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Deauville Jour 6 “Blueprint” et “Sweet Virginia”, l’Amérique et la violence

Deauville Jour 6 “Blueprint” et “Sweet Virginia”, l’Amérique et la violence

06 September 2017 | PAR Olivia Leboyer

Les deux films présentés aujourd’hui en compétition traitent de la violence en Amérique, de manière très différente. Dans Blueprint, nous sommes témoins des fusillades meurtrières, fréquentes, dans le Sud de Chicago. Sweet Virginia, sur un mode romanesque et vénéneux, nous conte la violence qui hante les grands mythes virils américains.

Le jury, présidé par Michel Hazanavicius, est arrivé discrètement : on remarque le joli blouson de cuir rose de Charlotte Le Bon, la silhouette longiligne de Clotilde Hesme, tout en noir, le trench de Yasmina Reza. Et, bien sûr, l’élégance nonchalante de Benjamin Biolay, coupe de cheveux courte, jean noir et sweat gris à capuche sans manches. Des applaudissements crépitent, pour saluer l’entrée de Vincent Lindon, dans un petit blouson de toile bleu gris : l’acteur ne fait pas partie du jury, mais possède son rond de serviette à Deauville depuis qu’il a présidé le Festival en 2013. C’est simple, il vient à chaque séance ! Embrassant chaque membre du jury, il prend place à côté d’Alice Winocour, qui l’avait dirigé dans Augustine.

blueprint

D’emblée le réalisateur et l’acteur principal de Blueprint, Daryl Wein et Jerod Haynes, nous interpellent : avec ce film, ils entendent agir, parler d’une réalité politique terrible. A South Side, des meurtres ont lieu, provoqués par des gangs ou par les forces de police elles-mêmes, qui tirent sans sommation sur des individus, parce qu’ils sont Noirs. L’un des acteurs, Curtis Posey, a été assassiné depuis le tournage. Dans le film, Jerod (Jerod Haynes) se trouve confronté à la mort brutale d’un ami d’enfance, abattu par un flic. Educateur spécialisé pour les enfants, Jerod a toujours cru dans les vertus de l’éducation, du travail. Soudain, il perd confiance et se trouve submergé par la fatigue et l’angoisse. Autour de lui, sa petite fille, sa nouvelle petite amie, lui apparaissent comme autant de responsabilités à assumer, et il n’a plus la force. Blueprint nous retrace ce mode d’emploi pour réapprendre à vivre et à aimer, même au fond d’une impasse. Si le film n’évite pas les dialogues un peu démonstratifs, Daryl Wein filme avec grâce les espaces urbains gris et oppressants et, par endroits, les trouées lumineuses, coucher de soleil orangé qui vient sublimer un immeuble quelconque, ou échappée sur le lac. Emouvant, légèrement bancal, le film nous emporte par sa belle scène finale:

[rating=3]

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L’après-midi, en deux plans, le film impose son atmosphère. Peu importe le sujet ou l’histoire, on sent qu’il y a ici un réalisateur de cinéma. Le reflet d’une montre dans un rétroviseur, une montagne nimbée de nuages, les lumières vives d’une petite bourgade encaissée, et l’on pénètre dans ce Sweet Virginia (clin d’oeil aux Rolling Stones) habilement tissé par Jamie M. Dagg. Noir, bien corsé, le film exsude une violence très frontale. Le héros, Sam (Jon Bernthal, à la beauté animale) est un cowboy avec du plomb dans l’aile. Nous le découvrons qui se lave les dents, avec le tableau d’un ours accroché derrière lui. Et cet ancien champion de rodéo a perdu de sa superbe : après un grave accident et un deuil, le voici devenu inoffensif, débonnaire. De Virginie, il s’est replié en Alaska, pour tenir un petit motel. Là, son charme a opéré sur une belle femme de caractère (très belle Rosemarie DeWitt). Mais un tueur psychopathe arrive soudain en ville, et les ennuis commencent. L’intérêt du film tient à sa façon, très ludique, de jouer sur les codes masculins et féminins (Ah, cette scène emblématique où la femme coupe les cheveux de son amant, comme Samsom et Dalila !) . Normalement, ce serait à l’homme de protéger sa compagne. Mais ici, Sam est diminué, tandis que Bern (Rosemarie DeWitt) affiche un courage et une santé à toute épreuve. L’homme va peu à peu reconstruire sa virilité, comme un escargot sa coquille. James M. Dag interroge avec subtilité le mythe du cowboy américain et ses effets. La figure du tueur fou (Christopher Abbott), énigmatique, impressionne de violence brute et douce à la fois (on pense un peu au No Country for old man des frères Cohen). Et la jolie Imogen Poots incarne ici un personnage bien différent de ses rôles habituels. Ce Sweet Virginia distille une petite magie très plaisante:

[rating=3]

Blueprint, de Daryl Wein, 1h16, avec Jerod Haynes, Taï’isha Davis, Sandra Adams-Monegain, Curtis Posey. Festival de Deauville 2017, en compétition.

Sweet Virginia, de Jamie M. Dagg, 1h35, avec Jon Bernthal, Christopher Abbott, Imogen Poots, Rosemary DeWitt. Festival de Deauville 2017, en compétition.

visuels: affiche officielle du festival; photos officielles des films “Blueprint” et “Sweet Virginia”.

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

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