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[Critique] du film « Loving » Jeff Nichols filme l’amour ségrégué

[Critique] du film « Loving » Jeff Nichols filme l’amour ségrégué

19 February 2017 | PAR Gilles Herail

Jeff Nichols signe un film intense mais serein sur le destin d’un couple interracial de la Virginie ségrégationniste des années 50. Loving mêle la petite histoire (la tendresse et la simplicité d’un couple de petite classe moyenne) et la grande (une affaire judiciaire clef dans la lutte pour les droits civils) avec énormément de justesse. Un témoignage historique passionnant et un récit humain poignant. Notre critique. 

[rating=4]

Extrait du synopsis officiel : Mildred et Richard Loving s’aiment et décident de se marier. Rien de plus naturel – sauf qu’il est blanc et qu’elle est noire dans l’Amérique ségrégationniste de 1958. L’État de Virginie où les Loving ont décidé de s’installer les poursuit en justice : le couple est condamné à une peine de prison, avec suspension de la sentence à condition qu’il quitte l’État. Considérant qu’il s’agit d’une violation de leurs droits civiques, Richard et Mildred portent leur affaire devant les tribunaux. Ils iront jusqu’à la Cour Suprême qui, en 1967, casse la décision de la Virginie. Désormais, l’arrêt “Loving v. Virginia” symbolise le droit de s’aimer pour tous, sans aucune distinction d’origine.

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Jeff Nichols (Take Shelter, Mud, Midnight Special) a choisi de nous raconter le destin individuel qui se cache derrière une affaire judiciaire clef du mouvement des droits civiques. Apportant une humanité et des visages aux époux “Loving”, dont le nom est associé à une jurisprudence historique de la Cour Suprême qui mit fin aux législations anti mariage mixte aux États-Unis. Loving est ainsi le véritable patronyme de ce couple de petite classe moyenne du Sud des Etats Unis qui entrera, malgré lui, dans l’Histoire de la lutte contre la ségrégation. Un homme blanc, ouvrier du bâtiment, un peu taiseux (Joel Edgerton). Une femme au foyer, noire, d’une étonnante solidité, profondément attachée à sa Virginie natale (magnifique Ruth Negga). Un couple simple, sans histoires, finalement assez traditionnel, qui brise cependant par sa seule existence un des grands tabous de la nation américaine : le mariage mixte.

Une union interraciale, célébrée en catimini dans un autre Etat, qui représente une transgression ultime pour l’Amérique de l’époque et va faire d’eux un symbole à détruire, pour l’exemple. La police débarque en pleine nuit. Arrestation. Nuit au poste. Et décision de justice d’une incroyable cruauté. Un deal offrant l’annulation d’une peine d’un an de prison ferme contre un exil forcé de 25 ans loin des paysages qui les ont vu naître, de leurs proches et leurs familles. Un destin tragique que Jeff Nichols traite avec un lyrisme discret et beaucoup d’humanité. Loving n’est pas un feel good et ne cherche pas désespérément à faire de ses personnages des héros flamboyants. La force du couple vient au contraire de cette réserve, cette simplicité, cette évidence tranquille qui contraste avec l’ampleur politique et médiatique que prend petit à petit leur affaire.

Un couple profondément amoureux, plein de tendresse, malgré des doutes et des moments de distance. Loving n’est pas seulement le récit du combat judiciaire entre un Etat raciste et deux de ses citoyens. C’est aussi l’histoire d’une femme au foyer discrète qui cache en elle d’incroyables capacités de résilience et ne baissera jamais les bras pour faire casser la décision honteuse dont elle est victime. Une épouse faussement effacée qui va savoir prendre des décisions, accepter d’entrer dans la lumière pour donner une portée médiatique et politique à sa situation afin de pouvoir élever dignement ses enfants dans des terres rurales auxquelles elle est profondément attachée. Aux côtés de son mari timide, un peu bourru, qui a osé faire le choix, par amour, de mettre en danger son anonymat. Un monsieur tout le monde qui ne remettra jamais en cause un mariage qui attire pourtant sur lui une attention qu’il fuit par dessus tout.

Loving,nous raconte tout ça, avec une infinie justesse et une pudeur qui ne transige jamais avec la dignité de ses personnages. Un mélo historique sobre, très pur, conscient mais apaisé, qui confirme les talents de Jeff Nichols et en raconte beaucoup sur la société américaine d’aujourd’hui. Nous rappelant que l’idéal d’une Amérique post-raciale, symbolisée par l’élection d’Obama et abîmée par celle de Trump, devra affronter encore longtemps l’héritage de plusieurs siècles de haine institutionnalisée de la communauté afro-américaine.

Gilles Hérail

Loving,un drame américaine de Jeff Nichols avec Joel Edgerton et Ruth Negga,  durée 2h03, sortie le 15/02/2017

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