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[Critique] du film « 600 euros » Adnane Tragha explore le rapport de la jeunesse au politique

[Critique] du film « 600 euros » Adnane Tragha explore le rapport de la jeunesse au politique

13 June 2016 | PAR Gilles Herail

Le premier film d’Adnane Tragha se fait l’écho d’une génération urbaine et banlieusarde précarisée, à travers le portraits de jeunes adultes qui partagent leurs aspirations et leurs galères. 600 euros compense ses maladresses et son budget riquiqui par une envie salutaire de parler de conscience politique, qu’elle soit enthousiaste, résignée ou désabusée. Du cinéma ultra contemporain, inscrit dans les questionnements de son époque, et s’attachant à représenter différemment une jeunesse trop souvent caricaturée. Notre critique.

[rating=3]

Extrait du synopsis officiel : Alors que la campagne présidentielle bat son plein, Marco Calderon, qui a longtemps milité, a décidé de ne plus voter. A la fois déçu par la politique et embourbé dans des problèmes d’argent, il tourne peu à peu le dos à notre société.

600 euros est une incroyable histoire de système D, réussissant le tour de force d’un tournage sans budget (20.000€), sans équipe technique (le réalisateur a tourné tout seul) et avec des acteurs non-professionnels. Des conditions très particulières qui se voient bien sûr à l’écran mais donnent au film une grande liberté, s’inscrivant dans une volonté de cinéma indépendant et hors-circuit. Adnane Tragha a choisi la forme du film choral pour traiter son ambitieux sujet : les rapports complexes d’une génération précarisée avec le monde qui les entoure. A travers les portraits croisés de jeunes hommes et femmes plus ou moins insérés, avec différents niveaux de difficultés sociales, financières, familiales ou personnelles. Une jeunesse urbaine et périphérique confrontée à la précarité, la vivant avec espoir, résignation, révolte, ou désillusion. 600 euros a évidemment une ambition de chronique réaliste mais cherche avant tout à questionner la conscience politique de ses personnages, en les confrontant à un instant clef de la vie démocratique française : l’élection présidentielle.

Le réalisateur a filmé la célébration de la victoire de François Hollande à Bastille, reprend des extraits d’émissions radio et télé, cherche en permanence à inscrire les réflexions de ses personnages dans le cadre d’une campagne importante, marquée par le score historique de Marine Lepen et la défaite de Nicolas Sarkozy. Chaque personnage incarne une relation différente au politique : un amateur de boxe militant du front-de-gauche, sa copine qui trouve qu’il passe trop de temps à s’impliquer pour une cause inutile, une jeune étudiante sympathisante d’Hollande, son voisin ex-communiste tenté par le FN qu’elle essaie de ramener à la raison. Et enfin, un musicien en galère qui sert de fil rouge à l’histoire. Un féru de culture militante devenu abstentionniste et désillusionné, ayant perdu le contrôle de sa vie et se retrouvant non loin de la rupture. Les caractérisations et les dialogues sont parfois très schématiques mais on apprécie ce trop rare exercice de traitement d’une actualité proche, à mettre en perspective avec la campagne 2017 qui ne fait que commencer.

600 euros nous parle d’une spirale possible de dépolitisation, d’un discours anti-système alimenté par un sentiment d’abandon, mais surtout d’une conscience très forte du collectif et de la chose publique. Adnane Tragha a souhaité rappeler qu’une partie de la jeunesse vote encore et tente de s’impliquer malgré ses difficultés. Qu’une autre partie ne vote plus non pas par flemme mais par conviction, voire par dégoût. Que les discussions “politiques”, collectives, les idées, les débats, les échanges, existent, avec plus ou moins de codes, mais un intérêt toujours vif, qu’il s’exprime positivement ou négativement. Un espoir, un engagement, voire une culture militante pour certains, qui se cassent les dents sur l’écueil de la réalité mais permettent à un film, souvent très noir, de trouver une forme d’optimisme. L’envie est encore là, naïve, cynique ou en colère, mais bien là. Aux hommes et femmes politiques d’en être à la hauteur.

Gilles Hérail

600 euros, un film de Adnane Tragha avec Adlène Chennine, Lisa Cavazinni et Youssef Diawara, durée 1h25, sortie le 08/06/2016

Visuels : © affiche et bande-annonce officielles du film
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Gilles Herail

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