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[Critique] “La morsure des dieux”, le chant du monde de Cheyenne-Marie Carron

[Critique] “La morsure des dieux”, le chant du monde de Cheyenne-Marie Carron

16 April 2017 | PAR Olivia Leboyer

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D’un film à l’autre, Cheyenne-Marie Carron explore la question de l’identité. La Chute des hommes tentait de comprendre les âmes perdues dans la radicalisation. Avec la Morsure des Dieux, c’est le monde paysan dont les souffrances sont écoutées, avec une empathie bouleversante. Le film sort le 26 avril, nous vous le conseillons très chaudement.

[rating=4]

Le film s’ouvre sur un paysage de la campagne basque, d’une beauté un peu aride. Sur sa moto, un jeune agriculteur, Sébastien (François Pouron) dépasse sur la petite route le vieux Lucien (Pierre Molinier) dont la voiture a calé. Les deux hommes sont amis, ils aiment la même terre, celle de leurs ancêtres. Entre eux, deux générations et une légère différence de rythme : Sébastien n’a pas conservé de bonnes relations avec son père, parti en ville, et Lucien est pour lui comme un grand-père d’adoption, lumineux et rassurant.

Mais, dans ce décor idyllique, les soucis pleuvent : les banques pressurent les fermes, qui ne produisent plus assez et dépendent des grandes chaînes de supermarché qui achètent à bas prix. Pas moyen de s’en sortir, l’avenir économique est bouché. Résolu, Sébastien se rend à la banque pour renégocier ses prêts, mais la ferme semble, à terme, condamnée. Alors, dans le sursis qui lui reste, fort de sa fougue et de son espoir, il va tenter de convaincre les autres agriculteurs du coin de s’associer pour fonder une petite communauté, qui vendrait directement au consommateur, sans l’intremédiaire de la grande distribution. Au début, la bonne volonté et l’entraide règnent, mais très vite le constat d’échec s’impose. Les scènes où les agriculteurs distribuent des tracts dans les ruelles, où ils disposent leurs produits sur les petits étals du hangar, serrent le cœur. Car, en contexte de crise, les gens n’ont pas le temps ni les moyens de prendre soin de leur santé, et le supermarché demeure l’option la plus facile.

Sébastien est animé par des rêves beaux et simples : pour lui, la terre est plus qu’un lieu d’habitation, c’est son ancrage, qui le relie à la chaîne des morts. Lui qui a lu Giono et son chant du monde sait que la terre nourricière recèle aussi un esprit. « La maison de mes ancêtres, je la défendrai contre les loups », récite le vieux Lucien, qui lègue à Sébastien tant de belles choses, des chansons, un sens de l’honneur, un couteau… Mais comment faire dans un monde sans pitié ?

Etranglé par les dettes, Sébastien se trouve dans une impasse. Epreuve ultime, il découvre Lucien, pendu à son arbre : poignante, la scène est belle comme un tableau. Le cadavre de l’homme semble incorporé à l’arbre, avec un léger vent dans les feuilles. Dans cette tristesse sans fond, voilà que Sébastien rencontre une jeune femme, véritable sylphide. Pure, délicate, Juliette (Fleur Geffrier) croit au Dieu des chrétiens, là où Sébastien est tout imprégné de paganisme. Entre eux, les liens se tissent doucement, affinités sensuelles mais aussi intellectuelles. Les discussions sur les dieux et le rapport à la terre sonnent très naturellement. Habitué à sa vie solitaire, Sébastien a lu en abondance et, pour lui, parler et réfléchir participe de son élan vital. L’amour peut-il l’aider à vivre parmi les hommes ? Comment retrouver ce qui le rattache encore au monde ?

Nous ne sommes pas près d’oublier les grands yeux de François Pouron (Sébastien), le regard rieur de Pierre Molinier (Lucien), l’éclat de Fleur Geffrier (Juliette). Avec cet hymne à la terre âpre et pudique, Cheyenne-Marie Carron nous bouleverse.

Pour lutter contre l’uniformisation et l’oubli modernes, gardons à l’esprit les mots de Giono dans Le chant du monde: “ça avait l’air d’une odeur de fleur et ça scintillait comme une étoile semble s’éteindre puis lance un long rayon.

La Morsure des Dieux, de Cheyenne-Marie Carron, 2h, France, avec François Pouron, Fleur Geffrier, Pierre Molinier, Laurent Lucmaret, Cyrille Campri, Pascal Elso. Sortie le 26 avril 2017.

visuels: affiche, photo et bande annonce officielles du film.

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

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