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[Critique] « Asphalte » : Samuel Benchetrit se fait conteur du normal sublime

[Critique] « Asphalte » : Samuel Benchetrit se fait conteur du normal sublime

29 September 2015 | PAR Kalindi Ramphul

Samuel Benchétrit nous raconte la chute. Puis l’ascension. Tomber et se relever dans les bras d’un inconnu, c’est la proposition d’un réalisateur qui nous laisse émerveillés devant les émotions délicates offertes par des personnages invisibles. Une transparence sublimée par la grâce, la grâce d’une rencontre impromptue. Présenté en séances spéciales au Festival de Cannes, Asphalte marque la cinquième réalisation d’un cinéaste merveilleux. 

Asphalte, c’est l’histoire de six vies qui se croisent. Jeanne, Charly, Sternkowitz et Madame Hamida vivent dans une cité bétonnée d’où semble absente toute forme de bonheur. Tous vivotent une existence revêtue de transparence. Mais dans le néant abyssal de leur vie silencieuse va venir éclore la lumière rassurante de l’amour pudique et de l’amitié délicate. Samuel Benchétrit fait alors le récit de trois rencontres improbables : un ado ignoré et une ancienne actrice, un faux photographe et une infirmière désabusée, une vieille dame et un astronaute américain. C’est baigné dans une lumière salvatrice que les personnages déploient leur certain talent pour l’humanité. Samuel Benchetrit fait une photographie différente de la banlieue. Ni conflit, ni violence mais une émotion douce et subtile, libérée par des comédiens de premier choix : Une Isabelle Huppert lumineuse et plus fragile que jamais, donne la réplique à un Jules Benchétrit enfermé dans l’ennui. Un Gustave Kervern maladroit et romantique s’éprend d’une Valéria Bruni-Tedeschi superbe et un Michaël Pitt esseulé tombe du ciel directement dans l’appartement d’une Tassadit Mandi terriblement émouvante. De leurs rencontres naît une relation sur le fil du rasoir, entre admirations et déceptions. Ce fil tendu semble d’ailleurs trembler du début à la fin et relie tous les personnages. Ce fil, c’est celui de la grâce.

L’élégance du film tient avant tout à son écriture quasi-parfaite. Si Samuel Benchetrit est un comédien et un réalisateur talentueux, il est surtout et avant tout un écrivain confirmé. L’oeuvre réunit d’ailleurs deux de ses “Chroniques de l’asphalte” écrites en 2005, auxquelles il ajoutera une histoire supplémentaire. Si ses deux derniers films “Chez Gino” et “Un voyage” ont été loin de convaincre la critique et le public, Asphalte retrouve le ton poétique du cinéaste extraordinaire de Janis et John. Tout n’est que poésie dans cette proposition cinématographique qui n’a rien perdu du genre auquel il a emprunté son art.

Asphalte est définitivement la proposition la moins bavarde de l’auteur. Les images se substituent désormais aux mots. Les plans séquence s’enchaînent et dominent une mise en scène discrète, toute en humilité, à l’instar des personnalités qu’elle présente. Le silence domine un monde isolé où vivent librement les légendes urbaines. Les personnages semblent enfermés dans les contes qu’ils se narrent seuls. C’est probablement pour cette raison, pour les confiner encore davantage dans leur histoire, que Benchetrit a choisi le format 4/3. Les bandeaux noirs qui bordent l’image, écrasent les habitants, étriquent encore un peu leur existence, tout doucement. Par ailleurs, la composition photographique est simple mais explicite. Les personnages sont au centre de l’image souvent encadrés par des éléments géométriques. Un ascenseur qui se ferme sur un visage, un homme qui marche au milieu d’une route, l’humain est définitivement le sujet du film. Il est sublimé par un traitement bienveillant de l’image et par un regard amoureux du créateur, qui propose une mise à nue complète de ses protagonistes. Mais dans Asphalte, pas de torrents de larmes, pas de hurlements, pas de fioritures finalement, mais une sincérité exacerbée qui fait du bien à l’heure où le cinéma veut en faire trop.

L’expérience aura été salvatrice pour Benchetrit, qui nous livre un propos d’une justesse infinie et d’une tendresse bouleversante. Tout en humour et en finesse, il pulvérise les clichés sur les habitants des cités, fait un pied de nez aux à priori et embrasse la beauté. Comment ? En présentant des personnages qui ont compris que “l’amour ne fait pas la différence entre les miettes et les joyaux. Il accueille tout d’un coeur inassouvi.”

Visuels : ©DR

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Kalindi Ramphul

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