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[Critique] “Le soleil brille pour tout le monde”, un John Ford rayonnant d’humanité

[Critique] “Le soleil brille pour tout le monde”, un John Ford rayonnant d’humanité

14 June 2014 | PAR Olivia Leboyer

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Ce film de John Ford (La Prisonnière du désert, ou le superbe L’Homme qui tua Liberty Valance) n’est pas le plus connu : tourné avec des moyens modestes, il diffuse une belle chaleur humaine et nous émeut avec force. A découvrir dès le 18 juin.

[rating=5]

Ce « petit » John Ford est absolument imparable : sous une apparente simplicité, avec ses grands thèmes universels, le film possède une force d’évocation extraordinaire. L’humour et les sujets graves, les valeurs patriotiques et la vie des petites gens, le grotesque et le sublime : John Ford mêle avec finesse tous ces contraires.

La scène d’ouverture nous présente le Juge Priest (Charles Winninger), bonhomme rondouillard et rubicond, qui prête tout d’abord à sourire. Au saut du lit, ce juge se précipite sur sa fiole de whisky, avant de somnoler tranquillement au tribunal, durant les plaidoiries routinières. En apparence, un homme tranquille, sans envergure particulière. Nous sommes dans une petite ville du Kentucky, dans le Sud des Etats-Unis, en 1905. La Guerre de Sécession a laissé des traces et la question du statut des Noirs est loin d’être réglée. Le Juge et ses anciens compagnons d’armes, très soudés, semblent les représentants d’un temps disparu. Sudistes convaincus, un peu paternalistes, ces hommes anti-modernes sont néanmoins pétris d’un amour de la justice et d’un solide sens commun. John Ford croque avec bonheur cette galerie de personnages insolites (jusqu’au ramasseur de chiens local !). Dans la bourgade, tout le monde aime bien ce vieux juge, sans toutefois le prendre très au sérieux. Un beau jour, alors que Priest est en pleine campagne pour sa réélection, une injustice se produit : un jeune Noir, accusé de viol, est sur le point d’être lynché. Les caractères se révèlent.

Un homme ordinaire qui se transcende aux moments décisifs (l’inverse du Lord Jim de Joseph Conrad : un héros qui flanche à l’instant décisif), il y a là matière à un grand film. Charles Winninger incarne à merveille ce Juge Priest qui passe, d’une seconde à l’autre, de bon bougre à orateur incroyablement inspiré. Priest et son domestique Jeff (Stepin Fetchit) entretiennent une réelle complicité, nourrie de respect mutuel. Constamment, l’émotion est soutenue par un humour irrésistible : le courage et l’intégrité du Juge doivent notamment leur qualité d’expression au whisky (qui fait “repartir le coeur”) ! L’hymne à la justice et l’hymne à la boisson sont joliment couplés, tandis que le puritanisme des vieilles filles du coin (inénarrable party thématique « limonade et fraise » !), le racisme latent de certains, l’obsession de la respectabilité sont moqués avec verve. Une histoire d’amour se profile en effet entre un jeune fils prodigue, revenu de ses erreurs, et une jeune femme qui découvre que sa mère a dû se prostituer. Là encore, les bonnes mœurs seraient mal avisées de juger : avec cœur, le valeureux juge Priest délivre sa morale, droite mais souple.

Humaniste et sobre, Le soleil brille pour tout le monde parvient, tout en douceur, à nous bouleverser.

Le soleil brille pour tout le monde (The sun shines bright), de John Ford, USA, 1953, 1h40, avec Charles Winninger, Arleen Whelan, John Russell, Stepin Fetchit, Russell Simpson, Ludwig Stössel, Francis Ford. Sortie en version restaurée le 18 juin 2014.

visuels: photo et affiche officielles du film.

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

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