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[Critique]  “Les bonnes manières”, coup de coeur pour un merveilleux film d’horreur brésilien

[Critique] “Les bonnes manières”, coup de coeur pour un merveilleux film d’horreur brésilien

24 March 2018 | PAR Olivia Leboyer

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Nous avions découvert ce film brésilien à l’automne 2017 à Biarritz (où il a remporté le prix du jury, primé aussi à Locarno et à Gerardmer) : un conte horrifique passionné, inventif, cruel, qui vous happe totalement. Un grand film, à voir absolument (mais fortement déconseillé aux femmes enceintes)

[rating=5]

En 2017, Julia Ducournau nous a offert avec Grave un superbe film d’horreur, nous rappelant à quel point ce genre très codifié permet d’exprimer la profondeur et l’ambiguïté des sentiments.

Ici, les bonnes manières du titre, charmantes et policées, recouvrent des pulsions plus tumultueuses. Construit comme un conte, le film s’ouvre sur Clara, une jeune femme noire, qui pénètre dans un endroit mystérieux : un immeuble de Sao Paulo. Elle postule pour un poste de nounou, d’un bébé à naître. Riche et belle, Ana, la jeune femme enceinte paraît aussi très seule dans son grand appartement. Peu à peu, Clara remarque des modifications étranges dans le comportement d’Ana. Sans dévoiler les événements tournants, typiques de la structure du conte, disons seulement que les deux réalisateurs parviennent à installer un climat d’angoisse latent, très prenant. Dans ce petit monde de femmes, l’intimité et la sensualité vont entrer en jeu.

Comme dans Rosemary’s Baby de Polanski, la grossesse est filmée de manière oppressante. De quoi la mystérieuse Ana est-elle grosse ? As boas maneiras peint avec finesse la part de sauvagerie de l’amour. Ce que l’on aime, ce qui nous terrifie, ce qui nous attire irrésistiblement vers le monstrueux, ces thèmes imprègnent le film, qui suit une pente de plus en plus folle, et parfaitement maîtrisée. Juliana Rojas et Marco Dutra puisent dans les contes de l’enfance, dans les dessins animés de Walt Disney, dans les fables de Brecht ou les opéras, somptueux et tragiques. Très personnel, leur film nous saisit : les deux actrices vibrent d’émotion et de sensualité. Puis, « l’enfant » incarne, lui aussi, des sentiments exacerbés et contradictoires. Ce que l’on voit, ce que l’on cache, aux autres ou à soi-même, ressort soudain avec violence. L’amour et la confiance suffisent-ils à transformer la nature de quelqu’un ? On pense à La Belle et la Bête, au dessin animé japonais Les enfants-loups, même à La Nuit du chasseur. Mais, si les références viennent naturellement, elles n’écrasent jamais le fil du film, qui conserve toute sa singularité.

Une vraie découverte, précieuse.

As boas maneiras, de Juliana Rojas et Marco Dutra, Brésil, 127 minutes, avec Isabel Zuaa, Marjorie Estiano, Miguel Lobo, Cida Moreira. Festival de Biarritz Amérique latine, Sélection officielle. Sortie le 21 mars 2018.

Visuels: photo ©Olivia Leboyer, Festival de Biarritz 2017.

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

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