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[Critique] Jodorowsky’s Dune

[Critique] Jodorowsky’s Dune

01 March 2016 | PAR La Rédaction

A ne pas manquer. Un documentaire unique de Franck Pavich sur l’un des projets avortés les plus fous et les plus cultes de l’histoire du cinéma : l’adaptation au grand écran de Dune, le best-seller de Franck Herbert, par Alejandro Jodorowsky. L’histoire vraie d’un délire artistique qui, par-delà l’anecdotique et la restitution de l’atmosphère habitée de toute une époque, invite à une réflexion sur ce qu’est la création, et sur son devenir.

[rating=4]

« Jodorowsky’s Dune », documentaire de Franck Pavich, retrace l’épopée de ce qui constitue sans doute, avec le « Quichotte » de Terry Gilliam, l’un des plus fameux ratés de l’histoire du cinéma : l’adaptation de « Dune », le roman best-seller de science-fiction de Franck Herbert, par Alejandro Jodorowsky.

En 1974, Alejandro Jodorowsky a 45 ans. Avec 3 longs métrages à son actif (Fando et Lis, La Montagne sacrée et El Topo), tous plus étranges, mystiques et provocateurs les uns que les autres, il s’est déjà imposé comme un réalisateur culte.

Le producteur français Michel Seydoux lui donne alors carte blanche pour réaliser ce qu’il veut. Sans réfléchir, et sans avoir lu le livre non plus, Jodorowsky propose d’adapter « Dune », le cycle de SF le plus vendu au monde depuis sa sortie en 1965.
C’est le départ d’une quête spiritualo-artistique qui conduira à l’impasse.
D’emblée, Jodo place la barre assez haut puisqu’il veut que son film soit « un nouveau Dieu ». Rien de plus. Rien de moins non plus.

Auto-investi de cette mission de démiurge, il se met en quête de ses « spiritual warriors ». Commence alors une moisson de personnalités cultes, un casting à la mesure (ou démesure) du projet, dont la réalisation est tissée d’anecdotes délirantes.
La direction artistique sera assurée par Moebius (dessinateur de Blueberry et de l’Incal), Dan O’Bannon, Hans-Ruedi Giger et Chris Foss (qui s’illustreront ensuite dans Star Wars, Allien, Blade Runner ou Total Recall).
Magma et les Pink Floyds (que Jodo a commencé par engueuler) signeront la BO.

Côté acteurs, c’est aussi le top.
Orson Welles accepte de jouer le Baron Harkonnen contre la promesse que, sur le tournage, le catering soit assuré pour lui par son Chef parisien préféré.
Salvador Dali jouera l’Empereur Shaddam IV contre le double engagement d’être payé 100000 dollars par minute de présence à l’écran et que sa compagne, Amanda Lear, incarne la Princesse Irulan.
David Carradine accepte de jouer Leto Atréides (après avoir ingurgité d’un coup une pleine boîte de cachets de vitamine C dans l’euphorie du moment).
Mais, pour les besoins du casting, Jodo n’hésite pas à aller plus loin : sacrifier son propre fils, âgé de 12 ans à l’époque…
Il le destine au rôle principal de Paul Atréides. Pour le préparer, il lui impose 6 heures d’entraînement par jour pendant 2 ans avec un maître d’arts martiaux…
C’est que, pour Jodo, rien n’est trop beau pour « Dune ». Il se comporte en véritable gourou.
C’est cette atmosphère de bouillonnement créatif, inspiré et illuminé que rend parfaitement le documentaire de Franck Pavich.

Sans longueur, servi par une superbe bande son et des interviews parfaitement calibrés des principaux protagonistes, c’est plus largement l’esprit de toute une époque qu’il parvient à restituer, celui du milieu des années 70, où l’élan psychédélique de 68 vient s’échouer sur la réalité économique d’une crise annoncée…
Car c’est bien le réalisme économique qui aura raison du projet.
Effrayés par la personnalité de Jodo, les grands studios hollywoodiens refusent de compléter le financement du projet qui n’a cessé de s’envoler depuis son lancement. Le film ne se fera jamais.
Il aura pourtant été fécond. C’est sur ce projet que se sont rencontrés Moebius, O’Bannon, Giger et Foss qui collaboreront à tous les blockbusters hollywoodiens de SF qui suivront, à commencer par Star Wars.

Plus globalement, le « Dune » de Jodo a inspiré une bonne part de l’imaginaire SF d’Hollywood.
Ce qui pose toute la question de la nature de la création et de son processus. En l’occurrence, une œuvre avortée aura enfanté, dans un processus de création collectif fonctionnant par émulation diffusion et imprégnation.
Ce qui porte aussi à une réflexion sur l’état de la création aujourd’hui.
La démarche de Jodo était absolue, sans concession. Elle aurait accouché d’un monstre d’une durée de 12 à 20h… Trop folle, même pour une époque folle, elle s’est heurtée au réalisme du marché.

Sans pousser jusqu’à la caricature jodorowskyenne, Michel Seydoux observe toutefois dans le documentaire qu’aucune grande œuvre ne se fait sans au moins « une pointe » de folie.
Mais cette pointe, où est-elle aujourd’hui ? Le sort de « Dune » n’a-t-il pas préfiguré celui de tout ou partie du cinéma dans son ensemble ? Au spectateur d’en juger…

Jodorowsky’s Dune, de Frank Pavich, 2013, documentaire de 90mn, Nour Films, sortie le 16 mars 2016

Jodorowsky’s Dune – Film-annonce from Nour Films on Vimeo.

Antoine Buéno

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La Rédaction

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