A l'affiche
[Critique] « Le Prix à Payer » d’Harold Crooks, documentaire alarmant sur l’évasion fiscale et les paradis fiscaux

[Critique] « Le Prix à Payer » d’Harold Crooks, documentaire alarmant sur l’évasion fiscale et les paradis fiscaux

07 February 2015 | PAR Gilles Herail

Documentaire donnant la parole à des intellectuels reconnus et aux anciennes parties prenantes du système d’évasion fiscale légale, Le Prix A Payer fait froid dans le dos tout en cherchant une issue positive. Harold Crooks use de pédagogie à travers une construction intelligente qui permet d’expliquer la complexité d’un système et de ses conséquences délétères sur la démocratie. Un film essentiel.

[rating=5]

Synopsis officiel: L’évasion fiscale à grande échelle, telle que les géants de la nouvelle économie la pratiquent, creuse l’écart des revenus entre les privilégiés et le reste du monde, appauvrit les classes moyennes, et affaiblit les fondations de nos sociétés. Et si le prix à payer était la mort des démocraties ?

Le thème des paradis fiscaux et de l’optimisation fiscale ne semble pas nouveau. Une ritournelle dont tout le monde a vaguement conscience, apparaissant comme un dommage collatéral néfaste mais inéluctable de la mondialisation. Le réalisateur Harold Crooks répond de la meilleure des manières à cette résignation rampante en défendant un argument qui sera le fil rouge de son documentaire. L’impunité fiscale n’est pas seulement immorale, elle met surtout en danger les bases mêmes de nos démocraties. Il y avait matière à s’égarer dans de longues digressions mais le travail de montage donne de la cohérence au projet. Allant chercher dans l’histoire les origines de cet espace international de non-droit qui bénéficie aux très grandes entreprises. Le Prix à Payer convoque des historiens, des économistes, des philosophes, des associatifs et d’anciennes parties prenantes de ce système bien huilé pour donner du fond à son analyse. Car le film ne parle pas de fraude fiscale mais de processus légaux et de flous juridiques qui permettent aux plus malins d’éviter quasiment toute taxation. Les entreprises et les très grandes fortunes ne font que s’engouffrer dans des failles qui n’ont pas été créées et maintenues par hasard.

Avec beaucoup d’humour, Harold Crooks s’amuse du sentiment d’impunité affiché maladroitement par les organismes incriminés lors de savoureuses auditions au parlement britannique. Les députés de la chambre les invectivent, les poussent dans leurs retranchements, mais n’obtiennent qu’une seule et même réponse. Tout ceci est parfaitement légal. L’ambition n’est pas d’attaquer telle ou telle entreprise, mais des gouvernements et des Etats qui ont encouragé la mobilité absolue de l’argent, sans réussir à la contrôler. La City de Londres et les territoires liés au Royaume-Uni (Bermudes, Caimans, Jersey et cie) sont en première ligne. Car toute l’histoire part de là. L’absence de contrainte juridique permise par les statuts de ces territoires spécifiques a lancé le mouvement, suivi depuis par d’autres. Les petits arrangements britanniques permettaient l’impunité fiscale de grandes fortunes. Mais l’accélération de la mondialisation et les nouvelles règles de la production de valeur ont permis aux entreprises de massifier le phénomène. Ne payant d’impôts quasiment nulle part car la valeur ajoutée se retrouve diluée dans des centaines de filiales factices localisées à l’étranger.

Les chiffres cités sont assourdissants. Le manque à gagner pour les Etats est énorme et les pays du Sud en souffrent tout particulièrement. Mais au delà des chiffres, c’est le pacte social même qui est en jeu. Les inégalités de revenus ont explosé dans les dernières décennies alors qu’elles avaient auparavant tendance à diminuer. L’Etat Providence est en recul partout et l’imposition des classes moyennes et populaires augmente, rendant l’impunité de certains encore plus insupportable. Le Prix à Payer n’utilise pas un ton faussement polémique ou agressif et sait distiller de la légèreté, de l’humour et de l’espoir. La symbolique est parfois appuyée mais l’on pardonne facilement ces quelques excès. Car l’effort pédagogique est une réussite totale. Donnant assez de clefs pour comprendre les enjeux et l’interconnexion entre les thèmes. Et insistant surtout sur la réversibilité de la tendance. La décision est politique, internationale et locale. Le maintien du pacte fiscal nécessite de la créativité, une manière différente de penser l’impôt et la taxation de richesse dans le cadre d’une économie numérique employant peu et ne créant pas de valeur ajoutée là où elle stocke ses serveurs. Beaucoup d’idées, de faits, d’explications, d’analyses, de réflexion. Un documentaire alarmant mais essentiel qui mérite une large diffusion.

Gilles Hérail

Le Prix à Payer, un documentaire Canadien de Harold Crooks, durée 1H33, sortie le 4 février 2015

Bande-annonce et visuels officiels.

Mort d’André Brink : la littérature mondiale orpheline d’un grand Monsieur
[Critique] « Papa ou Maman » Laurent Lafitte et Marina Fois dans une féroce comédie d’amour vache
Gilles Herail

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration