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[Critique] “Jacky au Royaume des filles”: domination féminine, inversion et autres complications

[Critique] “Jacky au Royaume des filles”: domination féminine, inversion et autres complications

24 December 2013 | PAR Olivia Leboyer

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Après Les beaux gosses (2009), Riad Sattouf explore un autre microcosme que le collège, encore plus absurde et cruel : une dictature. De nouveau, il s’agit de mettre à mal les stéréotypes et les identités figées. Ici, les identités sexuelles prennent un sérieux coup. Un film très maîtrisé, cathartique et réjouissant. Sortie le 29 janvier 2014.

[rating=4]

Le titre sonne un peu comme un conte pour enfants. C’est d’ailleurs le mythe de Cendrillon qui a donné envie à Riad Sattouf de réaliser cette drôle de parabole sur l’inversion des sexes. Dans un univers très codifié, très corseté, imaginons une histoire similaire, en changeant la perspective. Au royaume imaginaire de Bubune, ce sont donc les femmes qui jouissent du pouvoir et de toutes les prérogatives. Soustraits à la concupiscence ambiante par des « voileries » (hybride de voile islamique, d’habit de nonne, et de drap orange bouddhiste), les hommes cultivent, à l’inverse, les valeurs de douceur et de soumission. Le beau sexe, c’est eux. De manière plaisante, on voit des femmes fortes, viriles, sanglées dans des uniformes militaires, tandis que les hommes, courbés sous leurs voileries, se maquillent et se coiffent avec soin. Cette séparation stricte entre les sexes répond à l’organisation, évidemment absurde, d’une dictature comme on les connaît. La domination d’une partie de la population sur l’autre, l’oppression des pauvres, le règne de la pensée unique… tout cela est savamment orchestré par la générale, incarnée par une Anémone glaçante. Or, cette dictatrice sans pitié a pour fille une très charmante colonelle, nettement plus souple (Charlotte Gainsbourg, belle à tomber en uniforme).

A l’annonce du grand Bal de la Bubunerie, le jeune et séduisant Jacky (Vincent Lacoste, délicat et androgyne à souhait), ne rêve plus que d’une chose : être choisi par la colonelle. Si le film est drôle, il distille aussi quelque chose d’inquiétant, d’assez noir. Toute domination unilatérale engendre, inévitablement, la mesquinerie (irrésistible Didier Bourdon en Père poule), l’envie, le refoulement. La violence, le viol, ne sont pas dans la nature des seuls hommes, mais résultent bien de la position inégalitaire. Et la bêtise, le conformisme règnent souvent en maîtres au sein des populations assujetties. Comme dans tout régime totalitaire, le pouvoir s’infiltre jusque dans les mots, qui sont ici féminisés. L’invention verbale se double de l’invention d’une religion fondée sur le culte des petits poneys magiques.

Mais Jacky au Royaume des filles est avant tout une comédie sentimentale : voir Charlotte Gainsbourg fixer effrontément Vincent Lacoste en lançant : « Comme c’est charmant, la timidité ! », est absolument délicieux.

Le principe d’inversion sexuelle fonctionne à plein, en de jolies scènes de travestissements obligés pour forcer l’entrée du Palais : on obtient quelque chose comme un homme déguisé en femme habillée en homme… En homme prostitué(e) homosexuel(le), Michel Hazanavicius rayonne de sex appeal, naviguant entre les genres. La belle Laure Marsac, quant à elle, campe ici un ouvrier à la Jean Gabin. Sans cesse, le rire et la noirceur se mêlent : la scène du Bal, où Charlotte Gainsbourg se trouve cernée par des hommes tendant fébrilement leur laisse de soumission, est à la fois belle et terrifiante.

Ces identités sexuelles troublées confèrent au film un charme et une liberté de ton très rafraîchissantes.

Jacky au royaume des filles, de Riad Sattouf, France, 1h30, avec Vincent Lacoste, Charlotte Gainsbourg, Didier Bourdon, Anémone, Valérie Bonneton, Michel Hazanavicius, Noémie Lvovsky, Laure Marsac, William Lebghil, Anthony Sonigo. Sortie le 29 janvier 2014.

visuels: affiche, photo et bande annonce officielles du film.

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

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