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[Critique] du film « Voir du pays » Ariane Labed et Soko face au trauma de la guerre

[Critique] du film « Voir du pays » Ariane Labed et Soko face au trauma de la guerre

11 September 2016 | PAR Gilles Herail

Voir du pays est d’une richesse thématique rare, évoquant à la fois la gestion des traumatismes de guerre et la place des femmes dans l’armée. Ariane Labed (Fidélio, l’odyssée d’Alice) et Soko habitent intensément cette chronique passionnante du retour au pays après avoir été plongé dans l’horreur. Un parfait complément au film danois A War qui témoignait également de la guerre moderne dans ce qu’elle a de plus intime. (Retrouver également ici notre critique cannoise)

[rating=4]

Extrait du synopsis officiel : Deux jeunes militaires, Aurore et Marine, reviennent d’Afghanistan. Avec leur section, elles vont passer trois jours à Chypre, dans un hôtel cinq étoiles, au milieu des touristes en vacances, pour ce que l’armée appelle un sas de décompression, où on va les aider à « oublier la guerre ». Mais on ne se libère pas de la violence si facilement…

Voir du pays s’inscrit dans la nouvelle école du film de guerre, qui s’éloigne du grand spectacle pour sonder la face cachée   intime des conflits modernes et le quotidien des soldats de métiers (On vous recommande chaudement le film danois A War, sorti l’année dernière). Delphine et Muriel Coulin (17 filles) ont choisi un espace-temps singulier pour chroniquer la digestion difficile des traumas de la guerre et le choc du retour au pays après plusieurs mois de mission. Un sas de décompression dans un hôtel balnéaire chypriote, où les soldats sont invités à libérer la parole et à faire part de leurs états-d’âme. Trois jours à mi-chemin entre le front et le retour à la vie civile, où le groupe va devoir affronter des souvenirs occultés et des non-dits tabous. Cette séance de psychologie collective va prendre la forme d’un exercice de mémoire immersive, mobilisant des outils de réalité virtuelle pour replonger les soldats dans leurs souvenirs les plus violents. Ces images qui hantent (déjà évoquées dans American Sniper) et sont le symptôme de troubles post-traumatiques profonds pouvant mettre en danger la réintégration sociale des soldats.

Muriel et Delphine Coulin ont construit leur film comme un thriller psychologique, aussi sérieux dans son approche sociologique que tendu dans sa description d’une violence qui peut surgir à tout moment. Un huit-clos où chacun réagit différemment face à ce passage obligé qui les force à verbaliser, montrer leurs failles, assumer une part de fragilité et la nécessité d’être accompagné. Les réalisatrices ajoutent à cette thématique passionnante d’autres sous-textes qui complexifient leur propos. Le choix de Chypre n’a rien anodin, utilisant la symbolique d’un territoire historiquement disputé, divisé ethniquement et religieusement, aujourd’hui au cœur des débats sur la politique migratoire européenne. Voir du pays évoque aussi la question de l’égalité des sexes dans l’armée. A travers le portrait de deux femmes soldats, interprétées par Soko et Ariane Labed (qui faisait déjà face au monde masculin de la marine marchande dans Fidelio l’odyssée d’Alice). L’agressivité et l’instabilité émotionnelle héritées des mois passés en opération s’ajoutent alors au sexisme ordinaire et à l’épée de Damoclès des violences sexuelles qui plane tout au long du film. Les dernières séquences emmènent le récit vers une guerre des genres peut-être trop frontale, oubliant la précision psychologique du reste. Mais Voir du pays séduit par sa maîtrise, son étonnante richesse thématique et son ambition de parler de problématiques difficiles sans taire leur complexité.

Gilles Hérail

Voir du pays, un drame français de Delphine Coulin et Muriel Coulin avec Soko, Ariane Labed, et Ginger Romàn, durée 1h42, sortie le 07/09/2016

Visuels : © affiche et bande-annonce officielles du film

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Gilles Herail

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