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[Critique] “Les fleurs bleues” pour ne pas oublier le regard d’Andrzej Wajda

[Critique] “Les fleurs bleues” pour ne pas oublier le regard d’Andrzej Wajda

23 February 2017 | PAR Olivia Leboyer

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Ce n’est donc pas avec L’Homme du peuple (2013) que Andrzej Wajda nous a quittés, mais avec ces Fleurs bleues posthumes, d’une belle délicatesse. Pour se souvenir d’Andrzej Wajda, allez voir sa dernière trace. En salles depuis le 22 février 2017.

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Les Fleurs bleues, le titre fait penser à Raymond Queneau, et c’est bien d’inventivité dans l’art qu’il est question. Le style personnel, l’originalité, le peintre Strzeminski, ancien assistant de Malevitch (incarné par Boguslaw Linda, le Saint Just du Danton de Wajda) les revendique avec orgueil. Nous sommes en 1948 et le régime soviétique entend le faire plier, pour obtenir un art de propagande, utile. Pour Strzeminski, qui avait cru, à l’époque, dans la révolution de 1917, le temps des rêves politiques est passé et l’art consiste à rechercher de nouvelles formes. Comme ces images rémanentes, que l’œil enregistre et conserve précieusement, avec d’autres couleurs.

Si l’on a parfois reproché à Wajda un cinéma politique un peu illustratif, ces Fleurs bleues proposent un joli contrepied. Strzeminski s’engage dans l’art avec une vision toute personnelle (« De quel côté êtes-vous ? – Du mien, du mien », répond-il farouchement), en quête de beauté et de pureté. Wajda filme, de manière oppressante, les espaces clos, resserrés et grisâtres où le peintre se trouve confiné.

Symboliquement, le film s’ouvre sur une campagne ensoleillée, pour se terminer sur le lit vide d’une chambre d’hôpital, la place du mort. Dans l’intervalle, Strzeminski aura lutté contre l’absurdité du régime soviétique et aura perdu, successivement, sa chaire, ses moyens de subsistance, sa carte d’artiste et jusqu’aux tickets de rationnement. Sa femme, une sculpteur talentueuse et méconnue, il l’avait déjà perdue, il y a longtemps. A présent, voilà qu’elle meurt, un peu avant lui. Les fleurs bleues du titre, elles sont pour elle, qui avait les yeux si bleus. Filmée de loin, la scène d’offrande des fleurs est pudique, très émouvante. Fugitivement, le modeste bouquet blanc, trempé dans la peinture bleue, est déposé sur la tombe. Cette petite touche de bleu, la touche rouge du manteau de la fille de Strzeminski (Bronislawa Zamachowska), la touche rouge du sang craché, viennent colorer discrètement le calvaire du peintre.

S’il inspire encore l’amour, Strzeminski n’a plus la force d’y répondre. Les choses, les événements politiques, les êtres chers lui échappent, tandis qu’il tente, jusqu’à la fin, d’imprimer sa vision du monde sur la toile. Mais, sans carte d’artiste, on lui refuse même d’acheter des couleurs. C’est donc dans une triste petite pièce grise et froide que le peintre s’éteint et, de son passage, les draps blancs ne conservent pas la trace.

Wajda nous offre ce bouquet bleu d’une grande tristesse, délicat et puissant : Vergiss mein nicht, comme disent les myosotis. Nous nous souviendrons de Wajda, en particulier du très beau Les demoiselles de Wilko (1929) : un homme retourne sur les lieux de son passé amoureux, où il croise cinq jeunes filles, doux fantômes (dont Christine Pascal, trop tôt disparue).

Les fleurs bleues, d’Andrzej Wajda, Pologne, 1h35, 2016, avec Boguslaw Linda, Bronislawa Zamachowska, Zofia Wichlacz. Sortie le 22 février 2017.

visuels: affiche, photo et bande annonce officielles du film.

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

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