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[Critique] “Mary Queen of Scots”, beau film historique et hanté

[Critique] “Mary Queen of Scots”, beau film historique et hanté

09 November 2014 | PAR Olivia Leboyer

Mary Queen 2

Figure mystérieuse et tragique, Mary Stuart fascine naturellement. Loin de tout excès démonstratif, le suisse Thomas Imbach choisit l’épure, la suggestion. Un portrait tout en finesse, qui révèle une formidable actrice, la franco-anglaise Camille Rutherford. En salles le 12 novembre.

[rating=4]

Oui, on aurait pu réaliser un film sur Mary Stuart plein de bruit et de fureur, tape-à-l’œil et édifiant. Mais Thomas Imbach a préféré éviter la facilité, le spectaculaire (le petit budget, s’il est une contrainte, sert finalement le film), pour se concentrer sur Mary, figure paradoxale et maudite. Née en écosse, une semaine avant la mort de son père Jacques V, la petite Mary devient reine sous la régence de sa mère, Marie de Guise (Joana Preiss). Le royaume est troublé, et la mère exile sa fille, promise au dauphin de France. Reine de France, Mary le restera un an, car son époux meurt d’un accident de chasse. Un royaume de perdu, mais ce ne sera pas la seule perte dont Mary souffrira…

L’exil hante véritablement Mary, qui ne cesse de revendiquer son trône d’Ecosse, occupé par sa cousine Elisabeth. Thomas Imbach suit Stefan Zweig en centrant tout le film sur la rivalité faite d’amour et d’envie entre Mary et le souvenir diffus, l’image d’Elisabeth, éternelle absente. Jamais les deux cousines ne se parleront directement durant les deux heures du film : en revanche, Mary déroule les rubans de sa mémoire au fil de « lettres non envoyées » à sa cousine. Relation imaginaire, à sens unique, pour cette reine qui n’en est pas vraiment une. L’autorité de Mary, sans cesse contestée, l’oblige à s’affirmer et à prendre position, notamment sur les questions religieuses. Après la mort du Roi de France et la perte de ce royaume, la jeune femme fera encore deux mariages malheureux. L’un en épousant un jeune lord infatué et va-t’en-guerre, Lord Darnley, dont elle aura un fils. L’autre en s’éprenant, elle la catholique, d’un protestant, Bothwell. Mary aurait, d’ailleurs, commandité le meurtre de son second mari, pour être libre de convoler à nouveau. Et, surtout, pour venger la mort de son favori, Rizzio (Mehdi Dehbi, excellent), assassiné par Lord Darnley.

Thomas Imbach nous invite à suivre ces péripéties cruelles, sauvages, en une évocation funèbre et douce, où les époques s’entrecroisent subtilement. Par instants, Mary nous apparaît dans son cachot français, dans l’attente de sa décapitation : nous la voyons épuisée, hagarde, mais encore jeune et belle, comme figée dans un interminable temps arrêté. L’effet est très réussi. Mary a été décapitée à 45 ans mais, d’une certaine manière, elle est morte dès sa captivité, donc à seulement 27 ans.

Cette temporalité flottante, étirée comme un cauchemar, est bien rendue. Loin de toute esbrouffe, Thomas Imbach filme les visages et les paysages brumeux, étiolés. De loin, les relations les plus intenses de Mary sont celles qu’elle entretient avec les absents, ou les morts : sa mère, sa cousine Elisabeth, le fantôme de Rizzio. Dans ce rôle monumental, la jeune Camille Rutherford est prodigieuse de naturel, de puissance et d’allure (et quel plaisir d’apercevoir, fugitivement, notre Stephan Eicher adoré en Henri II !).

Un film historique et intimiste, au charme certain.

Mary Queen of Scots, de Thomas Imbach, d’après Marie Stuart de Stefan Zweig, France-Suisse, 2h, avec Camille Rutherford, Mehdi Dehbi, Sean Biggerstaffn Aneurin Barnard, Edward Hogg, Tiny Curran, Bruno Todeschini, Roxane Duran, Joana Preiss, Stephan Eicher. Sortie le 12 novembre 2014.

visuels: affiche, photo et bande annonce officielles du film.

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

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