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[Critique] « Dear White People » de Justin Simien. Satire savante et clairvoyante sur l’importance de l’identité raciale aux Etats-Unis

[Critique] « Dear White People » de Justin Simien. Satire savante et clairvoyante sur l’importance de l’identité raciale aux Etats-Unis

28 March 2015 | PAR Gilles Herail

Dear White People est un film verbeux, une comédie lettrée, savante, satirique et clairvoyante qui exploite parfaitement son sujet polémique tout en gardant beaucoup de fraîcheur. Justin Simien nous donne l’occasion unique d’entrevoir en condensé le caractère toujours aussi incroyablement structurant de l’identité raciale dans les relations sociales aux Etats-Unis. Étonnant et très riche dans son contenu.

[rating=4]

Synopsis officiel: La vie de quatre étudiants noirs dans l‘une des plus prestigieuses facultés américaines, où une soirée à la fois populaire et scandaleuse organisée par des étudiants blancs va créer la polémique. Dear White People est une comédie satirique sur comment être noir dans un monde de blancs.

Dear White People est un pur produit de Sundance où le film a reçu un prix du jury qui lui a permis d’augmenter son exposition. Le film n’a pas connu le succès escompté au box-office américain et est resté confiné aux circuits art et essai des grandes villes. Car Justin Simien n’a pas réalisé un film sucré et rassembleur. Loin de là. L’idée du film vient de ces soirées à thème racistes qui ont essaimé sur certains campus et ont défrayé la chronique aux États-Unis. Des fêtes où les participants venaient “déguisés en noirs” en reprenant les clichés raciaux du début du siècle. Avec l’idée que l’Amérique post-Obama aurait dépassé la question raciale, qui ne serait plus qu’un lointain mauvais souvenir. Le film s’attache à démontrer que la question est au contraire plus que jamais centrale. En ne parlant que de ça, tout le temps, à chaque scène. Ultra verbeux, le script enchaîne les réflexions amusantes, joue sur les mots, les concepts. Dans des joutes oratoires très écrites, pleines d’acidité qui s’interrogent en permanence sur les stéréotypes, les rapports d’oppression. Qui mobilisent des connaissances historiques et se battent à coup de références à la culture populaire. La mise en scène crée une atmosphère très théâtrale et l’humeur n’est pas au réalisme social. Le jeu des seconds rôles est volontairement outré et chacun s’intègre dans cette galerie de caractères jouant en permanence avec les préjugés tout en les incarnant.

On pense à La crème de la crème de Kim Shapiron pour la satire des cercles des pouvoir des étudiants de grandes universités, leur obsession de se faire remarquer et de se faire un réseau. On se rappelle aussi du Bamboozled de Spike Lee qui parodiait le rôle de l’industrie médiatique dans la perpétuation des stéréotypes raciaux et imaginait le retour du blackface (des acteurs blancs grimés en noir) dans un show télévisé. Dear White People souffre d’une trop grande intelligence dans l’écriture, qui veut tout aborder, tout soupeser, tout détailler, tout citer. Au détriment de l’énergie et du naturel. Mais Justin Simien trouve un peu de légèreté en filmant la vie privée de personnages d’apparence très surs d’eux, qui redeviennent alors des jeunes un peu perdus. Avec des sous-intrigues sentimentales fleur bleue et une forme de candeur rafraîchissante qui interrompt par moment le cirque permanent des débats et des grandes idées. Un public non averti (et non-américain) aura des difficultés pour appréhender tous les enjeux et saisir l’ensemble des références. Mais c’est aussi cette exigence qui rend le film passionnant. Dear White People nous offre une porte d’entrée drôle et savante pour comprendre ce qu’est la question raciale aux États-Unis. Comment elle diffère de nos débats français sur l’immigration et l’identité nationale. Comment elle dicte encore les grilles d’analyse, organise le débat, reste un problème sous-jacent en permanence. Un passionnant condensé d’Amérique.

Gilles Hérail

Une comédie américaine de Justin Simien avec Tyler James Williams, Tessa Thompson et Kyle Gallner, durée 1H48, sortie le 25 mars 2015

A découvrir aussi, Bamboozled de Spike Lee (Very Black Show en titre français):

Visuels et bande-annonce officiels.

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