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[Critique] Ni pour les fans ni les profanes : Warcraft

[Critique] Ni pour les fans ni les profanes : Warcraft

31 May 2016 | PAR Olivier Handelsman

C’est ainsi que se conclut l’attente Warcraft: une licence de jeux vidéo, de livres, mangas, cinématiques (courts métrages d’animation) au succès mondial et intergénérationnel a enfin produit son avatar cinématographique. Une dizaine de millions de joueurs depuis 1994, quatre jeux pour la plupart révolutionnaires, une histoire profonde, raisonnée et riche en leçons de vie. L’étoffe dont sont faits les rêves (W. Shakespeare à propos de Warcraft, The Tempest (1611), acte IV, scène 1).
[rating=4]

Comme tout univers d’heroic fantasy anglo-saxon, Warcraft nous met devant un fait accompli : les humains, à la culture proche des Européens médiévaux, sont confrontés à des invasions et des trahisons venant d’étrangers à la couleur de peau, la stature et les mœurs des barbares germains, turcs, mongols ou arabes. D’abord, nous pensons qu’ils ont soif de sang et de femmes étrangères (Warcraft I & II), puis qu’ils sont en fait poussés par d’autres peuples, ou des catastrophes naturelles (Warcraft II, III & World of Warcraft). Presque chaque once de confiance accordée résulte inévitablement en une déception meurtrière, et chacune de leurs incursions vise un pilier de notre monde. L’Alliance des humains est bâtie sur des principes, la Horde des orcs sur des valeurs. Et les traîtres de tous bords en abusent pour causer des conflits apocalyptiques, si bien que chaque camp est défendable.

Warcraft multiplie les références aux mondes médiévaux fantastiques ainsi qu’à la science-fiction, et jamais sans rappeler leurs origines : peu d’espèces de l’univers sont endogènes à Warcraft (Draeneï, Arakkoa, Mogu et autres Tol’vir), et elles portent toutes le fardeau de cultures réelles bien identifiables. Orcs, dragons, nains, elfes, ogres, gnomes, trolls et mort-vivants sont issus des folklores usés par les différents auteurs. Et peu de fans se lassent de cet univers, pourtant. Ceux qui ont définitivement abandonné Warcraft l’ont fait pour des raisons d’attentes techniques liés aux mécanismes du jeu (le gameplay) pour la plupart. D’autres ont constaté que l’histoire était très complexe et bâtissait de nombreux ajouts en corrigeant certains points établis pour établir des liens inattendus entre deux pistes laissées inexplorées, ce qui pouvait sembler indigeste en termes de scénario. C’est pourquoi je ne m’attarderai pas sur la fidélité du film à l’histoire officielle de Warcraft, ce serait malhonnête.
Depuis dix ans, nous attendions les habits neufs de l’empereur taillés dans la plus moderne de leurs étoffes, le tant promis long métrage issu de l’univers de Warcraft. Nous savions qu’une telle œuvre impliquerait sans nul doute une déformation imprévisible, « nécessaire » au passage sur grand écran, des événements établis et des personnages imbriqués dans cet univers. L’excuse imparable (et ô combien ingénieuse !) de prétexter l’établissement de l’histoire du film Warcraft : Le Commencement dans une dimension parallèle à celle des jeux, a failli me satisfaire.

Nous avons patienté (certains plus activement que d’autres, j’étais près du lieu de tournage lors de celui-ci), conjecturé, récusé, prié, puis finalement fait confiance à Blizzard Entertainment, considérant les merveilleux univers et rebondissements qu’ils ont forgés pour nous et qui nous ont forgés. Je suis de ceux qui ont leur ont trop fait confiance, et j’ai appris à balayer mes déceptions. Je suis prêt à le faire une fois de plus, car je ne peux pas mordre la main qui m’a nourri, même si elle m’a infligé quelques tannées. La dernière en date étant la déception que j’ai ressentie en entendant la bande originale de ce film, composée par Ramin Djawadi (Game of Thrones), artisan d’une musique laide, lourde et aussi dissemblable des musiques de Warcraft comme de celles de Game of Thrones qu’il soit possible d’imaginer dans le même domaine. Trois secondes du légendaire thème d’Hurlevent, une musique extraite de WoW en ouverture du générique de fin, et l’attention du fan venu se faire un plaisir depuis longtemps espéré est totalement perdue. Qu’à cela ne tienne, il reste la vidéo.

Les règles de la physique, de la biologie et de la magie de Warcraft ont longtemps été impénétrables, elles le sont beaucoup moins aujourd’hui, car enfin Blizzard s’est doté de bons écrivains. Il semble que ces derniers n’ont pas participé au film. Il s’ouvre sur un combat entre un guerrier humain et un homologue orc sur le point d’en découdre (se mettre une piquette, ndlr), introduction classique évoquant celle de Warcraft III, commentée par un inconnu qui commet l’impardonnable. Nous annonçant que depuis la nuit des temps, avant que toute histoire soit rédigée, ces deux peuples se sont affrontés. Je n’apprendrai pas aux joueurs de WoW que l’invasion des orcs date d’une trentaine d’année avant les événements « actuels », ni que de nombreux personnages, de chaque côté, ont survécu à ces guerres et n’ont succombé à aucune crise d’Alzheimer, ce serait grossier. Plus finement, je ferai remarquer que le film entier s’emploie à faire voler en éclat cette phrase d’introduction en montrant les tenants et les aboutissants de la première rencontre en détail. A moins que le narrateur ne soit issu de Warcraft 40.000 ans plus tard et que tous les livres d’histoires aient disparu par mégarde, il s’agit là d’une dissonance écœurante.

Après cette confusion savamment enfoncée dans les nerfs optiques et conduits auditifs des patients spectateurs s’enchaînent… une demi-douzaine de plans magnifiques et aberrants. Aucune explication, aucune présentation des personnages principaux, clans orcs, tribus humaines, cartes et reliefs géographiques, bref un tourbillon d’action incompréhensible, pour un expert comme pour un quidam, et ne parlons pas des jeunes curieux. Les orcs magnifiques ne rattrapent pas les rôles humains mal campés pour la plupart : l’excellent Travis Fimmel de la série Vikings ne convainc pas en tant qu’Anduin Lothar, le Llane Wrynn de Dominic Cooper semble trop jeune et ne brille que par ses choix irréalistes issues de Deus Ex Machina, et Khadgar (Ben Schnetzer) est inutilement comique. L’humour est facile, sauf pour quelques trop rares traits de génie.

Les points forts de Warcraft se résument en une phrase : c’est incroyablement beau, magnifiquement exécuté pour les chorégraphies guerrières et la présence physique des orcs, et sans nul doute comportant des références réchauffant le cœur des fans presque désespérés. Mais ces références sont brouillonnes et implicites. Les quelques points détaillés par le film (dont, je le concède, des subtilités de l’histoire auparavant inexpliquées dans la série de jeux), sont anecdotiques, et contiennent parfois des choix scénaristiques aussi inutiles qu’incongrus, dont certains vont suivre immédiatement.

Ici s’ouvre la section spoilers. SPOILERS. Voilà c’est dit :
Au sujet des différents types de magie (ou « écoles ») existant dans l’univers de Warcraft, on trouve : la lumière (étrangement absente du film, à l’exception d’une citation saugrenue), les arcanes, la nature, les éléments (eau/givre, feu, air/foudre, terre/roche), l’ombre et l’énergie démoniaque (en anglais, « fel magic »). Les dialoguistes du film ont jugé bon d’appeler cette dernière tout simplement « fel », ce qui est aussi évocateur qu’incohérent, et les traducteurs français l’ont innocemment traduit par « le fel ». Mon front s’est enfoncé dans la paume de ma main avec fracas, jusque dans l’espace on l’entendait (Oldelaf, Rue de Nantes).
Le personnage de Medivh, pivot de l’histoire de Warcraft, est un mage (arcanes, feu, givre/eau), démoniste (énergie démoniaque et ombre) et nécromancien (ombre, givre et non-mort) possédant un pouvoir de transformation en corbeau ressemblant à celui des druides. Pas un chaman maîtrisant la foudre, c’est strictement impossible pour lui, aussi puissant qu’il soit.

Medivh tient ses pouvoirs d’une tradition millénaire, celle du Gardien de Tirisfal dont Alodi est le premier représentant. Humain et elfe d’origine, décédé depuis des temps immémoriaux, on le retrouve sous les traits d’une vieille humaine sibylline se cachant dans prisme d’obsidienne aussi laid qu’inattendu à Dalaran, ville des sorciers.
Dalaran qui rappelons-le est une ville flottante (non pas le dessert) dans le film comme dans World of Warcraft, ce qui est déjà suffisamment difficile à croire lorsque son arrivée est justifiée par une quantité et une qualité de magie octroyée par les événements suivant Warcraft III. Le film Warcraft essaie de nous faire accepter une Dalaran flottante à l’époque de Warcraft I, alors qu’elle était raisonnablement encastrée sur la rive du lac Lordamere jusqu’à sa destruction dans Warcraft III (événement-clé de cette période).
Puisque les différences de relief entre les deux univers ne sont pas pertinentes, je ne mentionnerai pas les montagnes enneigées ajoutées sur le trajet entre la ville d’Hurlevent et le défilé de Deuillevent, même si j’ai failli m’étouffer sur mon Malteser. Ah tiens si, je les ai mentionnées.
Enfin, c’est par universalisme brouillon que ce film pêche : pour justifier un dialogue superfétatoire, le personnage de Garona (Paula Patton), issue d’un croisement d’espèces, est dans le film issue d’un père draeneï et d’une mère orque, à l’inverse de sa parenté établie dans l’univers originel et fortement justifiée. Il semble que le « race bending » est devenu incontournable dans le cinéma grand public (visée avouée de ce film), puisque la femme du roi humain Llane, l’intrépide Taria (Ruth Negga, sans aucune entorse à l’univers du jeu puisqu’elle vient combler un trou scénaristique), est métisse noire et blanche, pourtant sœur et mère des très blancs Lothar et Varian. C’est toutefois moins choquant que l’elfe joué une seconde et demie par un figurant asiatique (probablement Kael’thas, dont les sourcils interminables ont pu donner des idées à certains) assis à côté de deux de ses parents proches incarnés par des acteurs caucasiens. On dirait une apparition subliminale pour se défendre de tout racisme, ce qui serait très mal vu dans l’autre sens.

Le conservatisme des fans de Warcraft est intransigeant, et c’est pourtant soulagé que l’on sort de cette séance, porteuse de promesses pour une suite, qui s’annonce pourtant impossible à faire cadrer avec le moindre événement issu des jeux. Si Blizzard reprend les commandes scénaristiques, il y a sans doute moyen pour eux de sauver les meubles ; qu’ils gardent toutefois l’équipe technique, tout le monde la leur envie.

150 minutes, réalisé par Duncan Jones, avec Ben Foster, Travis Fimmel, Dominic Cooper, Paula Patton, Robert Kazinsky, Clancy Brown, par Legendary Pictures et Universal Studios
Note : 7,5/10 en tant que film, 4/10 en tant que film Warcraft

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Olivier Handelsman
Olivier Handelsman est étudiant en master de management à Grenoble École de Management, et étudie en échange à la Simon Fraser University de Vancouver (Colombie-Britannique, Canada) au second semestre 2013-2014. Licencié de Sciences Économiques à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne, Olivier est intéressé par la micro-économie, l'entrepreneuriat, le management stratégique, de l'innovation, de la musique, des systèmes d'information et des nouvelles technologies. Olivier Handelsman a été scénariste de courts et longs-métrages en machinima (images de synthèse issues de jeux vidéo), et a une expérience professionnelle de pigiste dans différents médias tels que le journal Le Point (hors-série Références), PC Jeux et Millenium Source, ainsi que d'auditeur de service client, de programmeur Visual Basic et de démonstrateur produit.

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