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[Critique] Live By Night : Le polar glamour de Ben Affleck qui manque de verve

[Critique] Live By Night : Le polar glamour de Ben Affleck qui manque de verve

18 January 2017 | PAR Joanna Wadel

live-by-night-ben-affleckPour son quatrième long-métrage en tant que réalisateur, Ben Affleck opte pour un genre extrêmement prisé du cinéma Hollywoodien, le traditionnel film de gangster d’époque prohibitionniste. Un fantasme éculé mais surtout un registre dans lequel il est difficile d’innover, ce que Live By Night manque de faire en focalisant son scénario sur des éléments classiques, écartant les quelques bonnes idées qui auraient méritées d’être développées. Un film policé d’où rien ne dépasse, à l’image de la partie du roman de Dennis Lehane (Shutter Island) qu’il adapte, porté par un héros arrangeant auquel on s’attache peu, et qui ne montre finalement que la face connue d’un décor pourtant bien riche.

[rating=3]

Synopsis officiel :

« Boston, dans les années 20. Malgré la Prohibition, l’alcool coule à flot dans les bars clandestins tenus par la mafia et il suffit d’un peu d’ambition et d’audace pour se faire une place au soleil. Fils du chef de la police de Boston, Joe Coughlin a rejeté depuis longtemps l’éducation très stricte de son père pour mener une vie de criminel. Pourtant, même chez les voyous, il existe un code d’honneur que Joe n’hésite pas à bafouer : il se met à dos un puissant caïd en lui volant son argent et sa petite amie. Sa liaison passionnelle ne tarde pas à provoquer le chaos. Entre vengeance, trahisons et ambitions contrariées, Joe quittera Boston pour s’imposer au sein de la mafia de Tampa… »

Loin d’être médiocre, Live By Night offre au spectateur un départ en grande pompes, nous entraînant avec dynamisme et une once d’humour noir dans l’univers violent de la pègre New-Yorkaise à l’époque de la prohibition, où les victimes sont autant des femmes que des hommes, égorgées, mitraillées à toutes heures, car, comme nous l’explique Ben Affleck en voix-off, rien ni personne ne résiste à cette vague de criminalité qui s’est emparée des villes suite à la Grande Guerre et à la paupérisation de cette population brassée dans de nombreux quartiers. Si cette ouverture témoigne d’un certain bagou, qui charme aussi par son visuel, certes trop lisse et lumineux pour susciter un engouement débordant, mais avec assez de recadrages et de style pour être immersif, live-by-night-ben-affleckBen Affleck retombe bien vite dans les travers d’une “glamourisation” des sujets, s’encombrant de romances accessoires qui amoindrissent le rôle des personnages féminins de premier plan (Sienna Miller et Zoe Saldana), des amours destinées sans doute à valoriser le côté humain et cœur tendre d’un héros « bon gars malgré lui », ayant fait de mauvais choix et contraint d’en assumer les conséquences. En endossant l’éternel costume du gentil séducteur dupé et de l’amant condamné à finir ce qu’il a commencer pour entamer une nouvelle vie, Ben Affleck flatte certes son ego, mais oriente surtout son récit dans les contrées rebattues du mélodrame historique à l’américaine qui s’étale souvent sur plusieurs générations et dilue les enjeux de son contexte, présenté non plus comme un moteur scénaristique mais une simple toile de fond.

Ce qui ne fonctionne que partiellement avec la prohibition et le banditisme des années 20-30, qui nécessitent quelques rebondissements et plus d’implication dans les différents aspects abordés, qui reposent avant tout sur un contexte politique et social particulier. Live By Night nous gratifie tout de même d’une photographie de qualité et d’un panorama assez varié des paysages de l’Amérique des Années folles, allant des métropoles modernes de la côte est, au fief du trafic de rhum en Floride et ses couchers de soleil sur le Bayou, ses musiques Cubaines, ses forêts ornées de mousse espagnole et sa douceur de vivre. Quelques bonnes surprises sont à retenir comme une course poursuite tumultueuse, à la mise en scène subjective, digne des films d’action modernes en voitures anciennes.

live-by-night-ben-affleckMises à part ces qualités indéniables, le film souffre d’un cruel manque d’audace et se contente de ne pas faire de faute de goût, restant au seuil de la verve qu’il aurait fallu pour traiter ce genre de sujet, qu’il survole sans sillonner. Présentant quelques angles qui auraient pu s’avérer fructueux notamment celui de l’instrumentalisation de la chrétienté, via Loretta Figgis (la troublante Elle Fanning), et de son rôle économique comme politique dans la prohibition, du glissement d’une économie de l’alcool à celle du tripot, Live By Night n’exploite que partiellement ses matières premières dont il pourrait faire meilleur usage et qu’il se contente d’utiliser comme ressorts, préférant axer son scénario sur le destin prévisible du héros et les conséquences de ses choix et de ses actes pour en tirer une morale résignée, généraliste, très classique sur ce type de vie et ce qu’il implique : vivre dans l’ombre. S’il est vrai que les imprévus ne manquent pas et que chaque pan de ce tableau est traité avec justesse, on ne peut s’ôter de l’esprit cette impression paradoxale de rester sur sa faim et d’être entrés un peu à notre insu dans un catalogue de mode Art Déco plutôt que dans un thriller haletant, balancés entre une guerre de gangs et la chronique d’un truand justicier qui assiste à la fin de la prohibition et tente de tirer son épingle d’un jeu bien connu.

Entre polar et chronique historique, Live By Night fait finalement dans la demi-mesure et relègue au second plan, celui de la reconstitution et de la légitimation du contexte historique, ce qu’il aurait pu exploiter au premier. Bien qu’apportant quelques ingrédients peu illustrés par le genre, Ben Affleck n’actualise en rien la représentation populaire de la prohibition, qu’il ne contribue pas à faire évoluer. On regrette alors qu’avec de tels moyens et une écriture qui ne manque pas de qualités et d’implication, Affleck n’ai pas plutôt orienté son film du côté de récents exemples comme le très bon Des hommes sans loi de John Hillcoat, qui plongeait réellement au cœur de l’ultra-violence de la prohibition dans les états du sud, et en proposait une vision on ne peut plus brute et sanglante que celle de Live By Night. Une version consensuelle du roman d’origine qui cite, évoque, sans prendre de risques pour rester convenable et se contenter de ses acquis. Live By Night manque définitivement d’aspérités et de noirceur, et finit par passer, face à de brillantes adaptations comme Les Sentiers de la perdition, pour un film de gangster esthétique sur papier glacé, qui n’a de nuit que le nom. Dommage.

Visuels : Live By Night © Warner Bros. France

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Joanna Wadel

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