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[Critique] « Merci Patron » ou Michael Moore chez les Chtis

[Critique] « Merci Patron » ou Michael Moore chez les Chtis

22 January 2016 | PAR Sylvain Lefèvre

Qui n’a jamais rêvé de s’offrir une partie de poker menteur avec un « grand de ce monde » ? François Ruffin, journaliste de son état et Robin des Bois à ses heures perdues, s’est lancé et a opté pour une Barbichette (le premier qui rira…) avec Benard Arnault, le vrai, celui de LVMH. Il nous sert au passage un premier film « stratégique » que ne renierait pas Sun Tzu dans son « Art de la Guerre » mais dans une version « humanité comprise ». Sortie le 24 février 2016.

[rating=4]

Un des plus grands penseurs de notre siècle, aux prises avec les tourments métaphysiques dont il avait fait son quotidien, s’est interrogé voilà quelques années : « Peut-on rire de tout (…) de la misère et de la mort ? ». Succulente question à laquelle il apporta cette réponse sans appel « Oui ! Est-ce qu’elle se gêne, elle, la mort, pour se rire de nous ? ». C’est à coup sûr le parti-pris résolument adopté par François Ruffin dans un film aux allures de documentaire potache au premier abord.

Son nom, il le signe à la pointe de l’épée. D’un A qui veut dire Arnault

Pour Jocelyne et Serge Klur, habitants de la riante commune de Poix-du-Nord – 2000 habitants, aux confins du Nord et à la frontière entre Avesnois (Pays du Maroilles) et Cambrésis (patrie de la capitale des bêtises) – le pire est à venir. Dépités d’avoir perdu leur job chez ECCE – filature du groupe LVMH fabriquant pour Kenzo et délocalisée sous le soleil « la misère est moins pire » – les voilà désormais aux prises avec les huissiers pour une sombre histoire d’accident de voiture qui pourrait leur coûter leur maison. Quand on « fait Noël avec une tartine de fromage », « jamais pris de vacances, jamais vu la mer » et 400€ par mois pour vivre, c’est joué de malchance. Mais c’est sans compter sur Bernard Arnault et son groupe LVMH qui, non-content de « répandre la prospérité à travers l’Europe » en délocalisant à tour-de-bras, vont venir voler à leur secours bien malgré eux…

Ainsi présentée, l’histoire ne manquerait guère de piquant mais s’éloignerait sans nul doute de la réalité. Guère satisfait de ses péripéties musclées lors de la dernière assemblée générale du groupe LVMH, François Ruffin et son équipe du Fakir – journal satirique qu’il dirige – vont faire du cas Klur un incroyable cheval de Troie.

Ruffin contre les ex-flics de Goliath

Effectué le bref rappel historique des activités de son héros Bernard Arnault qui mériterait de figurer en page de garde de tout bon ouvrage d’ultralibéralisme, François Ruffin nous embarque dans une aventure sociale et sociétale haletante digne d’un thriller. Levant au passage le voile sur la sécurité maison de LVMH mais aussi sur les dernières techniques en matière d’espionnage et d’effets spéciaux en vogue à Poix-du-Nord, il dissèque stratagèmes et subterfuges mis en place pour arriver à ses fins dans cet affrontement de haut vol contre le « Goliath du luxe ». Car à Poix-du-Nord les poupées ne sont pas toujours aussi innocentes qu’il n’y paraît. Ian Fleming en nourrirait déjà de vertes jalousies et Elise Lucet a demandé une copie du film. Dans le petit bestiaire des scènes cultes, la poupée et ses camarades devraient aisément trouver leur place aux côtés du lapin de « Sacré Graal ».

La petite maison dans l’ultralibéralisme

Si ce premier opus n’est pas exempt de quelques défauts qu’on lui pardonnera aisément, cet objet cinématographique d’un nouveau genre n’est pas à mettre entre toutes les mains. La paillarde ritournelle, marque de fabrique du film, que la bienséance nous oblige à passer sous silence afin d’épargner les plus tendres d’entre nous, ne constitue qu’un vague et bref aperçu des effets dévastateurs que pourrait avoir la projection de l’objet dans une prépa HEC. Alors certes on pourrait déplorer l’absence de sous-titres pour certains passages, Ruffin fait fi des préconisations techniques de TF1 en matière d’interview d’indigènes de province. Regretter que l’hommage rendu au chef d’œuvre télévisuel du duo Landon-Ingalls semble avoir fait les frais d’un montage parfois un peu aléatoire. S’appesantir dans un émouvant salut à la grandeur d’âme de ce cher Bernard Arnault ici pourfendu sans l’once d’un respect des droits de la défense. Voire même pleurer de voir gâcher tant de savoir-faire malgache au profit de ces grecs sans foi, ni loi prêts à travailler plus pour gagner moins. Mais rien n’y fait. Le sourire, parfois jaune, né des premières scènes a la vie dure. Tout juste cède-t-il parfois la place au rire.

Joyeuseté à la Michael Moore matinée de Rémy Belvaux et Olivier Van Hoofstadt, « Merci patron » est de ces « petits » films qui contribuent à l’espoir. Loin d’un manichéisme made in America très en vogue dans le registre, il nous ré-apprend en mode jubilatoire les bases du judo social : utiliser la force de son adversaire. On se surprend presque à en attendre avec impatience une suite qui relaterait, par exemple, la projection du film dans une réunion du Medef en présence d’Emmanuel Macron.

Merci patron! de François Ruffin, France, 1h30. Sortie le 24 février 2016. Site Ulule du film.

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Sylvain Lefèvre

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