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[Critique] “Une vie ailleurs” : le drame lumineux d’Olivier Peyon

[Critique] “Une vie ailleurs” : le drame lumineux d’Olivier Peyon

21 March 2017 | PAR Joanna Wadel

Grand amateur de documentaires, Olivier Peyon, scénariste à plusieurs casquettes dont celle de réalisateur, a décidé d’écrire un film qui mêle fiction et réalisme avec un regard bienveillant sur l’éducation. Porté par un duo inédit : Isabelle Carré et Ramzy Bedia, Une vie ailleurs est une bonne surprise, un film touchant qui aborde d’un œil neuf le sujet délicat des déchirements familiaux en questionnant avec maturité la conception classique des liens de parenté et la notion de famille, le tout sans mièvrerie ni emphase. Notre critique.

[rating=4]

Synopsis :

Sylvie (Isabelle Carré) qui n’a pas revu son fils depuis 4 ans débarque en Uruguay en compagnie de Mehdi (Ramzy Bedia), un assistant social prêt à l’aider à récupérer l’enfant enlevé par son père à présent décédé. Exténuée et bouleversée, elle ne vit plus que dans l’espoir de le retrouver. Seulement, l’opération de sauvetage d’ors et déjà risquée s’avère plus délicate que prévue lorsque Mehdi découvre que le petit Felipe coule en réalité des jours heureux en compagnie de sa jeune tante Maria (l’authentique et rayonnante Maria Dupláa) et de sa grand-mère.

Empreinte documentaire

Difficile d’échapper à l’émotion qui se dégage du film d’Olivier Peyon, dont l’ouverture pour le moins perturbante plonge le spectateur au beau milieu d’un moment de vie agité : Sylvie, une Isabelle Carré sous-tension, émerge d’un long vol en compagnie de Mehdi, Ramzy Bedia étrangement taiseux et en retrait. Dialogues brefs, regards furtifs et inquiets se joignent aux bruits de la circulation. La situation est d’emblée présentée comme complexe, le ton est grave, l’atmosphère anxiogène, les visages défaits, la caméra à l’épaule et les gros plans épousent le pas nerveux et la crispation physique des protagonistes. On s’interroge sur la nature de ce qui va suivre. Mais sous ses airs de cinéma documentaire très affecté, Une vie ailleurs se révèle bien vite être une belle fiction qui recèle de générosité et dévoile progressivement son propos, dont la port224742-jpg-r_1920_1080-f_jpg-q_x-xxyxxée écrasante contraste avec la façon simple et charmante d’amener les choses, la luminosité du cadre et la chaleur du décor pittoresque Uruguayen. Il s’agit là d’une intrigue imprégnée de l’expérience vécue par ces parents qui suite à une séparation houleuse se retrouvent privés de leur enfant, kidnappé par le conjoint étranger, profitant de la situation politique de son pays d’origine pour briguer la garde exclusive. Une fois ces repères contextuels délicatement mis en place, le film glisse au gré de l’évolution des personnages vers une histoire pédagogique où les questions centrales de maternité et de filiation sont traitées avec un angle réfléchi, qui relativise de manière singulière et avec entendement la primauté sociale habituellement conférée au statut de la mère et aux liens du sang, plaçant l’enfant et son ressenti au cœur du débat.

Un tandem dynamique

une-vie-ailleurs-olivier-peyonUne vie ailleurs puise sa force dans un casting solide et équilibré. Au côté du trio Uruguayen méconnu, au jeu aussi troublant que juste, dont le petit Dylan Cortes à la mine angélique dans le rôle de Felipe et les talentueuses Maria Dupláa et Virginia Méndez, on découvre Isabelle Carré comprimée, morcelée par le stress. La comédienne qui d’ordinaire campe des rôles épicuriens qui inspirent et respirent la sympathie est transformée en mère usée par l’attente. A bout de souffle, Sylvie porte toute la fébrilité du film sur ses épaules, un trop plein d’émotion habilement contrebalancé par l’assistant social incarné par Ramzy, qui livre une belle performance. Surprenant de tempérance, son naturel bienveillant désamorce la charge émotionnelle de certains dialogues sans en ôter l’intensité, toujours avec cette pointe de maladresse affectueuse que l’on aime retrouver dans ses personnages comiques. Un second premier rôle essentiel, qui apporte un point de vue externe plus mesuré face à l’affect débordant de cette mère qui n’agit que par instinct, obnubilée par le retour de son fils et prête à l’arracher à sa vie pour le récupérer. Au final, Mehdi s’impose comme le véritable médiateur de l’histoire, dont l’empathie et la prévenance permettront de rendre possible le contact entre Sylvie et la famille de Felipe.

Laisser du temps au temps

Contrairement aux attentes, le film malgré son sujet peu réjouissant n’a pas à faire vibrer outre mesure la corde sensible. L’émotion est subtile, jamais imposée, elle naît de situations cocasses ou une-vie-ailleurs-olivier-peyonhasardeuses et des rapports entre les personnages. Aussi, Olivier Peyon qui a le soin du détail par son habitude du court-métrage, reste cohérent jusqu’au bout en évitant l’écueil de l’utopie et du happy end provoqué, pour réussir néanmoins à proposer une conclusion positive dans la continuité du film, car sensée. Un détail appréciable.

A tout moment, cette fenêtre sur une réalité romancée reste un drame tangible, bien conscient de la complexité du réel et prouve que dans toute relation, l’évidence n’est pas induite. Loin de toute réflexion binaire, attendrissant sans être apitoyant, rien n’y est simple ou acquis, tout se construit. Par le bilinguisme hispano-francophone qui ponctue les échanges, le réalisateur instaure un double regard sur les événements, une façon duelle d’aborder et de traiter les questions difficiles au travers de deux cultures distinctes. Du bon cinéma d’auteur français, éveillé, altruiste et piqué de belles réflexions qui font souffler un vent de fraîcheur sur les préconçus et les a priori moraux qui entourent la famille.

Au cinéma le 22 mars 2017

Visuels : Une vie ailleurs – © Haut et Court

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Joanna Wadel

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