, c’est l’histoire. Et qu’y-a-t-il de plus universel qu’une histoire d’amour ? Ce qui change (tout), c’est évidement la manière de raconter cette histoire, de l’incarner aussi, de lui donner une densité (presque) autobiographique. Car cette histoire d’amour dont le courant est remonté et analysé par Alvy prend plusieurs détours. Des digressions qui permettent d’en savoir plus sur ce personnage atypique et hypocondriaque dont aucun psychanalyste n’a réussi à venir à bout et de reprendre les fils d’une vie décousue. L’enfance d’abord. Celle d’un gamin de la classe moyenne plus préoccupé par l’expansion de l’univers que par ses devoirs, mal aimé de sa mère autoritaire, passionné de cinéma et de feuilletons radiophoniques. La vie d’adulte ensuite. Le travail, les ambitions, les ex-femmes. Les correspondances avec la vie du réalisateur se tissent sans peine. Le flou est jeté, le charme opère.

Aux côtés de Woody Allen sur le plateau, un voisin du Queens, Gordon Willis, chef opérateur ayant déjà fait ses armes avec Pakula et Coppola. Il ne s’en est jamais caché, Allen est un autodidacte. Le cinéma, il l’a appris en le faisant. Il l’a aussi appris de ses chefs opérateurs – et Gordon Willis a tout eu du maître. Si Alvy Singer se plait à faire l’éducation littéraire d’Annie Hall, Woody Allen, lui, n’a aucun mal à jouer les apprentis à cette heure – avec Gordon Willis, ils iront même jusqu’à jouer les magiciens, rayant des négatifs, construisant des obturateurs pour les besoins de Zelig (1983). Ce que Gordon Willis apporte au cinéma de Woody Allen à ce moment là, c’est de la tenue. Une forme, inédite, personnelle. Annie Hall marque incontestablement une nouvelle ère dans la carrière de Woody Allen : le clown est devenu un auteur, et le Times le sacrera « génie » quelques temps plus tard. Annie Hall, c’est une grammaire particulière, un grand-huit, des ruptures de rythmes et de tons, des interactions avec le spectateur, des allers-retours dans le passé d’Alvy, de son enfance à Annie puis l’après Annie, une séquence de dessin animé, des split-screen…

En 1978, Diane Keaton remporte l’Oscar de la meilleure interprète féminine. Pour Woody Allen, elle a été Linda (Tombe les filles et tais-toi), Luna (Woody et les robots), Sonja (Guerre et Amour) et en 1977, elle est Annie. Un rôle sur mesure pour Keaton qui a elle-même composé la garde-robe de son alter égo, affichant un gilet d’homme en col V qui ne manque pas de casser les codes de l’époque. Annie Hall est une jolie provinciale qu’on croirait tout droit sortie d’un « tableau de Norman Rockwell » et qui ne maîtrise pas les conventions du milieu intellectuel new-yorkais qu’elle se met à côtoyer. Elle chante, se produisant dans des bars afin de gagner sa croûte. New York est une grande ville, mais elle ne lui fait pas peur. Annie est romantique, un peu naïve, fume un pétard  pour se détendre avant de faire l’amour, et lorsqu’elle rencontre Alvy, comique de télévision, maladroit, comme elle, voilà qu’elle fond. Avant de connaître Annie, Alvy, lui, a connu plus d’une déception, et deux divorces. Mais, lors d’une marche nocturne, les sentiments dépassent les mots et plus rien n’a de sens : « Love is too weak a word for what I feel – I luuurve you, you know, I loave you, I luff you, two F’s, yes I have to invent ».

Non, plus rien n’a de sens, la réalité et le quotidien rattrapent la romance : « A relationship, I think, is like a shark. You know ? It has to constantly move forward or it dies ». Ce qui plaisait hier à l’un et à l’autre aujourd’hui irrite. Alvy étouffe Annie et celle-ci est indisposée par son paternalisme, sa morosité, son égoïsme. Les sentiments se désaccordent, les envies aussi. Même les vieux films revus ensemble n’ont plus le même parfum. Annie est appelée en Californie pour enregistrer un album. Comment Alvy pourrait-il s’adapter à cette vie au soleil lui qui aime la grisaille, la pluie et, par dessous tout, New York ? La géographie parle. Sans Annie, Alvy est malheureux, mais sans New York, il n’est plus rien. Quant à Annie, son détachement est salvateur. La Californie la fait rayonner de bonheur. « Seems Like Old Times » chante encore Annie. Mais une question demeure toujours : Y avait-il un ou plusieurs tireurs le jour de l’assassinat de JFK ?

Annie Hall a quarante ans et trois Oscars (celui du meilleur film et du meilleur réalisateur en plus du prix de Diane Keaton). Pas une ride. Une jeunesse éternelle. 120 battements par minute encore. Le cœur s’emballe avec le même élan. La ressortie d’Annie Hall en salles le 24 janvier prochain dans une version restaurée est une aubaine. Celle de voir ou revoir l’un des plus grands films de Woody Allen sur grand écran dans une salle obscure, et s’en émerveiller car, ne l’oublions pas, « la vie se divise en deux catégories : l’horreur et le malheur ». Parole d’Alvy Singer.


1-En français : « Si je taime ? Je te âme, je te hume, je totem, je tintime ! »

2-Traduction : « Une relation, cest comme un requin. Elle doit aller de lavant ou elle meurt ».

Ava Cahen

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